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Bilan des monnaies sociales et complémentaires

Lyon, 16-18 février 2011

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L’Institut Veblen a soutenu le colloque international sur les monnaies sociales et complémentaires, qui s’est tenu à Lyon du 16 au 18 février dernier.

"Faire mouvement" : téléchargez ci-après la synthèse des débats de la journée acteurs.

Présentation

Organisé par les laboratoires LEFI et Triangle, Université de Lyon, ce colloque est trilingue (espagnol / anglais / français) et pluri-disciplinaire. Il appelle tout type de proposition dans le champ des monnaies sociales ou complémentaires, mais se focalise particulièrement sur le thème :

« Trente années de monnaies sociales et complémentaires – et après ? »

Contexte du colloque

Depuis les années 1980, se sont développés dans le monde des dispositifs locaux d’échange basés sur la mise en oeuvre de monnaies spécifiques. On ne dispose que d’estimations discutables sur leur étendue, et leur diversité est méconnue ; mais il semble que 4000 à 5000 dispositifs de ce type existent aujourd’hui dans plus de 50 pays, autour d’un nombre de plus en plus important de modèles : LETS, banques de temps, réseaux de trueque sur le modèle argentin, monnaies Hour sur le modèle d’Ithaca, monnaies de type Regio sur le modèle allemand, monnaies et banques communautaires sur le modèle de Fortaleza, monnaie à projets multiples comme la monnaie SOL en France, monnaies locales de « villes en transition », systèmes de type RES, etc. Cette vague de monnaies est inédite à l’échelle mondiale depuis les débuts de l’industrialisation au tournant du XIXe siècle. Ces dispositifs sont qualifiés de « monnaies sociales », « monnaies complémentaires », « monnaies communautaires », « monnaies locales » ou encore « monnaies libres ». Ces diverses dénominations ne renvoient pas exactement aux mêmes objectifs ni aux mêmes réalités. Jusqu’ici, ces dispositifs n’ont généralement pas franchi deux frontières : celle de la soumission à de purs objectifs politiques, et celle de l’intégration dans la logique lucrative d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises.

Si depuis les années 1990 cette vague a rencontré l’intérêt de certains chercheurs en sciences humaines et sociales, le bilan demeure mitigé : il faut certes reconnaître l’émergence d’un nouveau champ de la recherche sur cet objet qui apparaît nouveau par son ampleur et par sa nature, mais on ne peut que regretter le faible écho que ces travaux ont eu dans les sciences humaines et sociales en général et la faiblesse de leur visibilité académique, qui en fait un domaine encore très marginal.

L’objectif de ce colloque est non seulement de montrer en quoi les travaux sur ces monnaies ont une légitimité scientifique, laquelle renvoie à la légitimité pratique de ces expériences elles-mêmes, mais de prétendre qu’il leur revient une place significative dans les diverses disciplines concernées par ces dispositifs d’échange : économie, géographie, sociologie, sciences politiques, anthropologie, histoire, droit... Une difficulté académique tient certes à ce qu’ils interpellent des champs d’études au croisement de plusieurs disciplines : les études du développement, le développement local, l’échange marchand, l’économie sociale et solidaire, le développement soutenable, les pratiques monétaires, les espaces monétaires, la souveraineté, les nouveaux espaces de transaction et de sociabilité, les mouvements sociaux à revendication économique, le lien social, les dynamiques associatives ou encore les initiatives économiques des femmes, etc.

En conséquence, ce colloque sera pluridisciplinaire : il accueillera des communications de diverses disciplines, mais aussi des communications interdisciplinaires.

Axes de réflexion

Ce colloque cherchera à faire émerger des bilans de la dynamique enclenchée il y a bientôt trois décennies, sous forme d’études monographiques comme d’analyses comparatives au plan international et au plan historique, et il soutiendra l’élaboration d’approches théoriques de ces systèmes.

Pour structurer la réflexion, nous proposons à titre d’exemple une liste de questions susceptibles de faire l’objet de propositions de communications, selon les 5 axes suivants :

1. Bilan et perspectives

Les questionnements en terme de bilan et de perspectives peuvent être notamment les suivants :

Que peut-on dire de la dynamique respective des grands types de monnaies (émanant de la société civile organisée, liées aux politiques publiques, organisées par ou avec des banques, ou enfin par des firmes lucratives) ?

Quels grands types de monnaies existent aujourd’hui, par-delà la diversité des expériences passées et en cours ? Quels termes pertinents employer pour les qualifier ?

Quelle est l’étendue actuelle de ces grands types de dispositifs ? De manière transversale, étant donné leur hétérogénéité, à quelles conditions est-il possible de quantifier cette étendue et leur activité ?
Quelles leçons peuvent être tirées des crises et des difficultés rencontrées pardivers dispositifs depuis les années 1980 ?

Quelles leçons les expériences plus anciennes peuvent-elles fournir pour éclairer le présent – depuis les expériences de Robert Owen dans l’Angleterre des années 1820 jusqu’à celles, éparses, en Europe dans les années 1950, en passant par les expériences américaines et européennes des années 1920 et surtout 1930 ?

