Agriculture : les raisons de la colère

Depuis plusieurs semaines, au travers de la France, les agriculteurs dénoncent « un décalage entre les déclarations politiques et les décisions » en matière agricole, autour d'un slogan : « On marche sur la tête ». Normes européennes, fiscalité et renouvellement des générations sont notamment au cœur des critiques des manifestants qui portent aujourd'hui leurs doléances devant Elisabeth Borne.
Giulietta Gamberini
Les agriculteurs manifestent leur mécontentement en retournant les panneaux signalétiques indiquant le nom des communes, pour illustrer un « monde à l'envers ».
Les agriculteurs manifestent leur mécontentement en retournant les panneaux signalétiques indiquant le nom des communes, pour illustrer un « monde à l'envers ». (Crédits : Reuters)

Après Marc Fesneau, Elisabeth Borne. Le principal syndicat agricole français, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), ainsi que Jeunes Agriculteurs (JA), qui ont rencontré le 30 novembre le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, misent désormais sur un rendez-vous ce 5 décembre, dans la soirée, avec la Première ministre pour faire entendre leurs revendications.

Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, et Arnaud Gaillot, président de JA, seront reçus à Matignon au moment où la grogne recommence à se faire entendre dans les campagnes. Depuis plusieurs semaines, partout en France, à l'appel de leurs syndicats, des agriculteurs manifestent en effet leur mécontentement en retournant les panneaux signalétiques indiquant le nom des communes, pour illustrer un « monde à l'envers »:

« On marche sur la tête », est devenu leur slogan.

« Surtransposition » des normes européennes, fiscalité, renouvellement des générations...: nombreuses sont les doléances présentées à Marc Fesneau jeudi dernier et qui seront encore soumises à Elisabeth Borne ce soir, dans un contexte de plus en plus tendu aussi à cause des catastrophes naturelles, de l'inflation, des maladies vétérinaires... Dans une lettre adressée aux parlementaires le 1er décembre, la FNSEA et JA déplorent globalement « un décalage entre les déclarations politiques et les décisions » prises en matière d'agriculture.

Une loi d'orientation agricole maintes fois repoussée

Première raison d'impatience, les reports successifs de la future loi d'orientation agricole (LOA), qui devrait aborder les sujets sensibles de la transmission des exploitations, de l'installation de jeunes agriculteurs et de la transition environnementale du secteur. Annoncée pour l'été 2023, elle a d'abord été décalée à septembre, puis à décembre. Elle n'est désormais attendue qu'en 2024.

Or les agriculteurs ont « besoin d'un calendrier lisible avec une loi avant le Salon de l'agriculture », prévu du 24 février au 3 mars 2024, a déclaré Arnaud Gaillot à la sortie du rendez-vous avec le ministre de l'Agriculture.

Les agriculteurs dénoncent également une hausse de la fiscalité écologique frappant les agriculteurs malgré les promesses du président de la République et du ministre de l'Économie et des Finances de baisses des impôts pour les entreprises et les ménages. Dans le viseur, en particulier, la suppression progressive de la défiscalisation du gazole non routier (GNR) agricole et l'augmentation des redevances sur les produits phytosanitaires ou l'irrigation.

Des normes françaises plus exigeantes

Autre grief, les normes. Les agriculteurs reprochent à l'exécutif français de leur imposer des contraintes supérieures à celles pesant sur leurs concurrents européens, notamment en matière de produits phytosanitaires. Ainsi, alors que le Parlement européen a rejeté le 22 novembre une législation visant à réduire l'usage des pesticides dans l'UE de moitié entre 2030 et 2015-2017, le gouvernement français a affirmé vouloir maintenir cet objectif dans le cadre de sa stratégie Ecophyto 2030 encore en cours de consultation. Ce dernier s'appuie en outre sur un indicateur, le « Nombre de Doses Unités » (NODU), différent de celui européen, et contesté par les agriculteurs, selon qui il « empêche toute traduction de (leurs, ndlr) progrès ».

Lire: La France veut réduire par deux l'usage de pesticides entre 2017 et 2030

La FNSEA et JA dénoncent aussi la décision de la France de maintenir des restrictions d'utilisation du glyphosate malgré la toute dernière décision de la Commission européenne de réautoriser pendant dix ans son utilisation.

Lire: Glyphosate : le pesticide controversé réautorisé dans l'UE pour les dix prochaines années, la France fait part de ses « regrets »

Lors du dernier Salon de l'Agriculture, en février dernier, Emmanuel Macron avait en effet assuré qu'il y aurait « des alternatives et des accompagnements » pour les agriculteurs concernés par des restrictions d'utilisation de produits phytosanitaires. La Première ministre avait pour sa part promis que la France respecterait désormais « le cadre européen et rien que le cadre européen », rappellent la FNSEA et JA dans leur lettre aux parlementaires.

