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Pesticides interdits : la France et l’UE continuent d’exporter l’inacceptable

Mathilde Dupré & Stéphanie Kpenou, 23 septembre 2025

Le nouveau rapport de Public Eye et Unearthed sorti ce 23 septembre confirme l’un des plus gros scandales sanitaires de l’Histoire. En 2024, l’Europe a vendu près de 122 000 tonnes de pesticides dont elle n’autorise pas l’usage sur son territoire, soit une hausse de 50% par rapport à 2018. La France, qui avait en théorie interdit ces exportations à compter de 2022 (1), a continué d’exporter plus de 6 600 tonnes de pesticides interdits, principalement vers les pays du Sud. Un commerce cynique et amoral que l’Europe laisse prospérer.

Alors que ces substances sont interdites sur le territoire européen pour leur dangerosité avérée, le rapport nous apprend que l’Union européenne et la France continuent d’en autoriser la production à des fins d’exportation, notamment vers les pays les plus pauvres. Il s’agit par exemple du Dichloropropène (1,3-D), un pesticide utilisé dans la culture de fruits et de légumes interdit dans l’UE depuis 2007, de la picoxystrobine, fongicide interdit depuis 2017 à cause de ses effets génotoxiques, ou encore du fipronil, insecticide interdit depuis 2017 pour ses effets sur les pollinisateurs. La France est le septième plus gros exportateur de pesticides interdits. Le top 5 est occupé par l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas et la Bulgarie.

Une pratique inadmissible, qu’Olivier de Schutter, ancien rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, et actuel rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté,qualifie de “racisme environnemental”. Et un scandale qui n’est pas sans rappeler celui du chlordécone aux Antilles, dont les conséquences sanitaires et environnementales ont condamné toute une population.

Un commerce toxique qui n’a que trop duré

En France, nos organisations ont porté des recours devant le Conseil d’État pour mettre un terme à ces exportations, toujours autorisées malgré l’interdiction inscrite dans la loi Egalim (2). Et la loi Duplomb, adoptée en juillet 2025, entretient les failles béantes du dispositif (3).

Au niveau européen, malgré les engagements pris par la Commission européenne en 2020}}, pour une proposition législative attendue en 2023, et réaffirmés en 2025 dans sa Vision pour l’agriculture et l’alimentation, c’est le statu quo. Pire : un nouvel accord de libre-échange avec le Mercosur est sur le point d’être ratifié, réduisant les droits de douane sur ces exportations européennes de substances toxiques et facilitant l’importation de produits agricoles et alimentaires contenant des résidus de pesticides bannis dans l’UE. C’est l’effet boomerang : retour à l’envoyeur.

Dans les pays du Sud, les conséquences sont dramatiques : maladies, pollutions, morts. Ce commerce repose sur une logique de colonialisme chimique. Les vies du Sud valent-elles moins que les nôtres ?

Nos organisations demandent à la France et à l’Union européenne de mettre immédiatement un terme à la production et l’exportation de pesticides et substances pesticides interdites ou dont l’autorisation de mise sur le marché a expiré. Les mesures miroirs sont essentielles pour protéger la santé de nos consommateurs et garantir une concurrence équitable. Mais tant que perdurera la politique du double standard – interdire certains pesticides chez nous tout en continuant à les exporter ailleurs – la portée de ces mesures restera limitée et contradictoire.
Ce commerce toxique doit cesser.

Notes
(1) Une interdiction a été adoptée en 2018, dans le cadre de la loi Egalim, à compter du 1er janvier 2022. L’article L.253-8 IV du code rural et de la pêche maritime interdit en effet “la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009”. Mais cette mesure et les actes d’exécution contenaient plusieurs lacunes et aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect

(2) La première lacune a été comblée par une décision du Conseil d’Etat, saisi par Générations Futures rendue le 5 mars 2024, et la règle s’applique désormais y compris aux substances actives qui ne sont plus autorisées car n’ayant pas fait l’objet d’une demande de renouvellement.
Par ailleurs, la circulaire interministérielle du 23 juillet 2019, censée préciser les conditions d’application de cette loi, en limite significativement la portée. Ce texte indique que l’interdiction « porte uniquement sur les produits phytopharmaceutiques contenant dans leur formulation des substances actives non approuvées au niveau européen » et non sur les substances elles-mêmes.
Le 13 décembre 2022, le ministre de la Transition, Christophe Béchu, déclarait ainsi devant l’Assemblée nationale : « On a interdit les exportations de produits en ne précisant pas que ça s’appliquait à la substance active, et nous avons des entreprises qui en profitent. Nous avons à corriger, à amender, parce que l’intention des législateurs n’était pas de permettre cette brèche. »
Le CCFD-Terre Solidaire et l’Institut Veblen, avec le soutien d’Intérêt à Agir ont attaqué cette circulaire devant le Conseil d’Etat en août 2024.

(3) La loi Duplomb, adoptée en juillet 2025, est loin de résoudre le problème. En effet, nos organisations ont déjà identifié deux failles majeures : les substances interdites pour des raisons autres que sanitaires et environnementales, et les substances n’ayant pas fait l’objet de demandes de renouvellement, sont par exemple exclues de l’interdiction d’exportation. Ainsi, l’alpha-cypermethrine produite par BASF à Genay, a été interdite en raison du refus de l’industriel d’apporter des données nécessaires au processus d’évaluation de la substance, et non pour sa toxicité avérée. Et toujours aucune sanction en cas de non respect n’est prévue par la loi.

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