A travers l’exemple du projet de mine d’or à ciel ouvert de Rosia Montana en Roumanie (1), l’émission Envoyé Spécial diffusée le 16 novembre, a montré les failles systémiques et les dérives du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Ce dernier permet aux investisseurs étrangers d’attaquer un Etat suite à l’adoption de mesures dont ils jugent qu’elles portent atteinte à leurs intérêts. L’explosion du nombre de poursuites contribue à une érosion progressive de la capacité de réguler des Etats, notamment en matière environnementale et sanitaire.
Conscient des risques que fait peser ce système sur les politiques climatiques, le gouvernement français a proposé dans son plan d’action sur le CETA (2), de mettre en place un “veto climatique”. Ce veto permettrait d’écarter les plaintes des multinationales canadiennes à l’encontre des mesures ayant pour but de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Si l’objectif est louable, le gouvernement s’est malheureusement contenté de reprendre une formule suggérée par les experts de la Commission d’évaluation du CETA, en la vidant de son contenu.
La Fondation pour la Nature et l’Homme et l’Institut Veblen publient aujourd’hui une note de décryptage sur le “veto climatique”. Cette note montre que le “veto” proposé par le gouvernement ne pourra pas atteindre ses objectifs et proposent des mesures concrètes pour le mettre en place (3).
L’urgence est là car la Commission Européenne généralise ce mécanisme dans les accords de commerce qu’elle négocie. Pire, elle sollicite un mandat de négociation pour promouvoir une Cour multilatérale d’investissement qui pourrait avoir pour effet d’étendre encore plus largement les droits des investisseurs à l’ensemble des flux d’investissement internationaux (4). Ce mandat est en cours d’examen par les pays membres et pourrait être délivré dans les prochaines semaines.
Si le véto climatique pourrait permettre d’écarter certaines plaintes des investisseurs, il ne protégerait pas l’ensemble des politiques d’intérêt général. Des poursuites similaires à celles de Rosia Montana resteraient par exemple possibles. C’est pourquoi l’Institut Veblen et la FNH plaident pour une réforme beaucoup plus large du droit de l’investissement.
Notes
(1) L’entreprise canadienne, Gabriel Resource, comptait ouvrir la plus grande mine d’or à ciel ouvert d’Europe, à Rosia Montana, en Roumanie et aurait investi selon elle près de 630 millions d’euros dans ce projet. Mais face à l’extraordinaire mobilisation citoyenne, et à la mise à jour par les tribunaux roumains de l’obtention illégale de permis, le parlement roumain a finalement décidé d’interrompre ce projet. L’entreprise réclame désormais près de 4 milliards à la Roumanie en compensation des profits non réalisés, via un tribunal d’arbitrage privé, dans le cadre des accords bilatéraux noués avec le Canada et le Royaume Uni. Voir Poursuites investisseurs Etats : une vraie mine d’or. Une multinationale minière canadienne contraint les roumains à accepter la mine d’or toxique de Roşia Montană, AITEC, CEO, CIDRM, Mining Watch, Association Alburnus Maior, Mai 2017
(2) Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats ne fait pas partie des dispositions entrées en vigueur provisoirement le 21 septembre 2017. Il n’entrera en vigueur que si l’ensemble des pays membres ratifie le CETA. Sa compatibilité avec les traités européens est actuellement a fait l’objet d’une saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne par la Belgique, fin août 2017. Pour information, dans le cadre des traités d’investissement existants, les investisseurs canadiens sont les 5èmes plus grands utilisateurs de l’ISDS. Parmi les 55 plaintes recensées jusqu’en 2015, 62% concernaient les ressources naturelles ou le secteur de l’énergie et 58% la gestion des ressources naturelles ou des mesures de protection de l’environnement. Voir ‘A Losing Proposition. The Failure of Canadian ISDS Policy at Home and Abroad’, Canadian Centre for Policy Alternatives, August 2015.
(3) Note de décryptage sur le veto climatique, de l’Institut Veblen et de la FNH.
(4) Selon les estimations, la couverture des flux d’investissements directs à l’étranger par des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États pourrait passer de 15-20 % actuellement à 80 % si tous les accords envisagés sont signés. A propos de la proposition de la Commission européenne de Cour Multilatérale des investissement, voir la note de l’Institut Veblen.