La bataille pour des « clauses miroirs »

Les « normes imposées par Bruxelles » ne sont d'ailleurs pas non plus au goût de la FNSEA et de JA. Les deux syndicats agricoles déplorent notamment la conclusion d'un accord entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne sur une directive sur les émissions industrielles. Bien que finalement elle exclue de son champ d'application les élevages bovins, elle pénaliserait selon eux « les élevages porcins et avicoles familiaux, diversifiés et durables » français, avec comme conséquence une augmentation des importations.

La récente validation d'un accord commercial entre l'Union européenne et la Nouvelle Zélande, ainsi que la poursuite des négociations avec le Mercosur, sont aussi pointés du doigt. Pour éviter toute distorsion de la concurrence, les agriculteurs -comme les défenseurs de l'environnement- demandent en effet que tous les accords de commerce international soient assortis de « clauses miroirs », imposant les mêmes standards environnementaux aux deux parties.

Lire: Union européenne : « Cela devient difficile de se doter de règles exigeantes tout en fermant les yeux sur les produits importés » (Mathilde Dupré, Institut Veblen)

Bruxelles refuse en outre de prolonger en 2024 une dérogation aux règles de la politique agricole commune (PAC) permettant de mettre en culture les terres en jachère, au grand dam du monde agricole. En France, l'application encore imparfaite des lois Egalim, visant à assurer une juste rémunération aux producteurs, les retards sur l'application de règles visant à rendre obligatoires des mentions d'origine des produits alimentaires, des carences du « plan loups » figurent aussi dans les doléances des agriculteurs.

Des menaces en vue du Salon de l'agriculture

Jeudi dernier, à la sortie du rendez-vous avec Marc Fesneau, la FNSEA avait exigé que « des décisions politiques soient prises », en menaçant en leur absence le bon déroulement du Salon de l'agriculture.

« Nous n'imaginons pas que sans réponse très concrète, il puisse y avoir un salon qui se passe dans la sérénité », avait mis en garde Arnaud Rousseau.

« Si la Première ministre ne nous donne pas des réponses très claires mardi, nous ferons le constat que nous sommes livrés à nous-mêmes », avait-il ajouté, en rappelant que les manifestations des dernières semaines s'étaient déroulées « dans le respect des biens » en dépit du « ras-le-bol » du monde agricole.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 8
à écrit le 06/12/2023 à 13:47
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Je réside dans le Lot et je découvre la raison et les auteurs des panneaux à l'envers : merci à La TRIBUNE pour cette info !!

à écrit le 06/12/2023 à 9:54
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En parlant d'agriculteur : Chant du coq matinal, présence de vaches générant odeurs et mouches... En janvier 2021 était votée une loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. Près de trois ans plus tard, les d...

à écrit le 06/12/2023 à 7:47
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Le milieu paysan n'a jamais été solidaire permettant ainsi au lobby agro-industriel de s'y enraciner et de les diviser maintenant les agriculteurs sont à leurs pieds, c'est ce qui les tue mais ils ne le voient pas, ils en veulent à tout le monde sauf...

à écrit le 05/12/2023 à 23:50
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Ils préfèrent que les consommateurs s empoisonnent que de changer de méthodes de prod .. les consommateurs évoluent à eux d évoluer . qu ils passent au bio et en Vente directe … fin des élevages en batterie … ils vendront moins mais mieux …perso je ...

à écrit le 05/12/2023 à 23:50
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Ils préfèrent que les consommateurs s empoisonnent que de changer de méthodes de prod .. les consommateurs évoluent à eux d évoluer . qu ils passent au bio et en Vente directe … fin des élevages en batterie … ils vendront moins mais mieux …perso je ...

à écrit le 05/12/2023 à 22:07
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Si les abeilles disparaissent, les hommes les suivent quatre ans plus tard – David Attenborough.

le 06/12/2023 à 9:43
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Napoléon choisit l'abeille comme un des symboles de ses armoiries. Associée à l'immortalité et la résurrection, c'est d'abord un moyen pour lui de rattacher sa dynastie aux origines de la France et de se démarquer de la Fleur de Lys, attribut de l'An...

à écrit le 05/12/2023 à 18:53
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Les agriculteurs qui n'auront pas compris que continuer sur le même type d'agriculture et qui ne se seront pas adaptés vont pour une partie souffrir et d'autres disparaître. La FNSEA en sera le principal responsable, jusqu'au boutiste puisque noyaute...

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