Dans son avant-projet de rapport sur les mesures miroirs qu’elle présentera officiellement au mois de juin, la Commission européenne confirme l’analyse partagée par les experts et co-législateurs lors d’un évènement organisé par INTERBEV, la Fondation pour la Nature et l’Homme et l’Institut Veblen sous Présidence Française du Conseil de l’Union européenne : oui, l’application de mesures de réciprocité aux importations dans l’Union européenne de produits agricoles et alimentaires est politiquement souhaitable et juridiquement possible. Nos organisations accueillent avec intérêt cet avant-projet espérant que cette analyse conforme à la voie montrée dans nos travaux communs soit confirmée dans le rapport final.
Un rapport de la Commission très attendu
C’est un rapport très attendu, tant cette question de la « réciprocité » des normes de production agricole dans les échanges commerciaux a occupé le débat politique de l’Union européenne, au cours des derniers mois.
Les co-législateurs avaient, en effet, posé cette question simple à la Commission européenne : dans quelles conditions l’Union européenne pourrait-elle, enfin, mettre fin à ses importations massives de produits agricoles qui ne respectent pas les normes de production sanitaires, environnementales et de bien-être animal, imposées aux agriculteurs européens ? Comment sortir de cette incohérence injustifiable, qui freine la transition écologique tout en affaiblissant les agriculteurs européens ?
Le rapport final de la Commission devrait être présenté en juin. S’il reste dans la continuité du pré-rapport, Il devrait donc proposer l’adoption au « cas par cas », des mesures miroirs dans les législations sectorielles européennes et des clauses miroirs dans les accords commerciaux, notamment dans la « conditionnalité tarifaire » (baisse des droits de douane ou ouverture de contingents à droits de douane réduits) de ces accords.
Plus concrètement, il s’agirait d’exiger des mesures de réciprocité à nos partenaires commerciaux sur des normes de production qui peuvent être justifiées au regard des enjeux qu’elles visent : protection de l’environnement, de la santé, des animaux.
Une approche au cas par cas pour faire avancer le sujet à court terme
C’est cette approche du cas par cas qui a incité INTERBEV, la Fondation pour la Nature et l’Homme et l’Institut Veblen à demander l’adoption des mesures suivantes, à court terme, identifiées dans le projet de rapport de la Commission :
- Interdiction des importations de viandes issues d’animaux traités aux antibiotiques promoteurs de croissance : cette mesure a déjà été adoptée fin 2018 dans la législation européenne sur les médicaments vétérinaires mais n’est pas encore appliquée, l’acte délégué qui devait être pris par la Commission européenne en respect de ce texte avant la fin janvier 2022 n’ayant, à ce jour, pas été présenté.
- Interdiction des importations de viandes provenant d’animaux qui n’ont pas fait l’objet d’une identification et d’un suivi tout au long de leur vie et qui peuvent donc avoir été élevés au sein d’élevages responsables de la déforestation : cette proposition est en cours d’examen, au Parlement européen, dans le cadre de la proposition de règlement visant à lutter contre la déforestation importée. La traçabilité est d’ailleurs un éléments clé à maintenir et renforcer dans le texte pour exclure l’accès au marché européen à l’ensemble des produits issus de la déforestation.
- Interdiction des importations de viandes provenant d’animaux qui n’ont pas été élevés dans les conditions minimales de bien-être fixées par la règlementation européenne : l’identification des normes précises devra faire l’objet d’une expertise en vue de la future législation européenne relative au bien-être animal attendue d’ici la fin de l’année 2023.
- Interdiction des importations de produits traités avec des pesticides interdits par la règlementation européenne : dans un premier temps, l’UE devrait prévoir l’abaissement au seuil de détection des Limites Maximales de Résidus pour ces pesticides interdits. La révision de la Directive utilisation durable des pesticides (qui devient le règlement SUR) prochainement examinée pourrait fournir une première opportunité pour avancer dans ce domaine. Enfin, pour des raisons de cohérence le règlement SUR devrait prévoir la fin des exportations depuis l’UE des substances interdites dans l’Union.
Dans l’attente de l’adoption et l’application concrète de ces mesures miroirs sectorielles : tout nouvel accord bilatéral de commerce devra a minima intégrer de telles obligations de réciprocité, de manière contraignante, dans la conditionnalité permettant aux pays partenaires d’accéder aux contingents d’importation ou à des droits de douane réduits. A ce jour, aucun accord bilatéral déjà conclu (Mercosur) ou déjà ratifié au niveau européen (CETA) ne contient des clauses contraignantes sur les sujets visés, répondant pourtant à des enjeux environnementaux, de santé publique et de bien-être animal indiscutables.