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EDITORIAL - OCTOBRE 2015

Changer de lunettes

De nouveaux indicateurs au service de nouvelles finalités

Philippe Frémeaux, 12 octobre 2015

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Le gouvernement doit présenter cette année, en parallèle au dépôt du projet de loi de finances, un rapport évaluant les politiques publiques passées et à venir à l’aune d’autres indicateurs que le seul PIB et sa croissance, et notamment leurs effets sur l’environnement et les inégalités. La publication de ce rapport fait suite à l’adoption par le Parlement, en avril 2015, de la proposition de loi déposée par Eva Sas, député écologiste de l’Essonne, qui marque un premier pas dans la remise en cause de l’hégémonie du PIB.

Que reproche-t-on exactement au PIB ?

La critique du PIB comme seul indicateur de la bonne santé du pays, ne date pas d’aujourd’hui. Elle a été portée par des personnalités comme Jean Gadrey, Florence Jany-Catrice, Dominique Méda, ou encore Patrick Viveret. Les travaux de la commission Stiglitz, réunie en 2008-2009, lui ont ensuite donné une reconnaissance officielle, mais il a fallu attendre cette année pour que les insuffisances du PIB soient inscrites dans la loi. Quel est le problème ? Il est que le PIB ne compte que les flux de richesse monétaires. Il ne prend en compte ni le bénévolat, ni le travail domestique, qui concourent pourtant de manière essentielle à notre qualité de vie. Quand les gens travaillent toujours plus et n’ont plus le temps de s’occuper d’eux-mêmes ou de leurs enfants, le PIB augmente alors qu’on vit tous moins bien ! Le PIB ne dit rien non plus des inégalités, dont on sait qu’elles ont une influence majeure sur le bien-être collectif comme l’ont démontré Richard Wilkinson et Kate Pickett dans leur livre « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous », publié en France en 2013 (chez Les petits matins/Institut Veblen en partenariat avec Etopia). Enfin, il ne prend pas en compte les conséquences de l’activité économique sur l’environnement. Le PIB croît quand les émissions de gaz à effet de serre augmentent, et avec elle, le changement climatique. Bref, il est devenu totalement inadapté aux défis d’aujourd’hui.

Comment (et qui doit) choisir les bons indicateurs

Le choix des indicateurs a une dimension technique. Mais il est aussi, voire surtout, profondément politique. La question n’est pas seulement « que compte-t-on ? » mais « qu’est-ce-qui compte vraiment ? ». La réponse ne peut évidemment pas être laissée aux seuls experts et doit être au centre du débat démocratique. Derrière le débat sur les " bons " indicateurs de richesse, ce sont bien les finalités de l’action publique, et au-delà, les objectifs que se donnent notre société, qui sont en cause. La publication de ces indicateurs de richesse complémentaires n’est donc pas une fin en soi comme le souligne le rapport que l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale - l’Idies - l’Institut Veblen et la Fondation de l’écologie politique viennent de publier. Elle n’a de sens que si elle influe sur les priorités que se donne la puissance publique afin de rendre l’activité économique plus soutenable et la société moins inégale.

Sortir de l’hégémonie du Pib : un enjeu collectif

Faire croître le PIB – l’actualité nous le rappelle tous les jours – est LA priorité de nos gouvernants. Pour autant, les médias, le système éducatif et la communauté universitaire – à commencer par les économistes – ont aussi une lourde responsabilité du fait de leur influence sur la formation de l’opinion. Ils participent à entretenir la centralité du PIB et de sa croissance comme seul indicateur du progrès de notre société. Une posture que vient justifier le chômage de masse, la croissance demeurant synonyme d’emploi et l’emploi, d’accès au revenu. Or, dès lors que le retour à une croissance forte et durable n’est ni souhaitable, ni possible, il faut impérativement changer de lunettes car il n’est pas sérieux de compter sur un hypothétique retour de la croissance pour faire baisser le chômage et assurer un revenu décent à tous. Notre défi aujourd’hui est de s’assurer que l’activité économique, indépendamment de son niveau, profite effectivement à tous. Il est donc plus que temps de remettre l’imagination au pouvoir. La loi Sas n’y suffira pas même si c’est un premier pas qu’il faut saluer.

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