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Face à la crise du Covid-19, la BCE doit préparer l’avenir

Wojtek Kalinowski , 30 avril 2020

Sans attendre la fin du confinement, il faut préparer l’économie de demain au lieu de vouloir reconstruire celle d’hier : c’est au fond le message de la lettre collective que nous venons d’adresser, avec 44 autres organisations européennes – think tanks, ONG, mouvements d’entrepreneurs – à la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde. Nous y demandons à l’institution de Francfort d’intégrer la lutte contre le changement climatique dans les mesures prises en réponse à la crise du COVID-19, et proposons cinq mesures précises et parfaitement compatibles avec son mandat actuel.

Depuis l’éclatement de la crise sanitaire, les banques centrales sont devenues une fois de plus un acteur central des plans de sauvetage. La BCE vient ainsi d’adopter une série de mesures d’ampleur inédite, même lorsqu’on les compare à celles prises dans le sillage de la crise des années 2007/08 : des nouveaux achats d’obligations pour 1 050 milliards d’euros ainsi qu’un assouplissement des conditions de crédit bancaire pouvant générer jusqu’à 3 000 milliards d’euro en liquidités supplémentaires, d’ici 2021.

Les montants peuvent paraître impressionnants mais l’assouplissement du refinancement des banques est devenu un outil peu efficace pour réamorcer l’économie productive : depuis 2008, le canal bancaire sert de moins en moins de courroie de transmission de la politique monétaire, les banques utilisant les nouvelles liquidités offertes par les banques centrales pour augmenter leurs réserves excédentaires devenues colossales, pour trouver quelques rendements dans le crédit immobilier ou dans la dette souveraine, pour gonfler les bulles financières dans les économies en développement, ou encore pour spéculer pour compte propre sur l’évolution de certaines classes d’actifs ou sur les marchés des dérivés.

Pour ce qui concerne les nouveaux achats d’actifs annoncés par la BCE, ils concernent à la fois la dette souveraine et les actifs du secteur privé. Pour ces derniers, on peut craindre les mêmes effets négatifs que nous avons observés au sujet du CSPP : des achats d’obligations qui veulent refléter « l’état du marché », c’est-à-dire qui profitent surtout aux très grandes entreprises actives dans les secteurs hautement carbonés.

Finalement, c’est les achats de la dette souveraine qui seront les plus utiles dans la mesure où les Etats utiliseront les fonds pour réparer et transformer l’économie européenne. Simplement, l’augmentation de la dette publique aura des conséquences sur leurs marges de manœuvre de demain, illustrée par l’agence de notation Fitch qui vient d’abaisser la note de l’Etat italien tout proche du seuil des junk bonds.

D’un côté, la transition souffre d’un sous-investissement chronique ; de l’autre, les financements des projets liés aux énergies fossiles ne montrent aucun signe de faiblir. Dans les deux cas, les banques centrales ont un rôle clef à jouer pour changer le comportement des banques et de la finance.

Or, comme le constate Jézabel Couppey-Soubeyran dans une récente note Veblen, la politique monétaire est aujourd’hui dans l’impasse. Celle de demain devra être beaucoup plus innovante pour contribuer réellement aux objectifs de la transition, à commencer par ceux de l’Accord de Paris sur le climat, et soutenir activement des projets comme le Green Deal européen, qui propose une feuille de route assez ambitieuse pour décarboner l’économie européenne mais qui attend toujours son financement.

Nos cinq propositions à Christine Lagarde s’inscrivent dans les opérations monétaires telles qu’elle sont déjà menées par les banques centrales. Elles ne prétendent donc pas révolutionner la politique monétaire et ne résolvent pas tous les problèmes, mais permettraient d’avancer rapidement dans le bon sens :

 Aligner les programmes d’achat d’actifs sur l’Accord de Paris sur le climat pour éviter de soutenir comme par le passé des entreprises des secteurs polluants ;

 Aligner ses opérations de refinancement du secteur bancaire sur l’accord de Paris pour contribuer à stimuler les prêts bancaires durables et combler le déficit d’investissements verts ;

 Soutenir l’investissement dans l’économie durable et coordonner ses opérations avec la Banque européenne d’investissement ou d’autres institutions européennes équivalentes ;

 Renforçant les règles prudentielles pour accroître la résilience du secteur bancaire européen aux risques climatiques et réduire les flux financiers « bruns » (par exemple, le financement des combustibles fossiles) ;

 Communiquer régulièrement aux représentants politiques sur l’état d’avancement en matière d’alignement de ses propres opérations et de celles du secteur bancaire européen sans son ensemble.

Organisations signataires de la lettre :

350.org | Positive Money Europe | New Economics Foundation | Oxfam | Greenpeace | Sunrise Project | BankTrack | urgewald | Trócaire | Reclaim Finance | WWF Europe | Climate Bonds Initiative | Veblen Institute for Economic Reforms | Club of Rome | Oil Change International | NGO Eco-team | Ember | FOCSIV Federation Italiana Christian NGOs | Edgeryders | ASUFIN | The Shift Project | Greentervention | Leave It In The Ground Initiative (LINGO) | Finance Watch | WWF Greece | Green Economy Coalition | Instituto Internacional de Derecho y Medio Ambiente (IIDMA) | Rethinking Economics | Economists for Future | Finanzwende | Observatorio de la Deuda en la Globalización ODG | Society for International Development (SID) | Réseau Action Climat France | Economic Democracy Finland | Secours Catholique-Caritas France | The Green New Deal for Europe | World Future Council | Klima Allianz Switzerland | Client Earth | Barcelona Institute for Global Health, ISGlobal | Centre des Jeunes Dirigeants | The Green Tank | SOMO | UNI Europa Finance | Axylia

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