En termes prospectifs, et compte tenu de l’expérience des trente dernières années, quelles perspectives peut-on envisager quant à la dynamique de ces monnaies pour les années à venir ?

2. Enjeux actuels

Concernant les enjeux actuels auxquels sont confrontés ces dispositifs monétaires :

Quelles sont les conséquences de la crise mondiale, dont les manifestations sont locales, sur la dynamique de ces monnaies ? Y a-t-il de la place pour des monnaies alternatives en dehors de situations de crise ?
Quelles sont les conditions pour que ces monnaies se développent de manière solide et pérenne ? Plus précisément peut-être, quelles sont les conditions de réussite d’un projet de dispositif monétaire : en terme de taille ou de masse critique, en termes d’acteurs socio-économiques, en termes de niveau territorial (quel espace pertinent), etc. ?

Quels sont les obstacles à la légitimité de ces dispositifs : par exemple, en matière de représentations communes, mais aussi concernant la souveraineté monétaire et la loi ? La reconnaissance légale des monnaies communautaires au Brésil est-il la voie à suivre ? Existe-t-il d’autres expériences réussies de reconnaissance légale ?

Dans une perspective monographique ou comparative, quelles solutions ont-été apportées au problème de la création de ces monnaies et aux problèmes de leur gestion quotidienne ? Comment gère-t-on les problèmes légaux (en matière de monnaie, en matière de travail, de protection sociale, de fiscalité…) ?
Dans le cadre de la zone euro, quelles solutions sont envisageables compte tenu de la mise en oeuvre du système de paiement européen ? A quel moment bascule-t-on dans un système requérant une licence bancaire ?

3. Objectifs pertinents et impacts

Ces dispositifs monétaires peuvent renvoyer à différents objectifs, qu’il est nécessaire d’identifier pour en évaluer la crédibilité :

De manière générale, quels objectifs cohérents et crédibles peut-on assigner à ces dispositifs monétaires : que peut-on en attendre, en matière de lien social, de développement local, de fourniture d’entraide sociale, de dynamisation des productions locales, de soutien au pouvoir d’achat et au bien-être, de développement soutenable ou de consommation responsable, etc. ?

Compte tenu de ces objectifs, où en est la recherche sur l’évaluation de l’impact de ces dispositifs ?
Dans le contexte de la double crise climatique et énergétique, dans quelle mesure la construction de dispositifs monétaires locaux peut-elle contribuer à la relocalisation de l’activité économique ?
A quelles conditions ces dispositifs monétaires sont-ils compatibles avec les logiques de décroissance ?
En quoi ces monnaies peuvent-elles appuyer les propositions de revenu minimum garanti, ou revenu universel ?

4. Articulations externes

Ces dispositifs sont nécessairement articulés à un environnement particulier :

Comment ces monnaies se positionnent-elles par rapport à la pluralité des formes économiques (réciprocité, redistribution, échange marchand, économie domestique), ainsi qu’à la gestion possible des biens communs ou des ressources collectives ?

Quelles articulations à la pluralité des acteurs socio-économiques : entreprises, ONG, collectivités locales, Etat… ?

Dans quelle mesure les monnaies sociales ou complémentaires renvoient-elles à l’économie sociale et solidaire ? Ou, pour le dire autrement, à quelles conditions ces dispositifs renvoient aux logiques et objectifs de l’économie sociale et solidaire ?

Quelles articulations peut-on imaginer entre ces dispositifs monétaires spécifiques ? mais aussi entre eux et les monnaies nationales ? ou encore, avec les monnaies privées émises par des entreprises à but lucratif ?
En quoi ces dispositifs monétaires peuvent-ils s’articuler à la souveraineté monétaire et aux espaces monétaires considérés comme légitimes, ceux des monnaies nationales ?

5. Information, formation et recherche

Enfin, le développement équilibré de ces dispositifs suppose que se déploie une infrastructure intellectuelle pour les trois domaines suivants :

L’information : comment aller au-delà de l’information médiatique classique qui ne permet pas une diffusion régulière et approfondie sur les dispositifs d’échange locaux ? Y a-t-il des expériences positives susceptibles de servir de modèle ? Quels dérapages, au contraire, doivent être notés pour être évités par la suite ? Quels médias pertinents pour cette diffusion de l’information ?

La formation : comment jusqu’ici la formation à la mise en oeuvre de ces dispositifs a-t-elle été pratiquée ? Quels sont les enjeux d’une formation appropriée, et quels outils semblent les plus pertinents dans ce but, étant donné la diversité des modèles, des contextes et des objectifs de ces dispositifs ?

La recherche : quelle infrastructure intellectuelle pertinente pour une recherche approfondie et dépassionnée sur ces dispositifs ? Quel avenir pour les bases de données existantes, tant celles portant sur le corpus de textes consacrée à ces dispositifs que celles relatives aux dispositifs existants de par le monde ? A quelles impasses se heurte aujourd’hui la recherche, faute d’infrastructure intellectuelle adaptée, et quelles solutions paraissent-elles nécessaires ?

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