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Nouvelle enquête sur les coûts du Traité de la Charte de l’Energie pour les contribuables et le climat

Sara Lickel, 23 février 2021

Les journalistes de Investigate Europe publient aujourd’hui de nouvelles révélations sur le Traité de la Charte de l’Energie, confirmant son caractère climaticide et l’étendue de son pouvoir de nuisance.

Le groupe de journalistes indépendants Investigate Europe révèle à quel point le carcan dans lequel nous enferme ce traité de protection des investissements énergétiques compromet la tenue des objectifs climatiques et la transition énergétique dans son ensemble. L’infrastructure fossile protégée par le TCE dans l’Union Européenne, le Royaume-Uni et la Suisse s’élève ainsi à 344,6 milliards €, soit plus de deux fois le budget annuel global de l’UE. Et les trois quarts des investissements protégés concernent le gaz et le pétrole, ainsi que les pipelines.

En d’autres termes, cela veut dire qu’une entreprise de l’industrie fossile peut attaquer un Etat devant un tribunal d’arbitrage privé pour contester toute politique publique qui nuirait à ses intérêts telles que des mesures de lutte contre le changement climatique, par exemple une sortie du charbon. Les montants de compensation financières que l’entreprise peut réclamer par le biais du Traité de la Charte de l’Energie correspondent non seulement à la valeur de l’investissement réalisé, mais aussi à la perte des profits futurs escomptés. Si l’équivalent de 344,6 milliards € d’infrastructures fossiles sont aujourd’hui protégés, les sommes d’indemnités réclamées pourraient être bien supérieures.

Les Pays-Bas ont ainsi adopté en 2019 une loi décrétant la sortie du charbon pour la production d’électricité d’ici à 2030. Ils viennent de se voir attaquer par l’entreprise allemande RWE qui réclame 1.4 milliards de compensation pour une usine en activité depuis 2015.

La menace d’un procès suffit parfois à réduire la portée de lois environnementales. En France, en 2017, l’entreprise canadienne Vermilion a menacé le Conseil d’État de poursuites au moment de l’examen de la loi Hulot sur les hydrocarbures, et obtenu gain de cause puisque le gouvernement a retiré la mesure incriminée, affaiblissant considérablement la portée de la loi.

Les révélations de Investigate Europe confirment nos travaux : la transition écologique sera impossible tant que l’Europe ne sera pas sortie du TCE. Pour chaque mesure climatique un tant soit peu ambitieuse, les gouvernements risqueront des poursuites et des indemnités colossales. Nous avons besoin d’orienter l’argent public vers la transition écologique et la reconversion de notre modèle industriel et non pour enrichir les pollueurs.

Le TCE
Le traité sur la charte de l’énergie est un traité international de coopération énergétique. L’UE et tous les États membres de l’UE, à l’exception de l’Italie, sont membres du traité. Il a été signé en décembre 1994, dans un contexte de sortie de Guerre Froide, pour protéger les investissements énergétiques malgré l’instabilité politique de certains pays. Il est aujourd’hui fortement critiqué pour son incompatibilité avec l’accord de Paris sur le climat. C’est en effet le principal traité international utilisé par les entreprises fossiles pour contester les décisions gouvernementales visant à protéger l’environnement ou à lutter contre le changement climatique, à travers l’arbitrage d’investissement. De plus, deux tiers des cas de différends entre investisseurs et Etats aujourd’hui sont intra-européens.

Le processus de modernisation
Ce processus a été lancé en 2009 au moment du retrait de la Russie du TCE et devait se conclure à la fin de l’année 2020, selon le calendrier annoncé en 2019. S’il est difficile de suivre en détail le contenu des négociations en raison de l’opacité forte du processus, l’UE apparaît clairement comme le membre le plus actif et certainement celui qui a le plus d’attentes vis à vis du résultat. Le Japon qui est à ce jour le principal pays contributeur au TCE s’est par exemple déclaré opposé à des modifications sur l’ensemble des 25 sujets de modernisation du traité. Et beaucoup d’autres membres ne prennent pas activement part aux discussions. Ainsi, l’UE a essuyé plusieurs refus de la part des autres membres du TCE en essayant de proposer une simple mention de l’Accord de Paris ou du droit des parties de réguler ou même de mettre à l’agenda la question de la réforme du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Mais même les propositions promues par l’UE ne sont pas suffisantes pour aligner le TCE avec l’accord de Paris. En vue de la prochaine session de négociation qui aura lieu du 3 au 5 mars 2021, la Commission Européenne propose par exemple de maintenir la protection des fossiles pendant encore 10 ans, et le gaz jusqu’en 2040.

Et de fait, la règle de l’unanimité qui prévaut pour tout amendement au traité rend toute perspective d’évolution très peu réaliste. Le principal risque est que les négociations s’enlisent et que le stock des investissements fossiles bénéficiant d’une protection excessive continue d’augmenter, en contradiction complète avec le Green Deal et la loi climat. C’est pourquoi, 300 parlementaires européens (du parlement européen et de parlements nationaux) ont demandé à la Commission d’envisager une voie de sortie de l’accord d’ici la fin de l’année 2020 en cas d’échec des négociations, et 400 personnalités et leaders climatiques ont signé une lettre ouverte en décembre dernier demandant à l’Union Européenne de se retirer du TCE.

Ressources :
1. Sur l’entreprise canadienne Vermillion et la loi hydrocarbures de 2017 en France : https://10isdsstories.org/cases/case5/
2. Pour en savoir plus sur la lettre ouverte des personnalités climatiques : http://www.endfossilprotection.org/fr
3. Sur la mobilisation large de la société civile, des investisseurs, des renouvelables, des jeunes pour le climat : http://www.endfossilprotection.org/...

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