Opinion

Montagne d’or : l’Etat français attaqué pour avoir retiré le projet

6 min
Mathilde Dupré Co-directrice de l'Institut Veblen

Deux investisseurs russes auraient entamé en septembre 2020 une procédure contre la France, d’après le site d’information spécialisé IAReporter. Ils le font sur la base de l’accord bilatéral de protection des investissements qui lie la France et la Russie depuis 1991. Ce litige vise le non-renouvellement par l’Etat des concessions minières, en 2019, à la compagnie Montagne d’or, en Guyane.

Un mégaprojet minier controversé

Ce projet de mine à ciel ouvert avait fait l’objet de mobilisations importantes au niveau local et au niveau national en raison des impacts massifs attendus sur l’environnement. En cause, notamment, le traitement par cyanuration entre deux réserves à haute valeur de biodiversité et le déboisement de plus de 1 500 hectares, comprenant des forêts primaires, sur un site abritant 127 espèces végétales et animales protégées. L’ONG WWF France avait aussi publié plusieurs études indiquant que les retombées économiques du projet seraient bien inférieures à celles annoncées.

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Retrait du soutien du gouvernement

Tous ces éléments avaient conduit le gouvernement français à annoncer en mai 2019, par l’intermédiaire du ministre de la Transition écologique, que le projet en l’état « ne se ferait pas ». Dans le sillage de ces annonces, l’Etat n’avait donc pas donné suite aux demandes par la compagnie Montagne d’or de prolongation pour vingt-cinq ans des concessions.

Cette décision est d’ailleurs brandie par Emmanuel Macron lui-même comme l’un des marqueurs de son bilan sur les enjeux environnementaux. « Depuis deux ans, j’assume d’avoir pris des choix qui, je le sais, parfois, ont pu contrarier, ont été contre des projets qui étaient en cours depuis longtemps, mais parce qu’ils n’étaient pas conformes à cet agenda [écologique]. (…) L’arrêt du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, de la mine de la Montagne d’or en Guyane ou du projet Europacity, c’est l’arrêt de trois projets emblématiques », affirmait-il, en février 2020.

Des procès en cascade

La décision de non-renouvellement de la concession minière a déjà été portée devant la justice française. Et le tribunal administratif, en décembre 2020, et la cour administrative d’appel de Bordeaux, en juillet 2021, ont pour l’instant donné raison à la joint-venture à l’origine du projet, réunissant les groupes Nordgold et Orea Mining. Mais l’Etat, qui n’était même pas représenté durant l’audience en première instance, au grand dam des associations, s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.

En parallèle des procédures judiciaires françaises, deux sociétés russes, Severgroup et KN Holdings, propriétaires de l’entreprise Nordgold, ont aussi choisi d’utiliser la justice d’exception offerte aux investisseurs étrangers dans le cadre des accords de protection des investissements. Ces deux entités, dont le principal actionnaire n’est autre que le milliardaire russe Alexei Mordashov, ont ainsi déposé une notification de litige en septembre 2020, puis une demande formelle d’arbitrage en juin 2021, après des négociations infructueuses. Les investisseurs réclameraient plus de 4,5 milliards de dollars de compensation, soit la moitié de la valeur présumée de la mine.

Il apparaît évidemment très difficile de dire à ce stade ce qui pourrait advenir de cette procédure, surtout avec le degré de confidentialité qui caractérise ce genre d’affaires.

La seule certitude est que la compagnie minière continue de travailler. A la veille de l’ouverture à Marseille du Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature, tout début septembre, Orea Mining a informé avoir mis au point « un nouveau projet Montagne d’or avec un impact environnemental significativement réduit ».

Un litige a priori sans précédent

Premier véritable cas connu de litige à l’encontre de la France, en matière d’arbitrage d’investissement1, cette affaire porte donc sur un dossier très sensible sur le plan environnemental et qui a été arbitré au plus haut niveau de l’Etat français. Jusqu’à ce jour, seules des menaces de litiges avaient été recensées. L’ONG Les amis de la Terre avait ainsi révélé que l’entreprise canadienne Vermilion avait brandi auprès du Conseil d’Etat, en 2017, l’éventualité de poursuites, à travers le traité sur la charte de l’énergie, au moment de l’examen de la loi Hulot sur la fin de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures. S’il est difficile de mesurer le poids exact d’un tel chantage, force est de constater que l’entreprise avait obtenu gain de cause puisque le gouvernement avait finalement autorisé le renouvellement des concessions et des permis miniers jusqu’en 2040, affaiblissant ainsi considérablement la portée de la loi.

Plus récemment, ce sont des cabinets d’avocats qui suggéraient aux investisseurs étrangers d’attaquer la France, à nouveau en vertu du traité de la charte de l’énergie, à la suite de la révision des contrats définissant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations photovoltaïques, votée en décembre 2020. Cette révision avait pour but de maîtriser les dépenses publiques et respecter les règles encadrant les aides d’Etat. Mais étant donné la complète opacité qui entoure certains de ces litiges, on ne peut exclure que les cas soient en réalité plus nombreux.

La France est signataire d’une centaine de traités internationaux offrant la possibilité aux investisseurs d’attaquer l’Etat selon des modalités qui leur sont très favorables

La France est signataire d’une centaine de traités internationaux offrant la possibilité aux investisseurs d’attaquer l’Etat selon des modalités qui leur sont très favorables. Pour éviter à l’avenir que de telles attaques se multiplient à l’encontre des décisions publiques de protection de l’environnement dont nous allons avoir de plus en plus besoin, il apparaît indispensable de mettre fin à ces clauses de protection des investissements.

Cela passe notamment par un retrait rapide et si possible coordonné avec les autres pays membres de l’Union européenne du traité plurilatéral de la charte de l’énergie qui reste à ce jour l’instrument le plus utilisé pour des poursuites à l’encontre des Etats européens. Et cela suppose aussi bien sûr de ne pas ratifier les nouveaux accords – Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), UE-Vietnam, UE-Singapour –, afin de ne pas accroître encore les risques de litiges.

  • 1. Un seul autre cas de litige avait été publiquement recensé sur la base de données de la Cnuced. Il s’agissait d’un litige concernant les droits de propriété intellectuelle, initié en 2013 par un investisseur turc avant d’être abandonné.

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