Modeste enfin en ce qu’elle prend l’apparence de quelques procédures d’ingénierie financière, toutes choses égales par ailleurs, sans ouvrir de tonitruant débat entre des principes fondamentaux mais contradictoires.
Mais elle n’est modeste ni par l’ambition, ni par l’intelligence, ni non plus – et moins encore peut-être – par l’enjeu. L’ambition, elle est contenue dans les termes du titre « résoudre la crise de la zone euro ». Rien de moins. Cette crise, nous nageons dedans depuis cinq ou six ans. Chacun des bricolages qu’ont successivement subis les mécanismes, les procédures et les institutions de solidarité qui entourent l’euro a provoqué de nouvelles secousses et conduit à un nouvel état des choses pas toujours considéré comme durablement rassurant par bien des acteurs.
Même si l’imminence de la crise paraît s’être quelque peu éloignée, le fait d’avoir un peu partout aggravé l’endettement public pour limiter les risques entraînés par l’immense krach financier des années 2006-2008 n’en laisse pas moins peser, de manière permanente, une menace sur l’endettement public en euros dans beaucoup des dix-huit pays qui se sont dotés de cette monnaie, et donc sur l’euro lui-même. Cette menace ne vise pas qu’une monnaie, elle vise par là l’effort de civilisation que font ces dix-huit nations pour se redonner une force collective à la hauteur de leur histoire. Elle est par là géopolitique et mondiale. L’ambition de la vaincre ne l’est pas moins.
L’intelligence est à la hauteur de l’ambition. Combinant des savoirs rarement appelés à faire converger les plus sophistiqués de leurs enseignements, qu’il s’agisse de la macroéconomie, de la science financière ou du droit de la finance publique, la proposition conjugue l’usage subtil des marges d’autonomie laissées à quelques acteurs par des traités tout entiers inspirés par de multiples méfiances entre les États signataires comme entre ces États et les institutions qu’ils créent, avec les intuitions majeures d’une science économique bien malmenée depuis des décennies par les autorités monétaristes.
Cette proposition affirme alors l’improbable : il pourrait bien y avoir une solution.
Je laisse au lecteur la surprise et le plaisir de la découverte. Tout ce que je peux dire est que je n’ai trouvé aucune objection dirimante qui paraisse rendre la chose impossible.
Quant à l’enjeu, il est plus grave encore s’il se peut. Il est tout simplement de savoir si l’Europe entière est condamnée à une récession dramatique par les effets implacables d’une évolution économique qui ne lui laisse aucun choix sinon celui du déclin, ou si une autre vision des mécanismes économiques et de leurs règles peut ouvrir des perspectives moins alarmantes. C’est à cet enjeu-ci que les États destinataires de cette « Modeste Proposition » doivent
répondre. Le prix de la nécessaire réponse positive est la destruction des dangereux tabous malthusiens qui sont en train de nous condamner.
Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro
Par James K. Galbraith, Stuart Holland et Yanis Varoufakis
préface de Michel Rocard
Les Petits Matins/Institut Veblen, janvier 2014