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Nouveaux accords de commerce et d’investissement UE-Singapour

Pas un mais deux accords soumis au vote des euro-députés le 13/02 : une manière de contourner les parlements nationaux… et des risques accrus pour la planète, les droits humains et la démocratie

Mathilde Dupré, 12 février 2019

Ce mercredi 13 février, ce sont deux nouveaux accords de commerce et d’investissement, avec Singapour cette fois, qui seront soumis au vote du Parlement européen, allongeant ainsi la liste des accords négociés par l’UE en toute opacité. Ils ne respectent aucun des engagements pris par le gouvernement français dans son plan d’action CETA : on ne trouve ni Accord de Paris dans les clauses essentielles, ni chapitre développement durable contraignant, ni obligation de ratifier les conventions fondamentales de l’OIT, ni reconnaissance du principe de précaution, ni véto climatique. De même, l’UE continue sa fuite en avant dans le développement des tribunaux d’arbitrage, laissant la possibilité aux investisseurs présents à Singapour d’attaquer les politiques publiques en Europe qui seraient contraires à leurs intérêts. Par ailleurs, le découpage de l’accord initial en deux afin de contourner les parlements nationaux n’est pas acceptable. L’Institut Veblen, foodwatch et la Fondation Nicolas Hulot (FNH) appellent les eurodéputés à ne pas ratifier cet accord en l’état.

Après le CETA et l’accord avec le Japon, l’adoption des accords avec Singapour montre le dangereux entêtement de la politique commerciale européenne, au détriment des désordres sociaux et environnementaux qu’elle engendre et du besoin de transparence.

1) L’accord de commerce UE-Singapour ne respecte pas les engagements du Gouvernement dans le plan d’action qui a suivi la Commission Schubert sur le CETA

  • Le chapitre développement durable n’est toujours pas contraignant. Ainsi, si l’UE et Singapour s’engagent à mettre en œuvre les accords multilatéraux sur l’environnement dont ils sont signataires (ce qui inclut l’Accord de Paris sur le climat), la portée de cet engagement reste essentiellement symbolique dans la mesure où il n’est inscrit que dans les parties non contraignantes de l’accord. Le gouvernement français avait pourtant pris l’engagement que l’Accord de Paris figurerait dans les clauses essentielles.
  • La ratification des conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail n’est toujours pas une condition préalable à la signature ou à la mise en œuvre de l’accord, puisque Singapour n’a pas ratifié trois des huit conventions fondamentales de l’OIT (1).
  • Le principe de précaution en tant que tel n’est toujours pas protégé, et même pas mentionné dans le chapitre sur les aspects « sanitaires et phytosanitaires ».
  • Il n’y a toujours pas de véto climatique, mécanisme pourtant promis par le gouvernement français afin d’empêcher les investisseurs d’attaquer devant les tribunaux d’arbitrage d’investissement des politiques publiques visant à baisser les émissions de gaz à effet de serre.

2) Pas un mais deux accords : les dangers pour la démocratie en Europe.

La Cour de justice de l’Union européenne a décidé en mai 2017 que l’accord entre l’UE et Singapour (EUSFTA) était de compétence ‘mixte’. Afin d’éviter une double ratification de la totalité de l’accord comme pour le CETA, la Commission européenne a pris les devants pour court-circuiter le processus des ratifications nationales. Elle a choisi de scinder l’accord UE-Singapour en deux : un accord de commerce pour lequel le feu vert du Conseil et du Parlement européens suffit, et un accord d’investissement qui nécessitera l’assentiment de tous les parlements nationaux. A quelques mois des élections européennes, cette manœuvre entre en contradiction directe avec les engagements de transparence et de débat démocratique nécessaires pour l’adoption d’accords porteurs de tels défis pour les droits sociaux et environnementaux. (2)

L’accord d’investissement est très controversé, comme l’a montré ces dernières années la mobilisation citoyenne à l’égard de ces mécanismes de Règlement des différends entre investisseurs étrangers et États (RDIE, ISDS en anglais) dans le cadre des négociations transatlantiques (3).

Une coalition de plus de 150 organisations de 16 pays européens, dont foodwatch, l’Institut Veblen et la FNH, a initié une nouvelle campagne intitulée : « Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales », pour exiger des dirigeants européens de mettre fin à ce système de justice d’exception dont bénéficient les entreprises multinationales et d’introduire des réglementations contraignantes pour qu’elles respectent -enfin ! - les droits humains et l’environnement. Cette pétition a déjà recueilli le soutien de plus de 430 000 citoyens.

Nos organisations appellent au gel des négociations en cours et à une véritable révision de la politique commerciale afin de la rendre compatible avec les exigences sociales et environnementales actuelles et surtout de la mettre au service de la nécessaire transition écologique de notre société.

Notes :

1- Singapour n’a pas ratifié les Conventions 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et 111 sur la discrimination. Il a par ailleurs dénoncé la convention 105 sur l’abolition du travail forcé.
2- Trois ONG allemandes, dont foodwatch, annoncent cette semaine qu’elles prévoient de porter plainte devant la Cour constitutionnelle allemande pour contester que de tel accords puissent être validés sans consultation des parlements des États membres.
3- Voir la note de l’Institut Veblen sur l’arbitrage d’investissement, janvier 2019, la tribune collective publiée dans Le Monde, le 12/02/2019 et la lettre de la société civile européenne adressée aux eurodéputés

Contacts :

Mathilde Dupré – Responsable du programme commerce à l’Institut Veblen – 0677704955
Samuel Leré – Responsable environnement et mondialisation à la FNH – 0687411603
Karine Jacquemart – Directrice Générale de foodwatch - 0668870404

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