Accéder directement au contenu

Comment mettre le numérique au service de la transition écologique ?

Richard Poisson, 24 décembre 2019

Compte-rendu de la conférence "La transition écologique et la transition numérique : alliées ou ennemies ?" le 25 novembre 2019 autour du livre "Pour une écologie numérique", d’Eric Vidalenc.

Intervenants

Eric Vidalenc, auteur de Pour une écologie numérique
Daniel Kaplan, co-auteur de l’Agenda pour un futur numérique et écologique, du collectif Transitions², et co-fondateur de la Fondation internet nouvelle génération
Samuel Sauvage, président co-fondateur de Halte à l’obsolescence programmée

Introduction

Selon l’étude « Empreinte écologique du numérique mondial », réalisée par le cabinet d’experts GreenIT en 2019, la fabrication et l’utilisation d’objets numériques génère 4% des émissions mondiales de CO2 en 2019, soit deux fois les émissions de la France. Cette part est amenée à exploser d’ici 2050, avec la multiplication d’objets numériques dans le monde entier. Si la « révolution numérique » renferme des promesses d’optimisation de l’industrie, des transports et de l’énergie, elle n’a rien d’une dématérialisation et pose donc un véritable défi écologique. Est-elle l’alliée ou l’ennemie de la transition ?

Résumé des interventions

Toute réponse à cette question doit tenir compte de notre dépendance au numérique. En reprenant Ivan Ilitch on peut parler de « monopole radical » au sens où notre vie quotidienne, nos courses, nos déplacements, nos démarches administratives, repose sur ces technologies. Il ne s’agit donc pas de revenir en arrière mais interroger leur place dans une société durable en utilisant le notion de sobriété : à quels besoins répondent-elles, en consommant quelles ressources, en produisant quels déchets ? Sous cet angle, la prolifération d’écrans publicitaires électroniques ou la multiplication d’activités très énergivores, comme le streaming, basées sur un modèle de rétention et d’addiction du consommateur, sont un véritable gaspillage. Il en est de même pour la produit de smartphones et ordinateurs victimes d’obsolescence programmée et dotés de circuits de vie courts. Si l’optimisation des réseaux électriques et la mobilité partagée présentent de nombreux intérêts, ces usages doivent subir le même examen. Il est par exemple plus efficace d’investir dans l’isolation d’un logement qu’installer une multitude d’appareils et capteurs intelligents pour optimiser son chauffage.

Cette démarche impose une rupture dans la manière que nous avons de concevoir la technologie. Les Les termes de « révolution industrielle », « révolution numérique » ou « transition numérique » traduisent la vision d’une technologie neutre et nécessairement meilleure, qui viendrait s’imposer à nous. L’étude de nos systèmes énergétiques montre qu’il n’en est rien, et que la croyance dans la venue d’une technologie à même de résoudre tous nos problèmes explique l’urgence écologique dans laquelle nous sommes. Le gaspillage et la sobriété sont des notions subjectives, la question posée est donc bien plus politique que technique.

Cette réflexion est animée par des acteurs comme la Fondation internet nouvelle génération (la Fing), qui sort en 2019 l’agenda pour un futur numérique et écologique avec l’ADEME, l’Iddri, Inria, GreenIT.fr, le Conseil National du Numérique et Explor’ables, synthétisant trois ans de réfelxion collective sur le sujet. Il part du constat que la transition écologique « connaît sa destination mais peine à dessiner son chemin » et la transition numérique est « notre quotidien, une force permanente de changement mais qui ne poursuit pas d’objectif collectif particulier » et propose de dépasser les approches purement techniques du sujet pour privilégier l’action collective. Cette dernière doit servir de support pour défendre l’économie circulaire, la sobriété dans la fabrication des produits, dans les transports ou l’énergie, ainsi que garantir la transparence et l’ouverture des nouvelles technologies. Cette réflexion est prolongée dans le cadre de la campagne de prospective RESET.

