Pourquoi les actionnaires ne sont-ils pas les propriétaires des entreprises et les dirigeants leurs affidés ? : épisode • 3/5 du podcast Quel avenir pour l’entreprise ?

A la fin du 19e siècle, le droit des sociétés s’est peu à peu libéralisé, les entreprises se sont vu accorder les mêmes avantages juridiques que les individus. ©Getty - Prasert Krainukul, Libre de droits
A la fin du 19e siècle, le droit des sociétés s’est peu à peu libéralisé, les entreprises se sont vu accorder les mêmes avantages juridiques que les individus. ©Getty - Prasert Krainukul, Libre de droits
A la fin du 19e siècle, le droit des sociétés s’est peu à peu libéralisé, les entreprises se sont vu accorder les mêmes avantages juridiques que les individus. ©Getty - Prasert Krainukul, Libre de droits
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On entend souvent dire que l’entreprise est la propriété des actionnaires et que les dirigeants ont pour principale fonction d’accroître la valeur pour l’actionnaire. Est-ce exact ?

On entend souvent dire que l’entreprise est la propriété des actionnaires et que les dirigeants ont pour principale fonction d’accroître la valeur pour l’actionnaire. Est-ce exact ?

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Les managers dont nous avons suivi l’émergence dans les chroniques des deux semaines précédentes vont essuyer durant les années 1960 et 1970 deux sortes de critiques. Dans Le Nouvel État industriel, publié en 1967, John Galbraith - un économiste américain critique de l’économie de marché – reproche à ces gestionnaires, formés aux méthodes scientifiques de gestion dans les business schools et recrutés pour organiser la production, d’imposer leurs choix aux clients et de former une technostructure. Leurs membres font tout pour échapper au contrôle de l’État, mais aussi à celui des actionnaires - qui n'attendent plus passivement que de recevoir leurs dividendes et n’ont plus voix au chapitre. Les managers n'agissent et ne pensent qu’en fonction de leurs intérêts, soutient Galbraith : salaires élevés, stock-options, avantages de toutes sortes.

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En 1962, dans Capitalisme et Liberté, Milton Friedman défend fermement l’idée que la seule responsabilité des dirigeants d'entreprise est d'assurer à leurs actionnaires un maximum de profits. Il réitérera ce propos dans un fameux article publié en 1970 dans le New York Times Magazine où il soutient que : "il y a une, et une seule responsabilité sociétale de l’entreprise – utiliser ses ressources et s’engager dans des activités conçues pour augmenter ses profits". Dans cet article, Friedman expose clairement les liens qui doivent exister entre les actionnaires et les dirigeants : les seconds doivent être au service des premiers. "Dans un système de libre entreprise et propriété privée, écrit-il, un dirigeant d’entreprise est l’employé des propriétaires de l’entreprise. Il est directement responsable devant ses employeurs. Cette responsabilité est de mener l’entreprise en accord avec leurs désirs, qui en général doivent être de gagner autant d’argent que possible tout en se conformant aux règles de base de la société, à la fois celles représentées par la loi et celles représentées par la coutume éthique (…) Dans chaque cas l’essentiel est que, dans sa position de dirigeant d’entreprise, le gérant est l’agent des individus qui possèdent l’entreprise ou établissent l’institution de charité, et sa responsabilité principale est envers eux". Et encore : "La pleine justification qui permet au dirigeant d’entreprise d’être sélectionné par les actionnaires est que le dirigeant est un agent au service des intérêts de son principal". On reconnaît bien ici la fameuse théorie de l’agence (le gérant est l’agent des propriétaires de l’entreprise et doit mettre l’entreprise à leur plein et entier service) sur laquelle prospérera dans les décennies suivantes la non moins fameuse théorie de la maximisation de la valeur (des actions et des dividendes) pour l’actionnaire.

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Et pourtant toutes ces théories sont aujourd’hui largement remises en cause. Le juriste Jean-François Robé rappelle ainsi que si la société a une existence juridique, ce n’est pas le cas de "l’entreprise" : en effet, n’étant pas un objet de droit, celle-ci n’est pas susceptible d’être la propriété de qui que ce soit. Par ailleurs, les actionnaires ne sont pas les propriétaires ni de l’entreprise ni des actifs de celle-ci, mais seulement des actions qu’ils ont acquises, ce qui ne leur donne aucun droit de regard sur la conduite de l’entreprise. A la fin du 19e siècle, le droit des sociétés s’est progressivement libéralisé et les entreprises se sont vu accorder les mêmes avantages juridiques que les individus, mais à une échelle démesurée. Le contrat de société n’est en effet qu’un accord de volonté entre associés, mais qui a la particularité de conférer la "personnalité morale" à la société en question, qui peut ainsi devenir un nouveau sujet de droit, indépendant et autonome. Ce nouvel ordre juridique a permis à la société commerciale d’accumuler des droits de propriété conséquents et d’exercer des pouvoirs étendus sur l’ensemble du corps social. Les actionnaires jouissent des privilèges de la propriété sans être responsables des dommages causés par l’entreprise.

Nous verrons la semaine prochaine si et comment il est possible de remédier à cette dérive.

La chronique est à écouter dans son intégralité en cliquant sur le haut de la page. Histoire, économie, philosophie >>>  Écoutez et abonnez-vous à la collection de podcasts "Le Pourquoi du comment" ; les meilleurs experts répondent à toutes les questions que vous n'osez poser.

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