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UE-Mercosur : les dangers d’une ratification de l’accord de commerce en l’état

Par Mathilde Dupré & Stéphanie Kpenou

14 mars 2023

Alors que des députés de différents groupes (EELV, GDR, Horizons, Les Républicains, LFI, Liot, Modem, PS et Renaissance) ont déposé une proposition de résolution demandant au gouvernement de bloquer l’accord entre l’UE et le Mercosur, la FNH, l’Institut Veblen et INTERBEV publient un rapport conjoint “UE-Mercosur : les dangers d’une ratification de l’accord de en l’état”. Dans un contexte de très fortes dégradations environnementales notamment au Brésil et alors que le besoin d’une réciprocité des normes de production européennes s’exprime, ce rapport détaille les impacts sanitaires, environnementaux et sociaux qui menacent tant les consommateurs, agriculteurs et éleveurs européens, que les populations des pays du Mercosur. Dans ce rapport, les organisations apportent également une traduction concrète de la position politique de la France, opposée “en l’état” à l’accord, récemment ré-exprimée par Emmanuel Macron au Salon International de l’Agriculture.

Des conséquences redoutables sur le climat, la biodiversité et l’économie de l’UE ainsi que des pays du Mercosur

Souvent présenté comme un accord ”viandes contre voitures”, l’accord UE-Mercosur promeut des flux commerciaux de biens incompatibles avec les objectifs fixés par l’accord de Paris (réduction des émissions de gaz à effet de serre) ou encore par le Pacte vert européen et stratégie de la Ferme à la table (réduction de la déforestation, de l’usage de pesticides, protection de la biodiversité…).

Cet accord de commerce comporte tout d’abord des risques très importants pour les pays du Mercosur :

  • L’accord enfermerait les pays du Mercosur dans un rôle d’agro-exportateurs et les forcerait à spécialiser leur production. Il devrait faire bénéficier les entreprises du Mercosur de débouchés attractifs sur le marché européen, notamment agricoles (bœuf, volaille, porc, soja, sucre, etc...). Outre le fait qu’il fragilisera leur économie, plus dépendante aux fluctuations de prix, cet accord favorisera les monocultures et l’intensification de l’usage de pesticides.
  • Il aggraverait la déforestation de l’Amazonie  : les pays du Mercosur détiennent 27% de la couverture forestière mondiale et 60% de la vie terrestre. La Commission Ambec avait anticipé une accélération de 5 à 25% au cours des 6 premières années, rien que pour la hausse attendue des exportations de viande. Au Brésil, la déforestation a augmenté : + 59,5% après 4 ans de mandat de Jair Bolsonaro, par rapport à son entrée en fonction. Si les premiers signes depuis l’arrivée de Lula sont encourageants, une demande accrue de biens agricoles rendra plus difficile l’atteinte des objectifs fixés : zéro déforestation illégale d’ici 2030 dans l’Amazonie brésilienne et la mise en place d’actions de restauration et de reforestation.

Des impacts négatifs aussi pour les pays de l’UE :

  • D’un point de vue économique  : le Mercosur représente plus de 70% des importations européennes de viande bovine et 50% des importations de viande de volaille. L’abaissement ou la suppression des droits de douane sur une majorité de ces produits les rendront encore plus compétitifs à l’heure où l’UE à besoin de recouvrer son autonomie protéique et que les éleveurs européens ont du mal à vivre de leur production.
  • D’un point de vue sanitaire, l’accord facilitera l’entrée de denrées produites selon des pratiques interdites dans l’UE. À l’heure actuelle, 30% des substances actives autorisées au Brésil sont strictement interdites en UE. Sur trois ans (2016-2019), près de 1 200 nouveaux pesticides ont d’ailleurs été autorisés au Brésil, dont 193 contenant des substances interdites dans l’UE. C’est le cas de l’amicarbazone (jamais autorisé en UE) ou du novaluron (interdit en UE depuis 2012). Concernant les pratiques d’élevage, le Brésil permet notamment l’utilisation de monensin, un antibiotique utilisé pour accélérer la croissance des bovins, une pratique interdite au sein de l’UE depuis 2006. Aussi, au Brésil, les bovins ne sont identifiés et suivis que 40 jours avant leur abattage, alors que la réglementation européenne impose, pour des raisons sanitaires, la traçabilité des bovins tout au long de leur vie.

