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Examen des accords UE-Vietnam au Parlement européen

Mathilde Dupré, 21 janvier 2020

Le Parlement européen doit se prononcer le 12 février sur les accords de commerce et d’investissement entre l’UE et le Vietnam. Ce sont les premiers accords de ce genre examinés par les eurodéputés élus en 2019. Ces accords ne répondent pas aux défis urgents auxquels l’Europe et l’Asie sont aujourd’hui confrontées : la réduction des inégalités et de la pauvreté, la promotion de la transition écologique et sociale et l’atténuation du changement climatique.

Incompatibilité avec le Green Deal
Ils ne sont pour commencer pas compatibles avec la nouvelle stratégie « Green Deal » annoncée par la Commission européenne puisqu’ils ne contiennent aucune clause essentielle sur l’Accord de Paris contre le dérèglement climatique.
Dans sa résolution du 15 janvier 2020, le Parlement européen estimait pourtant que "le pacte vert pour l’Europe devrait garantir que tous les accords commerciaux et d’investissement internationaux comprennent des chapitres robustes, contraignants et applicables, y compris sur le climat et l’environnement, qui respectent pleinement les engagements internationaux, en particulier l’accord de Paris" et se félicitait "de l’intention de la Commission de faire en sorte que l’accord de Paris soit un élément essentiel de tous les futurs accords commerciaux et d’investissement et de veiller à ce que tous les produits chimiques, les matériaux, les denrées alimentaires et autres qui entrent sur le marché européen soient pleinement conformes aux règlements et aux normes de l’Union en la matière". Mais ce n’est clairement pas le cas des accords UE/Vietnam.

Incompatibilité avec les engagements du Gouvernement français
Ces accords ne sont pas non plus compatibles avec le pilier 3 du plan d’action CETA du Gouvernement français, publié en octobre 2017, sur la réforme de la politique commerciale :

  • Le chapitre développement durable de l’accord de commerce n’est toujours pas contraignant. Cela signifie qu’aucun vrai dispositif de sanction commerciale ne peut être envisagé en cas de non respect des engagements sociaux et environnementaux mentionnés dans l’accord.
  • Le principe de précaution en tant que tel n’est toujours pas protégé dans cet accord. Il y est fait référence dans l’article 13.11 du chapitre non contraignant sur le développement durable comme un des éléments à prendre en compte avec les informations scientifiques à jour dans la définition ou la mise en œuvre des règles sociales ou environnementales. Mais il n’est toujours pas mentionné dans le chapitre qui traite des règles sanitaires et phytosanitaires et qui reprend le socle des règles de l’OMC sur la base desquelles l’UE a été plusieurs fois condamnée pour avoir pris des mesures sur la base du principe de précaution.
  • La ratification des conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail n’est toujours pas une condition préalable à la signature ou à la mise en œuvre de l’accord. Le Vietnam n’a pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l’OIT. Il a certes annoncé son intention de ratifier en 2020 la convention 105 sur l’abolition du travail forcé et la convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical en 2023. Mais rien n’est prévu dans l’accord en cas d’absence d’avancées dans ce domaine ou de non mise en œuvre effective de ces engagements internationaux.

Un contexte de dégradation des droits humains
De façon plus générale, l’opportunité même de la ratification d’un accord avec ce pays pose question. La situation des droits humains particulièrement préoccupante a plutôt eu tendance à se détériorer depuis la fin des négociations, comme l’avait observé le Parlement européen lui-même dans sa résolution du 14 décembre 2017. Le système politique est étroitement contrôlé par un parti unique, sans réelle contestation possible. Les libertés d’expression, d’opinion, de presse, d’association et de religion, sont fortement restreintes. Dans ces conditions, les droits des agriculteurs et des travailleurs sont régulièrement bafoués. Et les défenseurs des droits humains, de l’environnement ou les blogueurs sont l’objet d’une répression importante. Les associations spécialisées dénoncent aussi le recours à la torture, la non indépendance de la justice et le travail des prisonniers. C’est pourquoi Human Rights Watch, la FIDH, Reporters sans frontières et de nombreuses autres ONG y compris vietnamiennes demandent que la ratification de l’accord UE-Vietnam soit reportée jusqu’à ce que la répression du gouvernement en matière de droits de l’homme ne cesse.

Appel aux eurodéputés

Or en matière de protection des droits humains :

  • Les accords ne prévoient pas d’évaluations périodiques de leurs impacts sur les droits humains, l’environnement et le climat et il n’y a pas de "clause de révision" pour revoir (certaines parties) de l’accord après sa ratification et sa mise en œuvre, sur la base d’études d’impact régulières sur le développement durable et les droits humains.
  • Le chapitre sur la protection de la propriété intellectuelle de l’accord de commerce pourrait par exemple constituer une menace immédiate pour la disponibilité de médicaments génériques à des prix abordables. Et il ne promeut pas non plus le principe du droit fondamental à l’alimentation et à des moyens de subsistance décents pour les petits producteurs et les communautés agricoles vulnérables dans la façon dont il traite les questions liées aux semences.
  • L’accord ne prévoit pas les exceptions adéquates pour autoriser des mesures de contrôle des flux de capitaux pour garantir la stabilité financière.
  • Il ne définit aucune obligation pour les investisseurs étrangers de respect des normes internationales reconnues en matière de droits humains, de conventions sociales, de politiques climatiques et environnementales.

Une nouvelle expansion de l’arbitrage d’investissement
L’accord de protection des investissements entre l’UE et le Vietnam contient des garanties substantielles bénéficiant aux investisseurs « étrangers » (c’est à dire vietnamiens dans l’UE et européens au Vietnam) et des dispositions procédurales instituant une juridiction chargée de juger les plaintes des investisseurs contre les États ou contre l’UE pour violation de leurs garanties.

  • Ce régime de protection est offert à tous les acteurs qui entrent dans la définition très large « d’investisseurs » vietnamiens ou européens (y compris les investissements de portefeuille, les obligations, les droits de propriété intellectuelle et le goodwill, etc.).
  • Cette protection est étendue à tous les secteurs d’activités, peu importent leurs impacts sur l’environnement et les droits humains.
  • Ces protections et la possibilité d’un recours au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats sont garanties pendant 15 ans après une éventuelle dénonciation de l’accord (article 4.15)
  • Il contient une clause parapluie très dangereuse, qui n’existait par exemple pas dans le CETA. L’article 2.5.6 prévoit en effet qu’un investisseur qui a conclu un accord écrit avec l’un des pays signataires de l’accord peut utiliser le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats en cas de non respect de ce contrat par le Gouvernement en question. Cela signifie que cet article élève les contrats signés entre investisseurs et Etats au même rang que l’Accord de protection des investissements lui-même.
  • L’accord contient une clause contenant un engagement des parties signataires d’entamer des négociations en vue de la création d’une Cour multilatérale des investissements qui risque de renforcer encore un régime international de protection des investissements qui permet aux investisseurs internationaux d’exercer un pouvoir excessif sur l’élaboration des politiques publiques.

Seul le volet investissement est considéré comme relevant de compétences mixtes entre l’UE et les États membres. Cela signifie qu’il devra être soumis aux procédures de ratification nationales pertinentes dans tous les États membres. C’est pourquoi la Commission européenne a choisi de découper l’accord unique initialement négocié en deux blocs distincts "commerce" et "investissement" pour éviter que l’accord de commerce ne puisse être bloqué par un vote négatif dans un Parlement national ou régional d’un des Etats membres.

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