Chronique publiée dans Alterecoplus, le 02/02/2016
Mangerons nous bientôt du poulet au chlore, du bœuf aux hormones, des OGM ou des produits issus d’animaux clonés, sans le savoir ? C’est ce que redoutent les citoyens mobilisés contre le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, en négociation depuis 2013. La Commission européenne se veut, elle, très rassurante et nie toute velléité de modifier les modèles européens d’agriculture et d’alimentation. Dans une brochure d’information sur les idées reçues autour du projet de grand marché transatlantique, elle répond aux citoyens : « le TTIP maintiendra sans réserve les normes de sécurité alimentaire et la manière dont elles sont fixées par l’Union ».
Ces efforts de clarification sont pourtant directement contredits par le ministère de l’agriculture américain, qui dans sa dernière étude, publiée en novembre 2015, ne cache pas ses ambitions pour la promotion de ses exportations agricoles. Ce document analyse plusieurs scénarios d’ouverture des marchés. Le premier consisterait à lever uniquement les barrières tarifaires et le second ajoute l’abolition de certaines barrières non tarifaires. C’est à dire qu’au delà des droits de douane et des quotas, un certain nombre de règles européennes identifiées comme problématiques par les exportateurs américains pourraient être supprimées. Or dans la liste des obstacles à éliminer, on retrouve : l’interdiction du mais et du soja OGM, des solutions de rinçage contre les agents pathogènes (poulet au chlore et bœuf à l’acide lactique) ou du recours à des hormones de croissance pour le bœuf et des bêta-agonistes pour le porc ainsi que l’élévation des plafonds de résidus de pesticides autorisés (parfois 500 % plus élevés aux US que dans l’UE). Dans tous les cas, les agriculteurs américains seraient avantagés par rapport aux européens, avec notamment une baisse des prix et des exportations agricoles totales en Europe et une hausse aux États Unis. L’élimination des règles issues du principe de précaution européen ferait monter en flèche les exportations américaines (de 685 % à 966 % pour le bœuf, de 181 à 3983 % pour le porc, de 197 à 33 505 % pour la volaille, de 30 à 62 % pour les fruits, 16 à 153 % pour les légumes). Et l’accord pourrait permettre ainsi de combler le déficit agricole américain avec l’UE.
Le dernier scenario mentionne un possible effet d’atténuation s’il s’avérait que les règles en question ne sont pas seulement destinées à barrer la route aux produits étrangers mais correspondent effectivement à des préférences collectives des consommateurs européens. Ces derniers pourraient alors continuer de choisir en priorité des produits locaux.
Encore faut-il que les règles d’étiquetage permettent d’identifier réellement l’origine et les conditions de production des aliments et que les producteurs européens exposés à une concurrence accrue ne se voient pas contraints de s’aligner sur les pratiques américaines. Une autre étude, publiée en janvier, par UnternehmensGrün rappelle que les produits génétiquement modifiés américains ne sont pas soumis à une obligation d’étiquetage contrairement aux produits européens dès lors qu’ils contiennent plus de 0,9 % d’OGM. Selon les auteurs de ce rapport, les négociations pourraient aussi empêcher les gouvernement de faire progresser leurs législations sur le sujet et mettre en échec le projet du gouvernement allemand d’étiquetage des produits (lait, œufs, viande) issus d’animaux nourris aux OGM. Les produits issus d’animaux clonés, autorisés aux États Unis, pourraient ne pas non plus être traçables. UnternehmensGrün précise par ailleurs que la proposition européenne publiée en 2015, dans le cadre des négociations du TTIP, d’adopter les limites internationales de résidus de pesticides (du Codex Alimentarius) reviendrait à rehausser ces plafonds pour plusieurs substances en Europe. Contrairement aux déclarations de la Commissaire européenne au commerce, cette proposition conduit ainsi à abaisser le niveau de protection du consommateur.
Pour finir, les États-Unis s’opposent a à la reconnaissance des indications géographiques protégées, comme l’a rappelé, Tom Vilsack, leur Ministre de l’Agriculture, en visite à Bruxelles à la fin de l’année dernière : « Ce qui nous inquiète, c’est que cela entrave ou empêche l’accès au marché de produits qui sont vendu sous un nom que nous estimons relativement générique depuis des décennies (…) Nous pensons également que l’accord TTP récemment négocié avec nos amis du Pacifique crée un système de double processus, qui n’existait pas, et qui permet de remettre en question la justification d’une indication géographique protégée. »
Bien sûr, ce n’est pas parce les États Unis ont des attentes fortes dans le secteur agricole que les négociateurs européens les accepteront. Mais il s’agit d’une négociation et Washington exerce une pression importante sur ce volet. Tom Vilsack s’est montré très clair : « si nous ne résolvons pas ces questions complexes et épineuses [les OGM, les hormones de croissance et les indications géographiques protégées]… ou si nous décidons de ne pas les traiter parc qu’elles sont trop difficiles, alors à mon avis, nous n’aurons pas d’accord sur le TTIP ». Pour obtenir un accord final, l’Union européenne pourrait ainsi bien être obligée de faire des concessions dans ce domaine, contrairement aux objectifs affichés.