Les lignes rouges posées par la France doivent être maintenues et déclinées en clauses contraignantes de conditionnalité tarifaire dans le cadre de l’accord

Dans leur nouveau rapport, la FNH, l’Institut Veblen et INTERBEV formulent des recommandations pour que les trois lignes rouges posées par la France puissent être mises en oeuvre de manière effective :

  • Ligne rouge n°1 : assujettir l’accord UE-Mercosur au respect des engagements climatiques des parties.
    La France doit plaider pour que les préférences tarifaires soient conditionnées au respect effectif de critères de durabilité pour tous les produits les plus sensibles d’un point de vue climatique (viande bovine, volaille, sucre, viande porcine, éthanol notamment). Concrètement, concernant les viandes issues de bovins, les préférences tarifaires accordées au Mercosur ne devraient bénéficier qu’aux viandes issues de bovins exclusivement élevés au pâturage et aux mêmes tailles de cheptel qu’en UE, afin d’exclure du contingent les viandes issues de bovins engraissés de manière industrielle, en feedlots.
  • Ligne rouge n°2 : éviter une augmentation de la déforestation importée au sein de l’UE.
    Si le règlement européen sur la déforestation importée constitue une étape historique, il présente encore des lacunes et sa robustesse reste à éprouver. En l’état, il ne peut donc pas garantir une absence totale de produits issus de la déforestation dans les échanges commerciaux de l’UE. Pour combler ces lacunes, la France doit traduire cette ligne rouge en un conditionnement des préférences tarifaires au respect effectif du règlement européen et ajouter des dispositions spécifiques incluant :
     le maïs et le biodiesel, actuellement exclus du règlement
     la déforestation des autres biomes notamment les savanes comme le Cerrado, sur lesquelles sont cultivées le soja, qui représente près de 60% des importations européennes à risque de déforestation
     le respect de ces règles par les acteurs du secteur financier

Dans le cadre des discussions préalables à la ratification de l’accord, les pays du Mercosur doivent s’engager à ne pas attaquer le règlement européen sur la déforestation importée, en contrepartie d’un soutien actif de l’UE pour la mise en œuvre effective de ce texte.

  • Ligne rouge n°3 : conditionner l’accès des produits agroalimentaires au marché de l’UE au respect des normes sanitaires et environnementales européennes

Cette troisième ligne rouge doit se traduire par :
 Un conditionnement des préférences tarifaires au respect effectif de clauses miroirs contraignantes concernant les produits les plus sensibles d’un point de vue environnemental et sanitaire, le temps que des mesures miroirs plus larges soient adoptées. Ces clauses miroirs devront a minima concerner :

  • l’interdiction de manière effective des importations de viandes issues d’animaux traités aux antibiotiques promoteurs de croissance ou n’ayant pas fait l’objet d’une identification et d’un suivi tout au long de leur vie.
    l’interdiction des importations de viandes issues de bovins engraissés en “feedlots”.
  • l’interdiction des pesticides non approuvés par le règlement pesticides 1107/2009 en raison de leur nocivité pour la santé et l’environnement.
  • Un programme d’audit et de suivi, présenté par la Commission européenne, pour garantir l’application rigoureuse des normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) de l’UE par les filières des pays du Mercosur autorisées à l’exportation vers l’UE.

  Un engagement préalable des États du Mercosur à ne pas attaquer les mesures miroirs à l’OMC, à commencer par l’acte délégué européen sur deux néonicotinoïdes. En parallèle, l’UE devrait mettre fin à l’exportation de substances dont l’usage est interdit dans l’UE, tout comme à la possibilité de recourir à des dérogations nationales relatives à l’utilisation de ces produits.

Ces lignes rouges ainsi traduites sont de véritables garde-fous pour empêcher la ratification d’un accord anachronique. Elles ne pourront être maintenues qu’à la condition que la France s’oppose clairement au “découpage” de l’accord tel qu’envisagé par la Commission européenne : la France doit, en effet, publiquement s’opposer à cette manœuvre juridique qui reviendrait d’une part à la priver de son droit de veto lors du vote au Conseil, d’autre part à priver les Parlements nationaux de leur capacité à s’opposer à l’accord.

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