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Rapport Draghi : choisir la compétitivité au prix de l’environnement ?

Mathilde Dupré, 11 septembre 2024

Mario Draghi, a rendu le 9 septembre un rapport très attendu sur la compétitivité de l’Union européenne. C’est la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui avait sollicité l’ancien Premier ministre italien et président de la BCE à la fin de son premier mandat.

Le rapport examine les défis auxquels sont confrontées les entreprises sur le marché unique. Ses conclusions doivent alimenter l’élaboration d’un nouveau "plan pour la prospérité durable et la compétitivité" de l’Europe, en particulier un Pacte industrie propre qui devrait être annoncé dans les 100 premiers jours du mandat de la nouvelle Commission.

Dans la lignée du rapport Letta, publié en avril dernier, le rapport Draghi dresse le constat d’un décrochage de l’UE vis à vis des Etats-Unis et de la Chine en matière de croissance et de compétitivité. En cause notamment, un tournant raté de la première révolution numérique et l’absence de véritable politique industrielle communautaire.

Il formule ensuite des recommandations autour de trois grandes priorités : innover, décarboner, réduire les dépendances. Et il identifie 10 secteurs clés, de l’énergie aux technologies vertes, en passant par l’automobile, les industries énergivores, les matières premières critiques ou encore les semi-conducteurs.

Recul par rapport au Green Deal européen de 2019

Avec la croissance pour cap, le rapport invite à concilier compétitivité et neutralité climatique, quitte à négliger les 8 autres limites planétaires (dont les scientifiques nous disent que 5 sont déjà dépassées). Les enjeux de protection de la biodiversité ou de lutte contre les pollutions sont donc relégués à un second rang, voire pire. Dans certains cas, les normes environnementales telles que le règlement Reach sur les produits chimiques, les propositions en discussions sur le PFAS, la législation sur la biodiversité et les exigences d’évaluation environnementales sont identifiés comme des freins à la décarbonation de l’économie.
Cela marque une vraie régression par rapport aux objectifs du Green Deal qui visait non seulement la neutralité climatique mais aussi une économie européenne « dans laquelle la croissance économique sera dissociée de l’utilisation des ressources ».

Le rapport endosse aussi des recommandations relatives à la simplification des normes et des règles. Si la prévention des doublons et des lourdeurs administratives est toujours bienvenue, la ligne est souvent ténue avec la dérégulation. Sans compter que la complexité des règles est parfois le résultat direct de l’action de lobbying des acteurs économiques eux-mêmes. Le rapport pointe ainsi les nouvelles règles fraichement adoptées sur le reporting sur la durabilité et le devoir de vigilance, fruit de plus d’une dizaine d’années de mobilisation de la société civile européenne (ONG et syndicats), comme une “source majeure de fardeau réglementaire”.

Un plaidoyer pour une véritable politique industrielle décarbonée

En dépit de cette mauvaise compréhension des enjeux écologiques, le rapport Draghi est un plaidoyer pour une véritable politique industrielle décarbonée. Il invite à revisiter les autres politiques européennes (compétitivité, marché unique, commerce international...) à l’aune de cet objectif avec pragmatisme et à investir massivement dans les secteurs clés pour la transition climatique.
Selon l’auteur du rapport, les besoins d’investissements s’élèveraient autour de 800 milliards d’euros par an, soit près de 5 % du PIB UE, « niveau inédit depuis les années 1960 et 1970 » et proportion plus élevée que les financements dédiés au plan Marshall après la seconde guerre mondiale.

Pour financer ces investissements, le rapport évoque plusieurs pistes. La mobilisation de financements privés bien sûr avec le développement de l’union des marchés de capitaux. Mais il insiste aussi sur le rôle clé du futur budget de l’UE dans lequel il propose un nouveau pilier compétitivité qui serait financé avec des coupes ailleurs, sans préciser lesquelles. Enfin, il revient sur la nécessité de recourir à de nouveaux emprunts commun pour financer des « biens publics », notamment dans le domaine de l’énergie et de la défense.

Pourvu que ce plaidoyer soit efficace car dans le contexte politique européen actuel, l’articulation de la politique industrielle et des efforts de décarbonation apparait comme le seul moyen de poursuivre une partie des objectifs du Green Deal, à savoir les objectifs climatiques. Et si une série de textes clés a été adoptée lors du précédant mandat européen, leur mise en œuvre dépend directement des capacités collectives d’investissement dans la transition qui seront dégagées au sein de l’UE.

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