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Pour réussir la transition écologique, il faut engager une véritable révolution de nos politiques publiques

Dominique Méda, 18 septembre 2021

Dans sa chronique au Monde, Dominique Meda plaide pour le retour d’un Etat stratège qui organise la coopération entre tous les acteurs pour entreprendre la reconversion écologique dont la France a tant besoin.

Les événements climatiques survenus ces dernières semaines ont donné au rapport du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] toute sa dimension dramatique. C’était donc vrai ! Vrai que les échéances se rapprochent, que le temps nous est compté, que nos sociétés doivent au plus vite s’engager dans la reconversion écologique et prendre les mesures qui s’imposent.

Celles-ci sont en grande partie bien connues : accroître l’investissement public dans la rénovation thermique des bâtiments et les infrastructures d’au moins 20 milliards d’euros par an pendant au minimum dix ans ; transformer notre agriculture de fond en comble ; diminuer drastiquement notre consommation d’énergie et notre empreinte carbone ; adopter des pratiques de sobriété dans nos manières de produire et de consommer.

Nous disposons aussi, à l’échelle nationale, d’une feuille de route, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), censée dessiner la voie à emprunter.

Mobiliser toutes les disciplines

Mais, pourtant, rien n’est réglé. D’abord, parce que cette feuille de route n’est pas respectée – comme l’a indiqué à plusieurs reprises le Haut Conseil pour le climat – et qu’elle est exagérément optimiste : elle continue en effet à tabler sur la croissance du produit intérieur brut (PIB) alors que celle-ci continue de s’accompagner d’une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Ensuite, parce que la mise en œuvre de cette stratégie est insuffisante.

Enfin, parce que les différents mouvements de résistance qui se sont développés ces dernières années contre ce type de mesures (« bonnets rouges » contre la taxation des poids lourds, « gilets jaunes » contre la hausse du prix des carburants, frondes contre l’installation de parcs éoliens…) risquent de transformer la SNBC en tigre de papier. Pour réussir, il faut engager une véritable révolution de nos politiques publiques.

Nous avons d’abord besoin d’organiser une véritable planification appuyée sur une prospective solide, mobilisant toutes les disciplines et dessinant des scénarios chiffrés intégrant à la fois les ressources matérielles, les évolutions macroéconomiques et celles de l’emploi, et ce, en prenant en compte les questions géopolitiques et les différentes échelles européenne, nationale et régionale.

C’est à cette condition que nous pourrons décider, par exemple, si tous les bâtiments existants doivent faire l’objet d’une rénovation thermique ou s’il est préférable de reconstruire complètement certains d’entre eux ailleurs avec de nouveaux matériaux ; si nous sommes capables de construire des ceintures maraîchères et d’organiser une forme d’autonomie alimentaire pour nos villes ; dans quels territoires il est souhaitable de répartir les nouveaux emplois de la reconversion écologique et de la relocalisation ; s’il vaut mieux ou non conserver l’énergie nucléaire pour nous permettre d’assurer notre indépendance…

Un nouveau Commissariat général du plan

Cela suppose un troisième âge des politiques publiques, où l’Etat jouera le rôle d’un chef d’orchestre capable d’organiser la coopération de tous les acteurs et l’articulation des politiques aux différentes échelles.

Nous avons besoin, en un mot, d’un nouveau Commissariat général du plan, soucieux d’aménagement du territoire et capable de mettre en place une prospective multidimensionnelle, de nouveaux instruments, dont une comptabilité carbone et de nouveaux indicateurs de richesse.

Mais cette révolution suppose également une manière radicalement différente de construire l’action publique. Nos gouvernements continuent de croire qu’une bonne pédagogie permettra de persuader nos concitoyens qu’ils doivent accepter des mesures, même si celles-ci leur semblent iniques ou inefficaces. Il n’est plus possible de procéder ainsi. Il ne s’agit pas seulement d’organiser des débats ou de consulter : il faut désormais construire les politiques avec ceux à qui elles sont destinées.

Nous ne pourrons pas procéder aux transformations nécessaires sans connaître les conditions de vie, les peurs et les aspirations de nos concitoyens. Cela suppose de déployer d’importants moyens pour réaliser des enquêtes sociales, telles que les envisageait John Dewey (1859-1952) : « La pratique des enquêtes sociales n’est autre que le repérage par le public lui-même de ses intérêts », rappelle la philosophe Joëlle Zask, dans son commentaire de l’ouvrage de Dewey Démocratie et éducation (Armand Colin, 2018).

Le troisième volet de cette révolution des politiques publiques concerne l’éducation et la formation. La reconversion écologique consiste sans doute d’abord à changer nos représentations, dans le sens suggéré il y a plus de cinquante ans par l’écologue Aldo Leopold (1887-1948) : renoncer au rapport de conquête et d’exploitation qu’entretiennent les humains avec la nature pour y substituer un rapport de respect et de soin. Toutes nos disciplines académiques devraient réviser leurs fondements en conséquence. Cela suppose de dépasser le grand partage entre sciences naturelles et sciences humaines et sociales, et d’engager une vaste réforme des enseignements. Ni nos lycéens ni nos étudiants ne doivent plus ignorer les enjeux écologiques.

Réveil écologique

C’est d’ailleurs ce que réclame le Manifeste étudiant pour un réveil écologique. Nul ne doit plus pouvoir ignorer ce que les 150 citoyens de la convention citoyenne pour le climat ont appris en quelques mois. Aucun aspirant aux responsabilités dans des organisations privées ou publiques ne doit pouvoir sortir de formation sans maîtriser ces questions.

Alors que le gouvernement a lancé au cœur de l’été un appel à candidature pour le poste de directeur du futur Institut national du service public, il faut espérer que la personne sera choisie sur sa capacité à mettre en œuvre la profonde révolution de l’action publique dont nous avons besoin.

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