NON AU NIVELLEMENT PAR LE BAS, OUI AU JUSTE ÉCHANGE !
Si les conditions d’élevage et les modes de production agricole, notamment le recours aux pesticides, répondent à une réglementation européenne stricte, c’est loin d’être le cas pour les produits que l’Europe importe. Les importations agricoles ont en effet augmenté de 28% en 15 ans. Cette hausse s’explique par des normes environnementales différentes, souvent moins contraignantes chez nos partenaires commerciaux, mais aussi par l’utilisation de l’agriculture comme d’une monnaie d’échange de la part de la Commission européenne pour négocier des dizaines d’accords de commerce, comme le CETA avec le Canada. Résultat : les agriculteurs et les éleveurs subissent une forte distorsion de concurrence, freinant voire remettant en cause la transition écologique et sociale.
Tandis que certaines voix s’élèvent pour dénoncer cette hausse des importations agricoles comme la conséquence d’un manque de compétitivité de l’agriculture européenne, mettant en avant la nécessité d’abaisser les normes, la FNH, INTERBEV et l’Institut Veblen estiment qu’un tel nivellement par le bas est inadmissible. Tout au contraire, ils défendent l’instauration de “mesures-miroirs”, c’est-à-dire de règles environnementales aux produits importés sur le territoire européen équivalentes à celles en vigueur dans l’UE. Un tel règlement, en plus de protéger les acteurs agricoles européens et de maintenir un niveau d’exigence sociale et environnementale élevé, alimenterait un cercle vertueux, obligeant nos partenaires commerciaux à faire évoluer leurs pratiques pour pouvoir accéder au marché européen. Loin d’être opposés aux échanges, les trois organisations défendent une régulation de la mondialisation qui mette le commerce international au service de la transition agroécologique et d’une juste rémunération des agriculteurs en Europe, tout comme chez nos partenaires.
LES DÉFAILLANCES DE LA RÉGLEMENTATION ACTUELLE A TRAVERS L’EXEMPLE DE LA LENTILLE ET DE LA VIANDE BOVINE
Moins chère et bourrée de pesticides interdits en Europe, la lentille canadienne supplante petit à petit les lentilles européennes
Produit phare de la transition écologique et alimentaire pour ses apports en protéines végétales et sa capacité à fixer l’azote dans les sols, la lentille européenne n’est pas traitée à la même enseigne que sa cousine canadienne.
La lentille européenne est vendue entre 300 et 400 euros la tonne. A cela, il faut ajouter une perte allant de 15 à 20% à cause de la présence d’un insecte ravageur, la bruche. La lentille canadienne, de son côté, entre en Europe à 300 euros la tonne et elle est utilisable à 100%. Ce coût avantageux s’explique notamment par des exigences et des pratiques environnementales autorisées au Canada, mais interdites en Europe, comme :
- Le recours au Sencoral, un pesticide interdit depuis 2014 par la Commission européenne. Le Sencoral est un perturbateur endocrinien, suspecté d’effets sur la reproduction humaine.
- Le droit de recourir au glyphosate jusqu’à 4 jours avant la récolte. Cette pratique permet de réaliser la dessiccation aux champs et ainsi de réduire le temps de récolte. En Europe, cette pratique a été interdite sur les lentilles à cause du risque de résidus sur les graines.
Cerise sur le gâteau : le CETA accentue encore un peu plus ce déséquilibre en supprimant les droits de douanes sur les produits à base de lentille.
La viande bovine “d’aloyau”, la plus rémunératrice pour les éleveurs européens, sur la sellette
Les accords de libre-échange déjà conclus ou en cours de négociation, supposerait l’importation supplémentaire de 200 000 tonnes de viandes américaines, canadiennes et brésiliennes, selon une étude d’impact réalisée par Interbev en 2014. Ceci pourrait provoquer une baisse de 9,60% du prix du jeune bovin payé aux producteurs français, soit une diminution de 30 à 60% de résultat courant des exploitations spécialisées bovin viande !
Ce calcul a été réalisé en comparant la différence de prix entre un kg d’aloyau canadien tel qu’il pourrait être vendu en Europe à 8,60 € / kg de carcasse, et du même kg d’aloyau produit et commercialisé en Europe à 13,70 €.
Le problème ? A nouveau la dichotomie des normes. Par exemple, si les farines animales sont interdites en Europe depuis 2001, suite au scandale de la vache folle, le certificat sanitaire pour l’importation dans l’UE de viandes bovines n’a pas à mentionner l’obligation de non-alimentation avec des farines de viandes ou d’os de ruminants. Au Canada, malgré une interdiction de principe de l’alimentation des ruminants à base de farines issues de ruminants, la législation autorise bien l’utilisation de certaines protéines, comme les farines de sang et la gélatine, y compris de ruminants...
De plus, si l’UE s’est procuré en 2004 une réglementation stricte pour limiter les conditions de transports des animaux (durée, nombre de pauses…), pour la viande produite au sein de son territoire, aucun certificat n’est demandé pour les produits importés. Or, les normes au Canada sur ce sujet sont largement insuffisantes, car volontaires, au Brésil elles sont directement inexistantes !
Enfin, la non-reciprocité de l’exigence de normes sanitaires pour les produits importés, accentuent les risques sanitaires pour les consommateurs européens. Si la traçabilité individuelle totale, de la naissance de l’animal jusqu’à l’abattage est obligatoire dans l’UE, il n’en est rien pour les produits importés, alors que dans les pays du Mercosur la réglementation est particulièrement laxiste sur le sujet. D’ailleurs, en 2017 le fameux scandale sanitaire de la “carne fraca” a éclaté au Brésil : une vingtaine d’établissements ont volontairement mélangé de la viande avariée à d’autres produits vendus, dont de la viande destinée à l’export, grâce à la complicité de certains contrôleurs et à l’absence de traçabilité de la totalité de la chaîne de production.
