Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la question de l’organisation internationale des activités économiques et de la relocalisation est revenue à l’ordre du jour dans le débat politique.
Un changement de paradigme ?
- "Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main” déclarait le 12 mars 2020 Emmanuel Macron dans son adresse aux Français.
- Selon un sondage Odoxa, publié le 13 avril 2020, cette question trouve aussi un écho particulièrement fort dans l’opinion publique. 9 personnes interrogées sur 10 se prononcent en faveur d’une relocalisation de la production industrielle (92 %) et d’une politique visant à garantir l’autonomie agricole de la France (93 %). Et 93 % souhaitent systématiser la présence d’un label permettant d’identifier les produits non alimentaires produits en France ou en Europe.
- Les 150 citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat ont redit à plusieurs reprises l’importance de relocaliser une partie de la production afin de promouvoir l’emploi. Parmi leurs propositions, ils demandent notamment un changement des règles du commerce mondial, la dénonciation de l’application provisoire du CETA et la renégociation du contenu de cet accord entre l’UE et le Canada ainsi qu’une nouvelle approche pour les autres accords de commerce en cours de préparation.
Cette crise sanitaire a mis en lumière la vulnérabilité des chaînes de valeur internationales et notre dépendance à d’autres économies et notamment la Chine pour des produits stratégiques comme la production de masques ou de respirateurs. Dans le secteur agricole, elle a aussi révélé notre dépendance à la main d’oeuvre étrangère, qui constitue une forme de "délocalisation sur place".
Quelles traductions concrètes ?
Au niveau européen comme au niveau national, l’été 2020 sera marqué par la mise en place de différents volets des plans de relance. Au moment de leur élaboration, les décideurs politiques ne pourront pas faire l’impasse sur une réflexion concernant la réorganisation des activités économiques. Cette réflexion est indispensable pour construire des sociétés résilientes, capables de mieux résister aux événements extrêmes notamment sanitaires ou naturels qui ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir, de l’avis des scientifiques, du fait notamment du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité.
Cela signifie que la France et l’UE doivent désormais s’atteler à une réorientation cohérente de tout une partie de leurs politiques pour réduire la longueur et la complexité des chaînes de valeur, régionaliser une partie des flux commerciaux et relocaliser certaines productions. Autant de mesures qui supposent donc d’accepter de réduire in fine les volumes d’échanges internationaux.
Ces efforts doivent permettre de maîtriser au mieux les capacités, mais aussi de limiter les impacts environnementaux et de soutenir la création d’emplois liée à notre consommation.
Cette note ne vise en aucun cas à dire qu’il faudrait stopper complètement les échanges ou à diaboliser le commerce international. Il n’est en effet pas possible de vouloir tout produire en France ou dans l’Union européenne. Certaines chaînes de valeur internationales sont précieuses quand il s’agit de produire des biens de haute technologie qui requièrent des compétences pointues de la part d’une multitude d’acteurs ou pour échanger certains biens agricoles de haute valeur ajoutée ou dont la production est localisée dans des zones spécifiques. Mais ce n’est pas le cas de tous les secteurs d’activités. Selon les estimations, entre un et deux tiers du commerce mondial constituerait en réalité du commerce intragroupe, c’est-à-dire entre les filiales d’une même entreprise multinationale. Ainsi le commerce engendré par des logiques de recherche d’efficacité économique aveugles aux coûts
sociétaux et basées sur des calculs d’optimisation fiscale, sociale et environnementale ne doit plus avoir cours.
Cinq principes clés :
Que ce soient pour des raisons stratégiques, sociales et écologiques, il nous faut aujourd’hui aller vers une économie réorganisée autour des objectifs suivants :
- Durabilité : les modes de production, de consommation et d’échange doivent privilégier des pratiques les moins impactantes sur l’environnement et respectueuses des droits humains.
- Sobriété : réduction de la consommation afin de réduire l’empreinte écologique globale (émissions de GES, utilisation de ressources naturelles, impacts sur la biodiversité et pollutions) de nos activités économiques sur toute la chaîne (production, transport, consommation et gestion des déchets).
- Résilience : capacité à résister aux risques déjà identifiés (changement climatique, crise sanitaire, crise financière, épuisement de certaines ressources naturelles...).
- Subsidiarité : organisation des activités économiques à l’échelon le plus pertinent, en favorisant la proximité et l’ancrage territorial afin de promouvoir l’emploi et ainsi l’acceptation sociale de la transition. Le niveau local - corrélé à des pratiques durables - sera privilégié dans l’agriculture et un échelon européen par exemple pour d’autres types d’activités plus complexes comme la production de batteries électriques pour les voitures.
- Solidarité : loin d’un repli nationaliste égoïste, ce mouvement vise à permettre à chaque société de construire une économie adaptée à ses besoins et ses préférences collectives et à promouvoir des activités économiques internationales fondées sur le respect des droits humains et sociaux et de l’environnement.
La mise en œuvre d’une telle stratégie repose sur de nombreux leviers. Cette note qui ne prétend pas à l’exhaustivité, vise à examiner quelques-unes des conditions cumulatives nécessaires. Elle se décline en quatre parties : changer les règles pour permettre le soutien d’activités locales durables, exiger le respect d’un socle de règles minimales pour accéder au marché européen, promouvoir des règles internationales plus équitables et adopter des politiques volontaristes de relocalisation dans certaines filières stratégiques (énergies renouvelables, automobile, agriculture et alimentation).