Le Global Development And Environment Institute de l’Université de Tufts a publié en septembre 2013 une étude d’impact de l’accord CETA conclu entre le Canada et l’Union européenne, en cours de ratification. Cette étude a été menée par Pierre Kohler, économiste en congé sabbatique de l’Organisation des Nations unies et anciennement membre de l’équipe responsable du modèle GPM de l’ONU et Servaas Storm, maître de conférences en économie à la Delft University of Technology.
Les études d’impact préalables, fréquemment citées par la Commission européenne, projetaient dans le meilleur des cas, une progression de PIB de 0,08 % pour l’Union européenne et de 0,76 % pour le Canada. Ces dernières reposent toutes sur la même méthodologie dont les fondements théoriques sont profondément remis en cause par les auteurs :
« (...) les négociations de l’AECG ont été accompagnées d’un certain nombre d’études quantitatives qui prédisent des gains économiques pour tous les pays impliqués. Étonnamment, les quatre études se fondent sur le même modèle d’équilibre général calculable (modèle EGC) du projet GTAP (Global Trade Analysis Project). Par conséquent, chacune des quatre études se base sur des hypothèses néoclassiques standards mais irréalistes, telles que le plein emploi permanent de tous les travailleurs au Canada et dans l’Union, ce qui exclut d’emblée tout risque avéré et tout coût macroéconomique et social lié à la libéralisation. Dans ces analyses EGC, les économies canadienne et européenne s’ajustent immédiatement et sans aucun coût à la réforme commerciale et, puisque toute augmentation du chômage et toute perte du revenu total, même temporaire, est exclue à l’avance, les analyses de ce modèle ne peuvent qu’indiquer un gain net de bien-être.
Aveuglés par ces postulats grossiers et manifestement irréalistes, les modélistes utilisant ce modèle EGC néoclassique n’ont fait qu’ignorer le problème. À la lumière d’un tel manque de diversité intellectuelle et de réalisme empirique, le présent article soutient que, ne serait-ce que par leur méthode, ces études ne représentent une base fiable ni pour évaluer l’AECG, ni pour fournir aux décideurs politiques des informations pertinentes ».
Dans cette nouvelle étude d’impact, la méthodologie utilisée est celle du « Global Policy Model » des Nations Unies. Elle délivre une analyse plus complète des impacts du CETA sur l’ensemble de l’économie, en prenant en compte notamment l’emploi et la distribution des revenus.
« (…) nous offrons une autre évaluation de l’AECG au moyen d’un modèle différent et plus réaliste, basé sur une représentation plus complète de la macroéconomie et sur des hypothèses plus plausibles concernant les ajustements économiques susceptibles de découler d’un accord commercial de « nouvelle génération » conçu pour couper les « coûts du commerce et davantage encore ». »
Les résultats de ces travaux tranchent avec les projections optimistes de la première série d’études d’impact.
Les principales conclusions sont les suivantes, d’ici à 2023 :
– détournement des flux commerciaux intra européens (avec un effet positif a priori pour la France, l’Allemagne et l’Italie, mais négatif pour d’autres pays)
– diminution de la part des revenus alloués au travail
– compression des salaires (surtout en France et en Italie : environ -1331 euros par an par travailleur d’ici 2023)
– pertes nettes des recettes publiques
– destruction de 200 000 emplois en Europe (- 45 000 en France)
– contraction du PIB (-0,49% dans l’UE ; -0,65% en France)
L’exercice consistant à mesurer ex ante les retombées économiques d’un accord de commerce s’avère évidemment complexe et souvent peu fiable. La Commission européenne s’appuie néanmoins beaucoup sur les résultats des études d’impact préalables, toutes menées selon la même méthodologie. Dans ces conditions, il apparaît indispensable de pouvoir bénéficier de plusieurs études alternatives afin de d’éclairer au mieux des discussions et les décisions des élus en charge de la politique commerciale européenne.
Pour aller plus loin :
– lire le communiqué du GDAE de l’Université de Tufts sur l’étude d’impact, septembre 2016
– lire l’étude d’impact : « le CETA sans œillères : Comment couper les « coûts du commerce et davantage encore » causera du chômage, des inégalités et des pertes économiques », de Pierre Kohler et Servaas Storm, GDAE, Tufts University, Septembre 2016 »