Des avancées politiques peuvent d’ailleurs être remarquées sur des sujets comme celui de l’obsolescence programmée, qui est considérée comme un délit depuis 2015 en France. Hop a sur cette base attaqué Apple et Epson. Ces initiatives sont essentielles pour lutter contre des pratiques qui gaspillent de l’énergie, des ressources ainsi que le pouvoir d’achat des ménages. C’est d’autant plus problématique que l’essentiel des impacts écologiques des objets numériques sont réalisés lors de leur fabrication. Cela montre l’importance du réemploi et de la durée de vie, en plus du seul recyclage. On peut à cet égard se féliciter de la présence de ces questions dans le projet de loi sur l’économie circulaire actuellement en cours d’examen au Parlement, qui prévoit une législation sur obsolescence logicielle. S’il prévoit la mise en place d’un indice de réparabilité, c’est un recul relatif par rapport à un indice de durabilité ou une extension des garanties. Selon HOP, il faut aller beaucoup plus loin si on veut être à la hauteur [1] et proposer :

  • Des critères sur la durabilité, y compris logicielle
  • Des exigences sur les durées de disponibilité des pièces détachées (sur 10 ans ?)
  • Une TVA réduite sur les réparations
  • Des garanties plus longues
  • Une taxe à même de refléter le contenu en terres rares de nos équipements

Conclusions

Pour Eric Vidalenc :

  • Il faut certainement prendre en compte le caractère invisible de l’impact du numérique et avoir pour objectif de rendre cette impact plus visible, ce qui responsabiliserai les consommateurs.
  • Apprécier que le rythme effréné de consommation autour du numérique entraine une gabegie colossale qui doit faire l’objet de notre attention.

Pour Daniel Kaplan : il faut veiller à ne pas oublier que le numérique est le produit de mouvements longs. Dans ce contexte la transformation numérique est complexe d’autant plus que cette technologie est à la fois catalyseur, et élément d’ébriété.

Pour Samuel Sauvage : le numérique décuple les points forts du capitalisme en « marchandisant » les données personnelles d’une part et l’idéal des français n’est pas celui de l’homme augmenté mais plutôt un idéal écologique prenant en compte un temps de vivre d’autre part.

Questions

  • Comment peut-on dire que la transition numérique est-elle sans but alors qu’elle va, à la manière du vivant, vers toujours plus de complexification ?
    C’est une question complexe. L’expression employée ici renvoie plutôt à la capacité de ces technologies a avoir du sens pour nos sociétés dans leur ensemble. C’est pour cela qu’il faut saisir les besoins auxquels elles peuvent répondre, et les consommations que cela implique. L’appropriation du numérique par une minorité d’agents cherchant à extraire des rentes au détriment de l’environnement et des êtes humains n’a pas de sens au niveau collectif.
  • Vous évoquez le potentiel du numérique, notamment dans l’agriculture. C’est très discutable, ne va-t-on pas vers un modèle semblable à celui des OGM où le cadre juridique est tel que ces technologies assurent des rentes à leurs producteurs et enferment leurs utilisateurs ?
    C’est là tout le sens de l’expression "la technologie n’est pas neutre". Elle est imaginée, financée, produite, valorisée et utilisée par des acteurs différents, dans un espace social donné, structuré par des rapports de forces. Cet état de fait ne doit induire un biais "anti-technologique" mais au contraire invite à voir la question comme une question politique. Il s’agit, si l’utilisation du numérique est pertinente dans un secteur donné, d’assurer l’ouverture et la transparence de ces technologies. En ce qui concerne l’agriculture, le numérique par ses optimisations ne doit pas occulter les grands choix à faire par ailleurs (en l’occurrence ne plus consommer de viande rouge, plutôt que d’optimiser les rendements). La loi doit évoluer pour que les fonctionnements et contenus soient rendus publics. Toutefois les évolutions juridiques sont difficiles vu la qualité des lobbyistes du secteur. L’approche frontale est donc à remplacer par une approche plus subtile (par exemple la possibilité qui apparaît de pouvoir utiliser nos propres données personnelles pour laquelle le débat a été déplacé sur un terrain plus accessible).
  • La neutralité du net est-elle un enjeu important dans le débat ?
    Il s’agit déjà de définir la neutralité du net : garantir à tous les contenus et à tous les usages d’internet un accès égal au réseau. Le transport d’information ne coûte quasiment rien, ce sont les serveurs et les data centers qui comptent réellement. Ce que devient le net est tout un sujet, mais l’état actuel montre combien on a trop fait confiance à la technologie seule pour faire d’internet un espace réellement en commun.

[1A noter qu’au sein de la convention citoyenne, ce sujet est abordé car cette obsolescence des produits impacte plus les pauvres. Le problème écologique se double d’un problème social (cf Gilets Jaunes)

Abonnez-vous à la Newsletter