Livre. Des plans de rénovation thermique à la revitalisation des petites lignes ferroviaires, en passant par la constitution de biocorridors ou la plantation de haies entomofaunes (faune constituée par les insectes), c’est au minimum 2 % du produit intérieur brut, soit 317 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne, qu’il faudra bientôt injecter annuellement dans les économies. Or de tels investissements ne sont pas rentables à court, moyen ou long terme, c’est pourquoi ils sont peu susceptibles d’attirer des capitaux privés.
Pour qu’ils puissent être financés par l’impôt, il faudrait en faire la dérivée d’activités économiques financièrement rentables, mais qui sont aussi les plus destructrices de l’environnement. L’équation semble impossible et pourtant l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran – par ailleurs chroniqueuse au Monde –, le sociologue de la monnaie Pierre Delandre et le docteur en sciences économiques Augustin Sersiron ont entrepris de la résoudre dans leur ouvrage Le Pouvoir de la monnaie. Transformons la monnaie pour transformer la société (Les Liens qui libèrent, 400 pages, 25 euros). Selon eux, la transition sociale-écologique n’aura pas lieu sans bifurcation monétaire.
Si l’idée d’une « monnaie écologique » n’est pas entièrement neuve, sa définition est loin d’être fixée. Il ne s’agit pas ici de défendre les monnaies locales, de monétiser l’empreinte écologique de nos économies, ou d’envisager la sortie du capitalisme. Les auteurs proposent la création d’une nouvelle « monnaie volontaire » consacrée au financement de projets nécessaires à la transition écologique mais non rentables.
Une partie substantielle de l’ouvrage est consacrée à présenter les conditions techniques de réussite du projet. Est-il compatible avec les traités européens actuels ? Comment éviter que les émissions monétaires envisagées ne se transforment en pertes budgétaires pesant lourdement sur les contribuables ? Peut-on échapper aux effets inflationnistes qu’introduiront de telles injections d’argent ?
De telles questions peuvent aisément s’enliser dans un dialogue de sourds opposant les partisans d’une politique orthodoxe qui se revendiquent de la théorie standard, et les défenseurs hétérodoxes d’une sortie du capitalisme financiarisé. Mais c’est tout l’intérêt de ce livre que de tenter d’y échapper en déplaçant les paramètres du débat.
« Institution sociale »
Afin de faire entendre leurs arguments en faveur d’une bifurcation monétaire, les auteurs ne se contentent pas de traduire leur raisonnement en chiffres. Ils entendent surtout mobiliser les apports de l’anthropologie, de l’histoire et de la sociologie afin de mieux comprendre ce domaine curieusement sous-théorisé de la pensée économique contemporaine, le « pouvoir de la monnaie ».
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