Règles commerciales dans l'UE presque clarifiées, quid du CETA?

C'est dans cette salle de la Cour de Justice de l'UE à Luxembourg interprète la législation européenne et statue sur les différends juridiques opposant les États membres et les institutions de l'UE. ©AFP - JOHN THYS
C'est dans cette salle de la Cour de Justice de l'UE à Luxembourg interprète la législation européenne et statue sur les différends juridiques opposant les États membres et les institutions de l'UE. ©AFP - JOHN THYS
C'est dans cette salle de la Cour de Justice de l'UE à Luxembourg interprète la législation européenne et statue sur les différends juridiques opposant les États membres et les institutions de l'UE. ©AFP - JOHN THYS
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Les nouveaux accords commerciaux que négocie la commission européenne doivent-ils être approuvés par chacun des Etats de l'UE? La décision de la Cour de justice de l'Union Européenne sur le traité négocié avec Singapour apporte une réponse... partielle. Que va devenir le CETA?

La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a rendu hier 16 mai un avis très attendu sur un traité commercial négocié par la commission avec Singapour en 2013.

C'est la commission européenne qui l'avait saisi pour clarifier ses compétences en la matière, et la décision rendue va faire jurisprudence pour tous les accords signés après 2013, d'où son importance.

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L'enjeu c'était de savoir si l'accord avec Singapour relevait d'une compétence mixte ou exclusive.

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Avant d'aller plus loin, il faut expliquer ces deux termes juridiques.

Compétence mixte, cela veut dire qu'il y a un partage des compétences entre la commission et les Etats de l'UE, et que pour qu'un accord soit valide, il faut que:

  1. tous les Etats soient d'accord au moment de la signature, un seul pays peut s'y opposer
  2. il faut que l'accord, une fois signé, soit ratifié par chaque État, ce qui fait au total 38 parlements nationaux, ou régionaux à consulter.

Compétence exclusive, c'est en quelque sorte l'inverse

  1. il n'y a pas d'unanimité requise, au moment de la signature, c'est la majorité qui l'emporte
  2. l'accord n'a pas à être ratifié par chaque parlement pour être valide.

Jusqu'à maintenant, ces questions ne se posaient pas. Depuis la création du marché unique, il y a plus de 20 ans, c'est l'Union Européenne qui négocie les accords de libre échange. C'est toujours le cas, mais dernièrement les accords ont changé de nature.

Il ne s'agit plus seulement de baisser les barrières douanières, mais de négocier des accords plus larges, sur plus de sujets, et qui comportent de nouvelles clauses, sur les normes sociales, environnementales et les tribunaux d'arbitrage, notamment.

L'accord avec Singapour, est le premier de ces accords d'un nouveau type, 2.0 on aurait pu dire à un moment où c'était à la mode. Malgré l'échec du TAFTA, avec les Etats Unis, il y a beaucoup d'autres accords de ce type en cours de négociation avec le Japon, le Mercosur, le Mexique, voilà pourquoi l'avis rendu par la CJUE est si important.

NB: ce billet écrit est une version longue et enrichie du billet audio. Cinq minutes à lire environ, et pleins de liens pour aller plus loin!

L'avis de CJUE aide-t-il à voir plus clair?

En partie oui, et en partie non. Dans son avis, la Cour de justice dresse la liste de ce qui est négocié dans ces accords et dit clairement ce qui relève de la compétence exclusive et ce qui est mixte.

Exclusive:

  • l’accès au marché de l’Union et au marché singapourien en ce qui concerne les marchandises et les services (y compris l’intégralité des services de transport)
  • le secteur des marchés publics et de la production d’énergie à partir de sources non fossiles et durables
  • les dispositions en matière de protection des investissements étrangers directs de ressortissants singapouriens dans l’Union (et inversement)

Mixte:

  • ce qu'on appelle les investissement de portefeuille, c'est à dire le fait de prendre des parts dans une entreprise sans en prendre le contrôle,
  • les mécanismes d'arbitrages.

Conclusion, l'accord de libre échange avec Singapour (et donc tous ceux du même type) ne peut être conclu par l'Union européenne seule.

Victoire pour les souverainistes me direz vous.. et bien non, pas forcément. Il reste beaucoup de questions en suspend.

1/ Quand ces accords de libre échange seront ratifiés, les parlements pourront-ils rejeter l'ensemble de l'accord, ou seulement les deux chapitres qui relèvent d'une compétence mixte? J'ai déjà posé cette question à l'ancien secrétaire d'état au commerce Matthias Fekl, à la commission, à des experts juridiques, aux ONG, tout le monde a un avis différent sur la question, et si on ne sait pas, c'est parce que jusqu'à maintenant la situation ne s'est jamais présentée.

2/ La cour ne porte pas de jugement sur la compatibilité du contenu de l'accord avec le droit de l'Union.

La Cour, après avoir précisé que l’avis porte uniquement sur la question de la compétence exclusive ou non de l’Union et non sur la compatibilité du contenu de l’accord avec le droit de l’Union, écrit la CJUE

La Belgique devrait d'ailleurs prochainement saisir aussi la CJUE (à la demande des Wallons) pour savoir si les clauses sur l'arbitrage privé et la coopération règlementaire sont compatibles avec les traités européens.

Conclusion, cet avis de la CJUE circonscrit les compétences des États et de la commission, mais il reste beaucoup de flou. Les ONG s'inquiètent d'ailleurs que la commission continuent à négocier ces accords d'un nouveau type alors qu'il y a tant d'incertitudes juridiques. L' AITEC, l'association internationale de techniciens experts et chercheurs qui milite contre ces accords de libre échange, dénonce le fait que la commission avance à marche forcée sur ces accords de libre échange, et tente d'imposer le fait accompli. Elle fait remarquer que la commission européenne a d'ailleurs été désavoué la semaine dernière par cette même CJUE, car elle avait jugé non recevable une proposition d'initiative citoyenne intitulée STOP TTIP.

Et le CETA dans tout ça?

La commission européenne avait devancé l'avis rendu par la CJUE et considéré que l'accord de libre échange avec le Canada était mixte. D'où le besoin d'avoir l'unanimité, d'où le suspense autour de la position du parlement wallon en octobre, le report de la signature de quelques jours. Mais finalement l'accord a bien été signé.

On attend donc maintenant les ratifications par les parlements. Cela peut prendre plusieurs années, mais peu importe car l'accord s'applique provisoirement.

Cette application provisoire pose problème à beaucoup d'ONGs qui ont mobilisé des juristes sur cette question et tenté de démontrer que cette disposition était anti-constitutionnelle. Parmi ces ONG, la fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme (et non France Nature environnement, comme indiqué dans la version audio du billet, veuillez m'excuser pour cette erreur).

Nicolas Hulot, que l'on pressent au gouvernement a déjà dit que le CETA n'était pas compatible avec l'environnement, et même climaticide.

En outre, Emmanuel Macron a concédé en meeting dans l'entre deux tours, qu'il comprenait "les doutes et les incertitudes" sur le CETA, et qu'il comptait nommer un comité scientifique pour mener une évaluation.

La France pourrait-elle aller jusqu'à ne pas ratifier le CETA? Affaire à suivre... (comme on dit).

Marie Viennot

L'équipe