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EDITORIAL - MAI 2015

Faut-il vraiment "reconquérir la biodiversité" ?

Aurore Lalucq

Aurore Lalucq, 19 avril 2015

Très attendue par les défenseurs de la nature, la loi "pour la reconquête de la Biodiversité, de la Nature et des Paysages" a été adoptée le 24 mars dernier en première lecture à l’Assemblée nationale.
Les raisons de se réjouir de son contenu sont malheureusement peu nombreuses. Notons tout de même parmi les points positifs : la création d’une agence de la biodiversité, l’intégration à la loi du concept de « solidarité écologique » et surtout l’interdiction des néonicotinoïdes, ces pesticides responsables de la hausse de la mortalité des abeilles.

Le chalutage en eaux profondes n’est toujours pas interdit

La grande absente de cette loi reste l’interdiction du chalutage en eaux profondes. Si l’Etat français n’a de cesse de se targuer d’être le deuxième plus grand territoire maritime de la planète, la protection de la biodiversité sous-marine ne semble pas être sa priorité.
Dommage, car comme l’a rappelé la députée du Val-de-Marne Laurence Abeille, le chalutage profond constitue un véritable massacre de la biodiversité, pour des retombées économiques très minces. Difficile alors de comprendre un tel silence législatif d’autant plus qu’il était possible, face aux lobbies, de s’appuyer sur la mobilisation citoyenne. Pour mémoire, la pétition lancée en 2013 par l’association Bloom qui milite pour une interdiction de la pêche en eaux profondes a recueilli plus de 889 000 signatures.

L’introduction de la compensation

En revanche, l’idée de « compenser » les dégâts écologiques engendrés par l’aménagement du territoire est bien présente dans le texte, où il est en outre fait référence à des « opérateurs de compensation » (voir à ce sujet le billet de Maxime Combes)
De quoi s’agit-il au juste ? Les banques de compensations ont été créées en 1972 aux Etats-Unis, à travers le Clean Water Act. Destinées à compenser les destructions de zones humides, leurs compétences ont été étendues aux espèces en danger en 2006 (via le Endangered Species Act). On retrouve désormais ce type de banques un peu partout dans le monde, notamment en Australie (les Biobanques) mais aussi en Europe (en Hollande et en Allemagne notamment). Malgré quelques nuances, leur mode de fonctionnement est à chaque fois à peu près le même. Tout aménageur qui détruit un écosystème est censé compenser son impact négatif en achetant des crédits à une banque de compensation. Par exemple, un promoteur immobilier qui fait construire un hôtel à Miami doit compenser la destruction de la zone humide détruite à cette occasion. Pour ce faire, il peut acheter des crédits de compensation à une « banque de compensation ». La plupart du temps, ces banques anticipent les besoins des « aménageurs » en chargeant un opérateur de mettre en œuvre des actions écologiques (entretien d’une zone humide, plantation de végétation, introduction et protection de faune menacée, etc.)

Un manque flagrant d’évaluation

L’idée sous-jacente est en soi intéressante, puisqu’il s’agit à la fois de faire prendre conscience aux aménageurs du coût écologique de leurs actions et de réparer l’environnement abimé ou détruit. Cependant dans la pratique, cette solution ne soulève guère d’enthousiasme. Ainsi, beaucoup de spécialistes de la biodiversité estiment manquer de recul pour pouvoir analyser les résultats écologiques (et économiques) des banques de compensation. De plus, les bilans – notamment ceux publiés par le Commissariat général au développement durable – sont jusqu’à présent plutôt mitigés, voire négatifs, et soulèvent un grand nombre d’interrogations : quid de la pérennité de l’action de la banque (la destruction de l’environnement est définitive mais la compensation sera-t-elle illimitée dans le temps ?) ? Quels sont les coûts de transaction de ce type d’opération ? Ce type de mécanisme permet-il réellement de protéger la biodiversité ? On notera que, pour tenter d’en savoir plus, une expérimentation organisée par la filiale Biodiversité de la Caisse des dépôts est en cours dans le sud de la France.

Déséquilibres écologiques et permis de détruire

Nombre d’écologues furent donc étonnés de la décision de généraliser le principe de compensation sans plus attendre, car cet outil n’a jamais prouvé son efficacité. Le problème des banques de compensation ne vient pas tant de leur aspect « banque » que de leur aspect « compensation ». Difficile en effet, voire impossible, de recréer un écosystème à l’identique. S’il est simple de détruire la mangrove, nous sommes incapables d’en recréer une de toute pièce. Même chose pour les zones humides. En d’autres termes, l’équivalence supposée est souvent factice en raison de la singularité des espaces à protéger et de l’incommensurabilité de leurs caractéristiques.
Par ailleurs, détruire ici et compenser là-bas accroit les déséquilibres écologiques. Reprenons notre exemple de notre promoteur immobilier de la ville de Miami. La destruction de la zone humide s’est faite en ville mais sera compensée en zone rurale. Or, c’est pourtant bien en ville que le besoin du pouvoir rafraichissant et régulateur de température de la zone humide se fait sentir. En délocalisant la compensation, nous ne faisons qu’accroitre les déséquilibres environnementaux.

Bonne nouvelle !

Non seulement cette solution n’en est pas une, mais elle risque d’engendrer à terme des effets pervers. En outre, le risque est réel que la compensation soit comprise comme un permis de détruire et ait pour conséquence d’accroitre la pression sur la biodiversité « en blanchissant des infrastructures et aménagements controversés » (voir l’appel de plusieurs dizaines d’association : "Nature is not for sale").
La bonne nouvelle, c’est que la loi biodiversité en est à sa première lecture. Il reste donc encore un peu de temps aux associations écologistes et aux sénateurs pour soumettre des amendements permettant réellement de « reconquérir la biodiversité », ou de nous laisser reconquérir par la biodiversité, au lieu d’en compenser sa destruction.

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