Alors que la campagne pour les élections européennes 2024 débute, l’Institut Veblen, INTERBEV et la Fondation pour la Nature et l’Homme ont réuni des acteurs de l’alimentation, ce mardi 31 octobre à la Maison de la Chimie. Cette conférence, à laquelle ont participé Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire ; Antoine Pellion, Secrétaire général à la Planification écologique, des parlementaires, des représentants de cinq grandes filières agricoles françaises (ANVOL, AIBS, Intercéréales, Interfel, Terres Univia) et plusieurs organisations de la société civile (UFC que Choisir, IDDRI, Le Pacte Pour le Pouvoir de Vivre) a été conclue par la présentation, par les 3 organisations, de leur feuille de route partagée en faveur de la réciprocité des normes de production dans les échanges commerciaux.
La mise en place de mesures miroirs, permettant d’interdire l’importation de denrées agricoles produites avec des substances et pratiques interdites en UE (pesticides, antibiotiques activateurs de croissance...), est un sujet porté par l’Institut Veblen, la Fondation pour la Nature l’Homme et Interbev depuis 2015. C’est en février 2022, année de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), qu’elles font vraiment émerger le sujet à l’occasion d’une grande conférence organisée à Bruxelles.
Depuis, et malgré une « bataille culturelle » sur le sujet bien engagée, force est de constater que peu de décisions politiques concrètes ont été adoptées, la plupart des chantiers engagés en début de la Présidence restant inachevés.
Quelques rares avancées ont toutefois été obtenues pendant la PFUE, telle que l’adoption d’un règlement relatif à la déforestation importée, dont la robustesse reste à prouver dans sa mise en œuvre effective. Dans le même temps, des décisions bien concrètes ont, elles, été prises en ce qui concerne les accords de libre-échange : des accords ont été conclus avec le Chili et la Nouvelle-Zélande, les négociations se sont accélérées avec l’Australie et surtout, les discussions sur la ratification de l’accord UE-Mercosur se sont intensifiées.
L’application de mesures miroirs pour une réciprocité des normes dans les échanges commerciaux devient donc une urgence pour protéger les filières agricoles européennes et rendre possible l’accélération de leur transition agroécologique.
A l’issue de la conférence, INTERBEV, la FNH et l’Institut Veblen ont donc présenté leur feuille de route collective comprenant 3 grands objectifs :
- Remettre en cohérence la politique commerciale de l’Union européenne avec les objectifs affichés des politiques agricole et environnementale. Cette mise en cohérence est une des conditions fortes pour atteindre les objectifs fixés par l’Union européenne en matière de souveraineté alimentaire et de transition écologique.
- Permettre ainsi, aux agriculteurs et aux entreprises des filières agricoles, de continuer à produire en s’engageant dans des démarches de durabilité, sans être mis en concurrence avec des produits issus de systèmes qui ne respectent pas les normes de production sanitaires, environnementales et sociales équivalentes à celle de l’UE. Les mesures miroirs ne sont cependant pas une barrière aux importations et doivent permettre aux produits durables d’être exportés vers l’UE, notamment pour les filières issues des organisations paysannes du Sud, en particulier pour les produits équitables qui ne sont pas produits en UE.
- Agir positivement sur le chantier de la transition écologique et sociale en ne laissant plus dans l’angle mort des politiques publiques européennes la question de l’impact environnemental, sanitaire et social (normes relatives au droit du travail) lié aux standards de production des aliments importés.
Cette feuille de route relative à la question des importations agricoles comporte 5 mesures prioritaires que la France devra s’engager à obtenir d’ici la fin du prochain mandat européen :
1. Un moratoire européen sur les accords de libre-échange :
Appeler la Commission européenne à établir un moratoire sur les accords de libre-échange, en posant notamment la question de leur compatibilité avec les ambitions affichées par l’Union européenne en matière de souveraineté alimentaire et de transition écologique.
Ce moratoire portant sur l’ensemble des accords en cours de ratification (ex : Nouvelle-Zélande, Mexique, Chili, ...) ou de négociation (ex : Australie, Inde, ...) devra permettre d’interroger simultanément les volumes d’importation cumulés concédés pour les secteurs sensibles (leur impact sur la production domestique, l’économie des filières et des territoires concernés) et les standards de production sanitaires et environnementaux des produits importés.
2. Un refus ferme de ratifier l’accord UE-Mercosur :
Refuser toute ratification de l’accord commercial conclu entre l’UE et le Mercosur en l’absence de clauses miroirs conditionnant strictement les préférences commerciales accordées au respect des normes européennes de production en matière, notamment : de traçabilité, d’utilisation des antibiotiques en élevage, d’utilisation des produits phytosanitaires.
3. Une liste précise des mesures miroirs à faire adopter et appliquer d’ici la fin du prochain mandat européen :
Appliquer la mesure miroir déjà adoptée visant à interdire l’accès au marché européen aux viandes issues d’animaux traités aux antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance : les textes d’exécution nécessaires doivent être enfin publiés.
Élaborer, dans un même temps, à l’échelle de la France et d’ici la fin du premier semestre 2024 au plus tard, une liste précise des mesures miroirs pertinentes prioritaires qui devront être adoptées et appliquées d’ici la fin du prochain mandat européen en matière notamment de traçabilité et d’utilisation de produits phytosanitaires.
4. La mise en œuvre de contrôles efficaces au sein de filières dédiées dans les pays exportateurs :
En se basant sur l’exemple de l’interdiction de l’importation de bœuf aux hormones, pousser l’application de mesures miroir effectivement contrôlables, c’est-à-dire faisant l’objet de contrôles réalisés dans les pays exportateurs à travers la mise en œuvre de filières dédiées à l’exportation vers l’UE. Le sujet de la réciprocité des normes ne doit pas être utilisé uniquement comme un élément de langage politique : il doit correspondre à des mesures législatives prévoyantde réelles restrictions aux importations basées sur des contrôles efficaces.
Le poids du contrôle des mesures miroirs et de la réciprocité ne peut réalistement pas être délégué uniquement aux pays exportateurs mais doit passer par une coordination de l’ensemble des acteurs des chaînes de valeur (exportateurs, douanes et services de contrôle officiels et entreprises européennes). Les entreprises de l’UE et leurs chaînes de valeur (fournisseurs et sous-traitants y compris) doivent également être mises à contribution et assumer leurs responsabilités, sur le modèle de la diligence raisonnée adoptée dans le règlement sur la déforestation importée.
5. Un règlement européen relatif à la lutte contre la déforestation importée véritablement utile :
Veiller à la bonne application des obligations de diligence raisonnable déjà prévues dans le texte concernant,
notamment, la viande bovine et le soja.
Élargir, dans le même temps, la liste des produits et des zones forestières concernés par le règlement européen relatif à la lutte contre la déforestation importée à tous les produits agricoles sensibles d’un point de vue environnemental et importés depuis les pays à risque tels que le Brésil et aux zones de savane telles que celles du Cerrado.