Chronique publiée dans Alterecoplus le 13/09/2016
Pas moins de quinze candidats à la présidentielle se sont bousculés au Grand Oral de l’Élysée organisé dans le cadre des « Assises du produire en France », à Reims, le 9 septembre dernier, afin d’exposer leurs propositions pour promouvoir le « Made in France ». La question du marquage de l’origine des produits a été cœur des discussions. Un renforcement des règles de traçabilité pourrait en effet permettre au consommateur d’en savoir plus sur le lieu de fabrication, la qualité, et ce faisant sur les conditions de production des biens qu’il achète.
Contrairement à d’autres pays comme les États Unis, le Canada ou le Japon, en France, l’indication d’origine n’est obligatoire que pour une poignée de produits à usage alimentaire : les fruits et légumes, les viandes bovine, de porc, de volaille, de mouton et de chèvre non transformées, les produits de la pêche, le miel et l’huile d’olive. Pour tout le reste, il revient au fabricant de décider s’il souhaite mettre en avant l’origine de son produit, en respectant un certain nombre de règles, voire en utilisant un label tel qu’Origine France Garantie. L’information est donc très incomplète et la traçabilité n’est de mise que pour certains produits pour lesquels elle constitue un argument de vente. S’il semble de bon sens pour les promoteurs du « Made in France » d’aller vers un marquage obligatoire de l’origine, c’est pourtant loin d’être chose facile.
L’opinion publique favorable
Au sein de l’UE, l’adoption de règles nationales contraignantes de marquage n’est pas autorisée. Et les efforts visant à faire évoluer ce cadre peinent à se concrétiser, en dépit des débats souvent passionnés aux parlements français ou européen. En réponse au scandale de la viande de cheval, la France a par exemple dû obtenir une dérogation de la part de l’Union européenne pour expérimenter pendant deux ans, à partir du 1er janvier 2017, une obligation d’afficher l’origine des ingrédients (viande et produits laitiers) pour les plats préparés. Et encore, cette obligation ne couvre pas l’ensemble des ingrédients (le beurre, la crème, le fromage ou la poudre de lait sont exemptés) et les seuils à partir desquels il faudra déclarer l’origine des produits restent encore à définir. De telles initiatives recueillent pourtant un fort soutien dans l’opinion publique : « plus de 90 % des Européens considèrent que l’étiquetage sur l’origine des produits est important pour les aliments transformés », selon un rapport de la Commission européenne de 2013.
Au niveau international, dans les accords commerciaux, les règles d’étiquetage sont également souvent considérées comme des barrières techniques au commerce, c’est à dire des obstacles pour les exportations des pays tiers et peuvent faire l’objet de conflits entre les pays. Suite à un différend avec le Canada et le Mexique, les États Unis ont dû abandonner fin 2015 leur règle d’étiquetage obligatoire d’origine du porc et du bœuf qui jouissait pourtant d’un fort soutien au sein de la population et des producteurs. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait en effet accordé aux pays voisins le droit de sanctionner commercialement les États-Unis à hauteur d’un milliard de dollars par an si la loi n’était pas supprimée, invoquant son caractère discriminatoire à l’égard des importations.
TTIP et CETA : les règles d’étiquetage en danger ?
Les représentants de l’industrie alimentaire américaine avaient, eux, farouchement combattu cette loi. Rien ne leur interdirait, avec leurs homologues canadiens, de s’en prendre désormais aux règles d’étiquetage européennes existantes, ou de tenter de dissuader les États membres de l’UE d’aller plus loin. Les futurs accords commerciaux transatlantiques leur donneraient même de nouveaux instruments pour affaiblir la législation en Europe. A titre d’exemple, le CETA conclu entre le Canada et l’UE qui doit être ratifié dans les prochaines semaines, vise à limiter autant que possible les règles en matière d’étiquetage. Seules sont acceptées celles qui poursuivent des « objectifs légitimes », en veillant à nuire le moins possible au commerce ; parmi lesquels l’accord liste notamment « la sécurité nationale, la prévention de pratiques de nature à induire en erreur, la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, de la vie ou de la santé des animaux, la préservation des végétaux ou la protection de l’environnement ». L’information du consommateur sur l’origine des produits entre t-elle dans cette catégorie ? Cette question fera sans doute l’objet de vifs débats.
Les négociations commerciales mettent également en lumière d’autres divergences fondamentales en matière de protection et d’information du consommateur. Pour l’heure, il n’y a pas d’animaux clonés autorisés à la consommation dans l’UE et s’il devait y en avoir, un étiquetage serait obligatoire. Pour les produits issus de la progéniture de ces animaux, il n’y a pas encore de règle. En revanche, aux US, la commercialisation et l’étiquetage des produits d’animaux clonés ne fait l’objet d’aucune législation contraignante. Au Canada, les produits issus d’animaux clonés doivent être notifiés par les producteurs et les importateurs et faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché, mais il n’y a pas de règle d’étiquetage. La présence de tels produits dans les exportations nord américaines vers l’Europe n’est donc pas traçable.
En parallèle de l’ouverture des négociations du TTIP, le traité de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne, la Commission européenne proposait donc d’autoriser la commercialisation de viande et de lait issus de descendants d’animaux clonés. Le Parlement européen s’y est opposé et exige un traitement équivalent aux autres produits clonés. Dans un document interne, l’ex-Commissaire européen plaidait pour des règles moins strictes, brandissant le risque d’un conflit commercial : « Une interdiction des aliments issus de la progéniture de clones serait très très difficile à défendre (…). Au delà d’un risque de contentieux à l’OMC, il y a le risque d’une réaction défavorable immédiate dans nos relations commerciales qui détruirait nos échanges commerciaux avec les États-Unis et le reste du monde ».
Faire évoluer le cadre européen
Tout renforcement des règles de transparence et d’information du consommateur sur l’origine des produits supposera donc de faire évoluer le cadre européen. Cela ne semble pas impossible car ces questions sont déjà abondamment discutées à Bruxelles et la pression citoyenne s’accroît au rythme des scandales. Encore faut-il que l’UE et les pays membres préservent leur capacité de réguler en la matière et s’abstiennent de prendre des engagements contraires dans le cadre des accords en préparation avec le Canada et les États-Unis.
Pour aller plus loin :
– Note sur les règles d’étiquetage dans les négociations commerciales transatlantiques
– Note sur les indications géographiques dans les négociations commerciales transatlantiques
– Note sur les marchés publics dans les négociations commerciales transatlantiques