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L’économisme rampant des études comportementalistes (2) : de l’usage de l’épargne et de la monnaie

Par Jean-Michel Servet

5 février 2016

Les limites de l’économie comportementale sont particulièrement manifestes dans l’analyse des pratiques d’épargne et des usages de la monnaie dans les pays en développement et les économies émergentes.

En témoigne une expérimentation menée récemment en Inde, où la généralisation du compte bancaire est censée réduire la pauvreté en éduquant les « pauvres » à des comportements financièrement et économiquement vertueux. Mais les pratiques financières et monétaires de ces « pauvres » sont bien plus sophistiquées que les préjugés économistes à leur égard. Le méconnaître débouche sur des préconisations qui risquent d’être invalidées aussitôt l’expérimentation terminée. Il est ainsi essentiel de saisir les jeux économiques et sociaux qui poussent les populations étudiées à « cloisonner » leurs dépenses et leur épargne sous des formes diverses, et à pratiquer des modes complémentaires d’illiquidité et de liquidité des ressources.

INTRODUCTION

Dans de nombreux pays en développement et émergents, les pouvoirs publics encouragent depuis quelques années les populations à ouvrir un compte dans une banque ou un établissement financier. Cette politique est actuellement particulièrement active en Inde, où le People Money Scheme a été lancé l’année dernière par le gouvernement de Narendra Modi. La démarche n’est exceptionnelle que par son ampleur : 18 millions de comptes ouverts en une semaine, plus de 155 millions en neuf mois. Des programmes similaires ont déjà été menés en Afrique du Sud, avec la Mzansi Initiative en 2004 (six millions de comptes ouverts en quatre ans) , et en Colombie, avec le Programa de Inversión Banca de las Oportunidades en 2006. Ce mouvement mondial est activement soutenu par des fondations privées et des institutions financières internationales, notamment celles regroupées dans la coalition Better than cash alliance, qui y voient une mesure clef de l’inclusion financière. Ce faisant, elles s’appuient sur les résultats de recherches en économie comportementale, des expérimentations très coûteuses , financées bien souvent par les mêmes organisations.

Que valent au juste ces expérimentations dont la méthodologie est promue notamment par la Banque mondiale ? Derrière les apparences d’une démarche empirique, on découvre bien souvent les préjugés de l’économisme et la négligence des réalités du terrain. Ce qui permet de douter de l’efficacité des politiques de développement proposées. Pour l’illustrer, on prendra ici un exemple récent, une expérimentation parmi les très nombreuses d’économie comportementale menées ces dernières années en Inde . De multiples préjugés en font une étude typique des randomisations menées par les économistes comportementalistes : économisme sommaire de la caractérisation dite « psychologique » des comportements ; occultation de l’intrication des dimensions morale, historique, sociale, politique et économique dans les actions dites « économiques » ; croyance en la supériorité des preuves fournies par des tests plutôt que par des enquêtes et observations permettant de repérer les déterminants et les logiques des habitudes des populations ; ainsi que traitement de la monnaie comme si elle était un bien analogue aux autres, dont les différentes formes seraient parfaitement substituables et dont l’usage produirait les mêmes effets.

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