L’industrie, qui regroupe des activités variées comme la chimie ou l’aéronautique, représentait en 2023 environ 9 % du PIB, contre une part bien plus importante dans les décennies passées. Depuis les années 1990, son déclin, marqué par des fermetures d’usines et une hausse du chômage, a fragilisé de nombreux territoires.
Après plus de 30 ans de désindustrialisation, sous les mandats de François Hollande et Emmanuel Macron, la réindustrialisation s’est imposée comme priorité, avec trois objectifs centraux, parfois en tension, qu’il convient d’articuler.
Premier objectif : viser l’autonomie stratégique et la réduction de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur. La crise du Covid-19 et les récents bouleversements géopolitiques ont mis en lumière la dépendance de la France et de l’Europe aux grandes puissances étrangères, révélant les faiblesses du tissu productif français et européens. Relocaliser la production de biens stratégiques en France peut réduire ces dépendances et renforcer le contrôle étatique via la réglementation.
Par ailleurs, au-delà des productions stratégiques, la désindustrialisation a aggravé le déficit commercial, atteignant plus de 58 milliards d’euros en 2023. Même si une partie de notre industrie exporte sa production (notamment les secteurs du luxe et de l’aéronautique), les biens de consommation représentent une part non négligeable de ce déficit : les importations de textile pour l’habillement par exemple ont généré plus de 10 milliards d’euros de déficit commercial pour la France.
L’accumulation de déficits vis-à-vis du reste du monde, l’augmentation de la dette pour le financer, et la dépendance à des pays tiers pour certains produits stratégiques contraignent les choix sociaux et amenuisent donc les marges de manœuvre de la France à la fois sur sa politique extérieure mais aussi sur sa politique intérieure.
Deuxième objectif : promouvoir la prospérité économique et la cohésion territoriale . Une industrie nationale dynamique peut avoir de nombreux atouts économiques et sociaux. Le fait d’avoir une industrie forte a des effets positifs sur la productivité d’un pays, augmente ses capacités d’innovation, y compris en dehors du domaine industriel. Les activités industrielles offrent également de nombreux emplois et cet argument est souvent au cœur des nouvelles politiques industrielles, dans des pays où le spectre du chômage guette. Même si l’automatisation est au cœur des gains de productivité du secteur et donc peut en réduire le contenu en emploi, les emplois dans l’industrie sont souvent de meilleure qualité que dans les services, mieux rémunérés et plus stables.
Ces emplois sont également davantage répartis sur les territoires. L’industrie est davantage implantée hors des métropoles : 30,5 % des emplois industriels se trouvent dans des villes éloignées du continuum urbain et 12,4 % dans des villes isolées, contre respectivement 21,4 % et 10,3 % pour les autres secteurs .. En plus de dynamiser l’emploi local, l’industrie génère des emplois indirects. La réindustrialisation vise ainsi à revitaliser les territoires touchés par la désindustrialisation et renforcer la cohésion sociale, comme le promeut le programme Territoires d’industrie .
Enfin, troisième objectif : mener la transition écologique. La transition écologique est désormais régulièrement associée à l’impératif de réindustrialisation. Pourtant, le lien n’est pas évident. En quoi réimplanter des usines pourrait-il être bénéfique à l’environnement ?
La première raison est qu’il est plus écologique de produire en France qu’à peu près partout ailleurs dans le monde, de par ses normes environnementales plus exigeantes et son énergie relativement peu carbonée. Ainsi, produire un bien textile en France par rapport à un bien en Chine divise par deux les émissions de CO2 . Il faut aussi compter la baisse des émissions dues à la diminution du transport, du fait du rapprochement des lieux de production et de consommation
En outre, certains biens sont indispensables à la transition écologique et à l’atteinte des objectifs environnementaux : les voitures électriques, les panneaux solaires, les éoliennes, les pompes à chaleur etc. Une politique industrielle dirigée vers la transition écologique peut permettre de produire sur le sol français ou européen ces biens indispensables, avec les standards les plus élevés, en assurant leur circularité (réparabilité, recyclabilité etc) bien davantage que s’ils sont produits par des pays tiers.
Il existe de solides complémentarités entre ces trois objectifs : par exemple, développer la production des biens nécessaires à la transition écologique comme les panneaux solaires est à la fois bénéfique du point du vue environnemental, créateur d’emplois et participerait à réduire notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur.
Les contradictions sont cependant nombreuses. Réduire nos dépendances vis-à-vis de l’extérieur peut mener à produire de façon coûteuse sur nos territoires, ce qui dégrade la compétitivité, et à relocaliser des activités néfastes à l’environnement et à la transition écologique, même avec des standards de production élevés (industries minières, pharmaceutiques…). La recherche de compétitivité ne permet pas non plus de garantir une juste répartition des emplois et, certains impératifs de la transition écologique comme la sobriété des matières et des usages ou la décarbonation de l’industrie pourrait impliquer l’abandon de certaines activités, et donc de moindres besoins de main d’œuvre dans certains secteurs.
Certaines contradictions de la réindustrialisation pénalisent déjà la transition écologique. La France a exempté les projets industriels de la législation Zéro Artificialisation Nette et pourrait supprimer leur consultation publique via un décret en préparation. Par ailleurs, le rapport Draghi, qui oriente la politique industrielle européenne, propose d’assouplir les normes sur les substances chimiques et de réduire les délais liés aux expertises environnementales. Ces mesures marquent un recul environnemental et démocratique
Dès lors, la réindustrialisation n’est pas un objectif en soi, mais un moyen de faire advenir un projet de société plus large. Les synergies entre les différents objectifs existent, mais leurs contradictions nécessitent d’opérer certains choix. Le seul objectif chiffré d’augmenter la part de l’industrie dans le PIB d’ici à 2030 ne suffira pas à articuler ces trois impératifs, puisque cela nécessite de penser dans le temps long à la fois ce qu’on produit, où on le produit et comment on le produit.
Rendez-vous le 20 mars 2025 pour la table ronde "Réindustrialiser : pour quoi faire ?" au Palais d’Iena.
Détails et inscription ici
Pour aller plus loin
- France Stratégie (2020), Les Politiques industrielles en France. Évolutions et comparaisons internationales, Note de synthèse, janvier.
- Grjebine, T. et Héricourt, J. (2023) . « Les dilemmes d’une réindustrialisation (verte) en économie ouverte ». L’économie mondiale 2024. ( p. 43 -58 )
- Hemery G., Vatimbella B. (SCIDE), Billiard R. et Gravit L. (SI). (2024) « Où en est la réindustrialisation de la France », Thémas de la Direction générale des entreprises, n°20, mai.
- « Pourquoi la France ne sais plus s’habiller toute seule », Blog La Mode à l’envers – Loom (Guillaume Declair et Julia Faure)
- Bourgeois A. et Montornes J. (2025) : « Made in France et réindustrialisation : une approche par les tableaux entrées-sorties internationaux », Document de travail Insee, n°2025-02, janvier.