L’enquête Canada papers, publiée par le Toronto Star et CBC-Radio Canada et issue des documents révélés dans le cadre des Panama papers, avait confirmé en janvier 2017 que le Canada était devenu un paradis fiscal en plein essor. Le snow washing, c’est le nom utilisé dans le monde des conseillers fiscaux pour des montages impliquant des structures au Canada. Il fait référence à la bonne réputation du pays, loin des sulfureuses places bancaires exotiques ou alpines.
En 2010, Mossack Fonseca, le cabinet d’avocat mis en cause dans les Panama Papers affirmait dans un mémo interne : "Le Canada est un bon endroit pour créer des structures d’optimisation fiscale pour minimiser les impôts sur les intérêts, les dividendes, les plus values, les pensions de retraites ou les revenus locatifs".
Selon les journalistes, le système d’enregistrement des sociétés au Canada offre des conditions d’opacité qui n’ont rien à envier aux Îles Vierges britanniques, au Panama ou aux Bahamas. Le Canada autorise ainsi la création de sociétés écrans, appelées Limited Partnership, qui permettent aux propriétaires réels de dissimuler complètement leur identité derrière un prête-nom. Ces LP n’ont pas d’obligation en matière de déclaration d’imposition. Seuls les propriétaires y sont soumis, à l’exception des résidents étrangers.
En parallèle, la toile immense de près de 115 accords fiscaux, noués par le Canada avec des pays tiers, en particulier avec des paradis fiscaux tels que la Barbade ou les Îles Vierges britanniques, facilite les investissements offshore et l’évitement de l’impôt. En pratique, ces traités dits de non « double-imposition » permettent bien souvent la « double non-imposition ». Cela signifie en d’autres termes que les ressortissants des pays signataires de ce type d’accords avec le Canada peuvent y établir des sociétés non taxées.
Dans les Paradise Papers, la dernière enquête de l’ICIJ (consortium international de journalistes d’enquête), publiée le 5 novembre 2017, il ressort enfin que le marché canadien est l’un des plus important pour le cabinet Appleby, près des États Unis, du Royaume Uni et de la Chine.
Est-il sain de conclure un accord de commerce et d’investissement avec un tel pays et si oui à quelles conditions ?
Faciliter les investissements et les échanges sans garantir des conditions équitables de concurrence y compris en matière sociale, environnementale et fiscale, ne peut qu’engendrer une course vers le moins disant. Pour l’éviter, il apparaît indispensable de conditionner l’octroi d’avantages commerciaux et l’accès au marché européen au respect des standards internationaux définis notamment par l’OCDE et le GAFI (Groupe d’action Financière), en matière de fiscalité et de lutte contre le blanchiment. C’était le sens de la Déclaration de Namur signée par une quarantaine d’universitaires, parmi lesquels l’ancien Ministre Président de la Wallonie, Paul Magnette, le juriste Olivier de Schutter ou les économistes Dani Rodrik et Thomas Piketty.
Dans le cadre du CETA, l’UE aurait ainsi pu poser comme exigences minimales la mise en place d’un reporting public pays par pays et de mesures de transparence sur les propriétaires et les bénéficiaires réels des sociétés et des trusts. Tous les investisseurs et les entreprises qui ne respectent pas ces deux règles ne devraient pas pouvoir bénéficier des avantages commerciaux liés au CETA.
Cependant, la dimension fiscale n’est absolument pas traitée dans le CETA en dépit des risques identifiés.
Quelles peuvent être les conséquences du CETA en matière fiscale ?
D’un côté, le chapitre investissement de l’accord vise à faciliter les activités des investisseurs européens vers le Canada, et vice versa. Par conséquent, il pourra bénéficier à des investisseurs européens désireux de créer des Limited Partnership par exemple ou d’autres montages pour échapper à l’impôt dans l’UE et/ou dissimuler leur identité en vue de mener d’autres activités illicites.
Dans le sens inverse, les droits nouveaux en matière de protection des investissements, accordés aux investisseurs canadiens actifs dans l’UE seront également octroyés à des investisseurs dont on ne connaît pas l’identité et qui peuvent pratiquer l’évasion fiscale ou le blanchiment d’argent. Ainsi, des investisseurs canadiens ou des 115 territoires avec lesquels le Canada a des accords d’échange d’information fiscale et surtout de non double imposition pourront créer des filiales au Canada pour des motifs fiscaux et bénéficier du droit de poursuivre l’UE et les États membres via le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Si le CETA exclut l’utilisation de ce mécanisme par des sociétés « boites aux lettres » pures, il ne fait pas de doute que les conseillers juridiques sauront comment éviter de tomber dans cette catégorie en justifiant juste ce qu’il faut d’activité économique au Canada pour cela.