L’éditorial de l’Economie politique n° 103, "Le logement au coeur de la crise sociale",Août-septembre-octobre 2024
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Après avoir repoussé provisoirement la menace
d’une extrême droite au gouvernement, attaquons-nous
aux sources sociales et économiques de la crise
démocratique, qui n’ont pas disparu avec les élections
anticipées de juillet dernier. Ce numéro de L’Economie
politique veut y contribuer en mettant en lumière un premier
domaine clé où notre modèle social est menacé, et où le manque
de confiance dans l’action publique pour apporter des solutions
alimente le discours populiste et xénophobe. Le logement est
en effet au coeur des aspirations et des angoisses sociales qui
travaillent notre société en profondeur ; la situation se dégrade
depuis longtemps et alimente tantôt le sentiment d’abandon et la
résignation, tantôt le ressentiment. Les gouvernements successifs
d’Emmanuel Macron ont leur part de responsabilité dans la situation
actuelle, mais le problème est bien plus ancien.
Inégalités croissantes
Le temps dira si les forces du Nouveau Front populaire parviennent
à peser assez dans la nouvelle Assemblée nationale
pour commencer à apporter des solutions. Celles-ci devront
répondre à la demande sociale de logements abordables tout en
tenant compte des objectifs de transition écologique. Il n’est plus
possible de consommer toujours plus d’énergie et de foncier via
l’étalement urbain, il faudra innover en matière d’aménagement
du territoire et de rénovation urbaine.
Les difficultés croissantes des politiques du logement sont
analysées par Jean-Claude Driant dans l’article qui ouvre ce dossier.
La mise à l’arrêt du marché immobilier dans les années 2022-
2024 avait pour cause la hausse des taux d’intérêt, mais elle a
amplifié des tendances inégalitaires déjà à l’oeuvre. Une fraction
croissante des classes moyennes peine à accéder à la propriété,
tandis que les pénuries s’accumulent dans le logement locatif,
renforçant encore la pression sur de nombreux ménages pauvres,
pour lesquels le taux d’effort financier devient insoutenable. Pour
inverser la tendance, l’auteur propose de rendre aux organismes
de logement social les moyens d’agir, de lutter contre la spéculation
foncière, de soutenir l’investissement locatif abordable et de développer
une accession sociale à la propriété.
Pour inverser la tendance, il faut rendre
aux organismes de logement social les
moyens d’agir, lutter contre la spéculation
foncière, soutenir l’investissement locatif
abordable et développer une accession
sociale à la propriété
Cette analyse est complétée par Manuel Domergue dans
l’article consacré au mal-logement, qui frappe aujourd’hui
particulièrement les jeunes et les locataires du parc privé,
mais aussi les personnes ayant un emploi précaire, les familles
monoparentales et, plus largement, celles et ceux qui ne peuvent
compter sur l’aide de leur famille. Aux inégalités s’ajoutent les
discriminations, visibles notamment dans l’accès au locatif privé.
Pourtant, la France dispose de nombreux outils pour lutter contre
le mal-logement, même s’ils ont été fragilisés par les gouvernements
successifs : coupes budgétaires imposées aux organismes
HLM, détricotage de la loi SRU, réorientation du soutien public
vers les logements locatifs intermédiaires (LLI), relèvement des
loyers dans les HLM très sociaux…
Une dimension souvent évoquée du mal-logement concerne
la précarité énergétique, un domaine où la France affiche de
grandes ambitions sans s’en donner les moyens. Vincent Legrand
et Léana Msika décryptent la bataille politique menée autour de
la rénovation performante : l’argent public subventionne des
travaux qui se révèlent souvent inefficaces dans la mesure où ils
se limitent à des monogestes et réduisent peu le bilan énergétique
global du bâti. La rénovation performante a besoin d’une
politique focalisée sur les rénovations réellement performantes,
capable d’accompagner les acteurs de la filière et de projeter le
marché dans une transformation à long terme.
L’impératif écologique ne s’arrête pas au bilan énergétique
et aux émissions de gaz à effet de serre du bâti. Le logement
est directement concerné par l’objectif « zéro artificialisation
nette » analysé ici par Bruno Depresle. Pour respecter la nouvelle
contrainte quantitative dans la gestion du foncier, l’auteur
propose de rompre avec les politiques poursuivies depuis les
années 1960. L’offre de logements devra désormais utiliser le
parc immobilier existant, densifier le bâti et donner la priorité aux
rénovations plutôt qu’aux constructions nouvelles. Le potentiel
de ces mesures pour réduire le besoin de constructions en amont
dépendra de nombreux facteurs et les arbitrages ne seront sans
doute pas faciles ; toujours est-il que la nouvelle politique du
logement doit s’efforcer d’intégrer ces enjeux.
Financement public et privé
Reste le nerf de la guerre : le financement. Qu’il s’agisse de
l’accès au logement abordable, de la revitalisation des quartiers
ou des travaux thermiques, nous avons besoin de financements
publics renforcés pour préparer notre avenir collectif. Dans l’entretien
que nous avons réalisé avec Antoine Guironnet, celui-ci
rappelle que le logement social en France avait été financé de
façon quasi exclusive par des financeurs publics, la finance privée
jugeant l’affaire trop risquée et pas assez rentable. Or, c’est
l’inverse qui se produit actuellement, avec l’entrée en scène des
investisseurs institutionnels dans le financement du locatif privé,
et le risque accru que la recherche de rentabilité ne vienne encore
augmenter le taux d’effort financier demandé aux ménages. La
politique d’austérité pousse les bailleurs sociaux à chercher de
nouvelles sources de financement, et les gestionnaires d’actifs
deviennent les nouveaux acteurs de l’aménagement urbain.
Logement abordable, rénovation urbaine, sources de financement…
Il est normal qu’une nouvelle politique du logement
prenne du temps avant de produire ses résultats, mais le cap
doit être clair dès le début ; c’est une urgence sociale mais aussi
démocratique. Ecoutons donc l’Union sociale pour l’habitat
lorsqu’elle appelle, comme tout récemment au moment des
élections européennes, à un « plan Marshall européen » pour le
logement, en référence au plan Marshall historique qui visait à
préserver la démocratie dans une Europe ravagée par la guerre.