Le changement climatique pourrait coûter 36.500 milliards d’euros par an de dégâts selon la Commission européenne. (AFP)
Par Jézabel Couppey-Soubeyran (maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur associée à l’École d’économie de Paris), Wojtek Kalinowski (directeur de l’Institut Veblen), Margaux Falise (chargée de plaidoyer à l’Institut Veblen)
Le débat sur l’Omnibus - ce texte qui vise à simplifier les lois européennes sur la durabilité - se poursuit au Parlement européen et au Conseil. Il propose de modifier deux lois emblématiques : la CSRD - soit l’obligation de reporting des entreprises sur leurs impacts environnementaux et sociaux - et la CS3D - le « devoir de vigilance » qui impose aux entreprises d’améliorer leurs activités -.
Un report de deux ans de la CSRD et d’un an de la CS3D a été acté au Parlement le 3 avril dernier. Il reste à déterminer à quel point ces textes seront affaiblis, ou au contraire sanctuarisés. Certains pointent du doigt les coûts de ces contraintes de reporting et leur lourdeur bureaucratique qui pourraient faire peur aux investisseurs et aux entreprises étrangères.
Commençons par rappeler que, parmi toutes les modifications proposées, une seule simplifie réellement la réglementation : la réduction du nombre d’indicateurs dans la CSRD. Nous ne remettons pas en question la pertinence de cette simplification. Mais de nombreuses autres mesures suscitent l’alerte des économistes et des entreprises elles-mêmes.
Les lois sur la durabilité, meilleures alliées de la compétitivité
On y trouve la suppression de normes sectorielles alors que celles-ci permettent de mieux comprendre la réalité de chaque secteur (CSRD) ; la suppression de l’obligation de mettre en place des plans de transition qui met de facto un coup d’arrêt à toute exigence de changement (CS3D) ; la suppression du régime européen de responsabilité civile qui nous renvoie à une Europe fragmentée, incohérente, où les régimes juridiques peinent à converger (CS3D).
Quelques rappels de faits s’imposent. Selon la BCE, quand une entreprise s’implante dans l’Union européenne, elle considère d’abord les risques géopolitiques et climatiques - des facteurs que le Pacte vert entend améliorer, faisant des lois sur la durabilité les meilleures alliées de la compétitivité. La réglementation en vigueur ne vient qu’en troisième position.
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Un coup de rabot aux politiques de durabilité ne permettra pas d’attirer de nouvelles entreprises - bien au contraire. On nous rétorquera que le vrai risque est la fuite hors de l’UE vers une économie plus performante outre-Atlantique. Mais quel investisseur, aujourd’hui, prendrait le risque de partir subir les montagnes russes financières aux Etats-Unis pour s’éviter de remplir un tableau Excel en Europe ?
La fuite des capitaux vers les Etats-Unis observée ces dernières années tient en outre à bien d’autres facteurs que le reporting, à commencer par le sous-investissement chronique en Europe et la délégation de leurs placements à des gérants d’actifs américains.
1 % des entreprises européennes concernées
D’autre part, la mise en conformité avec la CSRD et la CS3D ne représente, dans le pire des cas, que 0,1 % du chiffre d’affaires d’une entreprise et des standards allégés pour les PME limitent encore ces coûts. Cette exigence ne s’applique qu’à 1 % des entreprises européennes, c’est-à-dire seulement aux donneuses d’ordres. Les banques françaises se sont rangées unanimement derrière la CSRD lors de son adoption, reconnaissant la nécessité absolue d’indicateurs communs et fiables. Pourquoi les supprimer alors que nous pouvons les simplifier ?
Ces lois n’exigent rien d’autre des entreprises que de fournir des informations et rassembler des moyens pour respecter les engagements européens. C’est une approche non invasive, fruit de longues négociations passées.
C’est plutôt le manque d’ambition des textes et la faiblesse des outils d’accompagnement qui posent question. Le changement climatique reste une menace existentielle pour l’économie qui pourrait nous coûter 36.500 milliards d’euros par an de dégâts selon la Commission européenne et 25 % de perte d’EBITDA dans les secteurs les plus exposés. À titre de comparaison, l’Omnibus ferait économiser 5 milliards d’euros à nos entreprises. Qui accepterait de s’endetter de 36.000 euros pour acheter aujourd’hui une glace à 5 euros ?
Affirmer un modèle alternatif face à Trump
Ce dont l’Europe a besoin, la Commission l’a identifié, et cela rejoint ce que les entreprises françaises demandent réellement : le maintien de l’ambition du texte (pour 80 % d’entre elles), des normes sectorielles (pour 72 % d’entre elles), et un meilleur accompagnement.
Le Ministre de l’Economie, Eric Lombard, représente la France au Conseil de l’UE. Il a l’opportunité et la responsabilité de défendre la voix des entreprises, qui, en large majorité, souhaitent le maintien des textes. De ramener le débat vers des éléments rationnels sans céder aux sirènes du court-termisme.
Si l’UE simplifie les indicateurs en maintenant le cadre et l’ambition de ces lois, nos entreprises auront au moins une chance de survivre et s’adapter à la tempête climatique qui vient. D’enfin investir dans les secteurs d’avenir. Et d’affirmer un modèle alternatif à celui que Trump modèle à son image de l’autre côté de l’Atlantique.
Jézabel Couppey-Soubeyran est maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Margaux Falise est chargée de plaidoyer à l’Institut Veblen.
Wojtek Kalinowski est directeur de l’Institut Veblen.
Jézabel Couppey-Soubeyran, Margaux Falise, Wojtek Kalinowski