UNE DICHOTOMIE DES NORMES AVEC LES PRODUITS IMPORTÉS QUI CONDUIT À BAISSER ENCORE LES STANDARDS EN VIGUEUR
En matière de pesticides, les règlements en vigueur prévoient de nombreuses exemptions. Sur les néonicotinoïdes par exemple, l’Union européenne a interdit ou strictement limité le recours à trois substances de la famille des néonicotinoïdes (imidaclopride, thiaméthoxame et clothianidine) en enrobage de semences, pour toutes les cultures du fait de leur impact sur les pollinisateurs. Cependant, elle continue à importer des denrées traitées avec ces substances. Dans un contexte de concurrence mondiale, les producteurs de l’UE sont ainsi incités à solliciter des dérogations, à l’instar de la récente loi adoptée en France concernant les betteraves à sucre. Résultat : un nivellement par le bas des standards européens et de sérieuses entraves à la transition écologique et alimentaire.
Sur l’ensemble des produits agricoles importés, le législateur va moins loin ou envisage des reculs inacceptables. La Commission européenne a ainsi réautorisé l’usage des farines animales pour les poissons, alors qu’ils étaient interdits depuis la crise de la vache folle ! Elle travaillerait en ce moment même à une nouvelle autorisation pour les non ruminants.
La contradiction de l’Europe va encore plus loin : les pays européens produisent et exportent des pesticides pourtant interdits d’utilisation sur leur territoire (pour l’instant, seule la France a prévu de mettre fin à ces exportations d’ici 2022 à travers l’adoption de la loi EGALIM).
DES « MESURES-MIROIRS » POUR PROTÉGER L’ENVIRONNEMENT ET NOS AGRICULTEURS
Loin des caricatures, écologistes et représentants de la filière viande française ont décidé de travailler ensemble à une solution : un règlement européen sur des mesures de réciprocité, dites “mesures-miroirs”.
Concrètement, en ce qui concerne les pesticides, ce règlement comprendrait :
- L’interdiction de la mise sur le marché européen de denrées alimentaires traitées avec des substances non approuvées par le Règlement Pesticides, en raison des dangers trop importants qu’elles présentent pour la santé ou l’environnement.
- La suppression de la possibilité d’octroyer des dérogations permettant en Europe l’usage de ces substances considérées trop dangereuses pour la santé ou l’environnement.
- L’interdiction de la production, le stockage, la circulation et la vente de ces substances, à l’instar de l’interdiction adoptée par la loi EGALIM.
Pour garantir l’effectivité de l’ensemble de ces mesures, le règlement devrait également prévoir : - Le renforcement des contrôles sur les denrées alimentaires mises sur le marché au sein de l’UE, pour vérifier l’absence de résidus de substances interdites. En cas de présence avérée de ces substances, il s’agira de renforcer les contrôles chez les producteurs dans les pays tiers.
- Des procédures de sanctions précises et dissuasives en cas de violations avérées, tant au sein de l’UE que dans les pays tiers, en visant notamment les producteurs non conformes.
Et en matière d’élevage :
- L’interdiction de mise sur le marché de produits issus d’animaux traités avec des produits vétérinaires ou nourris avec des aliments non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation. Concrètement, cela revient à interdire de mettre sur le marché les viandes importées issues de bovins “dopés” aux antibiotiques, de bovins nourris aux farines animales, ou encore de bovins qui ne font pas l’objet d’une traçabilité individuelle de leur lieu de naissance à leur lieu d’abattage.
- L’interdiction de mise sur le marché de produits issus d’animaux dont il n’est pas attesté qu’ils ont bénéficié de certaines conditions minimales en matière de bien-être animal, concernant le temps de transport notamment.
Pour garantir l’effectivité de ces mesures, il est nécessaire de prévoir le renforcement des contrôles dans les principaux pays exportateurs, ainsi que la mise en place de procédures de suspension des importations en cas de violations avérées, visant notamment les établissements non conformes.
UN RÈGLEMENT COMPATIBLE AVEC LES RÈGLES DE L’OMC
Même si ces mesures peuvent être jugées prima facie contraires à certaines dispositions des accords de l’OMC, telles que les principes de non-discrimination et d’utilisation des standards internationaux, elles pourraient être acceptables au regard d’autres dispositions, à condition que l’UE adopte une démarche cohérente avec les objectifs poursuivis, en limitant notamment les dérogations accordées en Europe sur les substances dangereuses.
En d’autres termes, l’introduction de mesures-miroirs visant à la protection de l’environnement, du bien-être animal et des droits humains dans les pays exportateurs entrerait dans les exceptions prévues par l’article XX du GATT.
S’agissant des mesures-miroirs visant à garantir un niveau élevé de protection de la santé des consommateurs européens, l’UE pourrait invoquer la possibilité, pour les Etats, au titre de l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (accord SPS), d’adopter des mesures plus élevées que ce qui est prévu par les règles internationales.
Plutôt que de continuer à négocier des accords sur le modèle de ceux qui ont été noués avec le Canada ou le Mercosur, la FNH, INTERBEV et l’Institut Veblen appellent ainsi les dirigeants français et européens à se saisir de la proposition de règlement pour des “mesures-miroirs” sur les produits importés. Une telle mesure devrait constituer une priorité de la présidence française de l’Union européenne.
Contacts presse
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Fondation Nicolas Hulot - Florence Bardin (Agence F)
06 77 05 06 17 | florence.bardin chez agencef.com
Interbev - Cécile Lardillon
06 40 36 56 34 | c.lardillon chez interbev.fr