Ces dernières années, les élections ont rendu pleinement visible le mal-être d’une partie de nos concitoyens dont les votes se sont largement portés sur les partis d’extrême droite. Les explications de cette situation sont nombreuses. Selon certains auteurs, nombre de ces électeurs seraient racistes, et ne supporteraient pas ou plus celles et ceux qui ne sont pas comme eux et les empêchent d’être « chez eux ». Ce racisme est supposé recouvrir toute une gamme d’opinions diversifiées, allant de la pure haine de celles et ceux qui sont différents au rejet de pratiques culturelles et religieuses qui semblent incompatibles avec les valeurs occidentales.
D’autres analystes ont tenté d’expliquer la montée de cette vague populiste en pointant l’usage pervers des réseaux sociaux : des entrepreneurs culturels, capables de surfer habilement sur la rage des électeurs potentiels, souffleraient sur les braises des passions tristes.

Non exclusives l’une de l’autre, ces justifications convaincantes ont pour point commun de relativiser les racines de la colère, c’est-à-dire les situations concrètes qui forment le terreau de l’exaspération dont profitent les démagogues en tout genre comme on l’a vu précisément lors de la campagne électorale américaine récente. L’élection de Donald Trump en novembre 2024 a prouvé que les questions du travail et de l’emploi sont centrales. C’est précisément sur celles-ci que je voudrais insister dans les pages qui suivent. L’état de rage est rarement spontané et n’advient la plupart du temps que pour des raisons ou dans des situations précises. Je reviens donc, dans les réflexions que l’on va lire, sur les causes du sentiment de dégradation des conditions de vie que disent éprouver nos concitoyens, et sur les changements économiques, sociaux et politiques concrets qui sont à son origine. Je pointe notamment l’importance du basculement idéologique qui s’est opéré dans les années 1980.
L’un des changements majeurs est la globalisation des économies. L’expansion illimitée de la notion de compétitivité dans le discours politique à partir des années 1980, l’appel à la responsabilité individuelle et aux devoirs plus qu’à la solidarité et aux droits, la stigmatisation des chômeurs vus comme des fraudeurs ou des paresseux, la reconsidération des protections et des règles comme des entraves, ont émaillé le processus de remise en cause de l’État-providence en Occident tout au long des quarante dernières années.