Les banques sous haute surveillance : épisode • 3/3 du podcast Mécaniques d’une faillite bancaire

Le siège des banques suisses Crédit Suisse et UBS, Paradeplatz à Zurich, Suisse, 19 mars 2023 ©Maxppp - MICHAEL BUHOLZER/EFE/Newscom/MaxPPP
Le siège des banques suisses Crédit Suisse et UBS, Paradeplatz à Zurich, Suisse, 19 mars 2023 ©Maxppp - MICHAEL BUHOLZER/EFE/Newscom/MaxPPP
Le siège des banques suisses Crédit Suisse et UBS, Paradeplatz à Zurich, Suisse, 19 mars 2023 ©Maxppp - MICHAEL BUHOLZER/EFE/Newscom/MaxPPP
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Les crises bancaires sont-elles liées aux défauts de la supervision ou aux contournements permanents des banques ?

Avec
  • Jézabel Couppey-Soubeyran Maîtresse de conférences en économie à l’université Paris-I, conseillère scientifique à l’Institut Veblen
  • Alexis Drach Historien, maître de conférences en histoire contemporaine à Paris 8

Avec un mois de mars 2023 marqué par la faillite de la Silicon Valley Bank et le rachat du Crédit suisse par sa rivale UBS, la crainte d’une contagion des crises bancaires est plus élevée que jamais. Les autorités tentent donc de réagir de manière forte et crédible, dans le but d’apaiser les marchés et de rétablir la confiance dans le système bancaire international. Les mesures de crise, comme la garantie des dépôts aux USA ou la fusion en Europe, sont un des volets de la politique de supervision bancaire.

Une supervision bancaire axée sur la prévention, forgée par les crises bancaires récurrentes du XXe siècle

Des règles se sont développées tout au long du XXe siècle, dans un but de prévention des difficultés bancaires ou de gestion autonome des aléas par les établissements. La supervision bancaire comporte donc deux faces : la résolution, une fois la banque “condamnée” et la prévention : cette dernière facette, la moins coûteuse, est celle privilégiée par la communauté internationale dans un contexte d’hégémonie des acteurs financiers et notamment bancaires, Alexis Drach explique "pendant longtemps les autorités, en France notamment, pensaient que les grandes banques, parce qu'elles étaient grandes savaient bien faire leur travail et donc elles étaient beaucoup moins surveillées. Entre 1945 et les années 70, les contrôleurs bancaires en France inspectaient surtout les petites banques. L'idée du "too big to fail" avait un autre sens, les grandes banques devaient nécessairement savoir ce qu'elles faisaient pour avoir obtenu une telle taille, il y a avait donc une confiance dans ces banques et on surveillait surtout les petites et moyennes banques".

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Au-delà de l'argument d’une crise bancaire qui ne touche actuellement que les établissements fragiles, les autorités européennes ont également développé un récit qui fait peser la responsabilité de la faillite de SVB et de la fragilisation du secteur bancaire américain sur la dérégulation que celui-ci a connu dans les dernières années, et notamment sous la présidence Trump, Jézabel Couppey-Soubeyran ajoute "après la crise financière de 2008, l'effort a été le même de part et d'autre de l'Atlantique. Les Etats-Unis se sont lancés dans le "Dodd-Frank Act" et ont été très occupés à essayer de faire entrer en vigueur toutes les dispositions de ce Dodd-Frank Act, dont la disposition la plus connue est la séparation entre banques d'affaires et banques de dépôts. Les Etats-Unis ont renforcé les règles de fonds propres et introduit des règles de liquidité pour que les banques puissent résister aux crises de liquidité. Les Etats-Unis ont également été signataires des accords de Bâle III, même s'ils ont traîné pour en transposer les dispositions dans leur droit, car il y une différence de philosophie réglementaire entre les Etats-Unis et l'Europe. Les Etats-Unis sont assez pragmatiques concernant la réglementation bancaire, notamment au travers de leur exigence de fonds propres...c'est une exigence simple et qui n'est pas manipulable. En revanche, les Européens sont davantage dans la recherche de sophistication, ils sont presque scientistes dans la mesure des risques. Ils veulent absolument que la mesure de fonds propres soit bien ajustée aux risques...sauf que les superviseurs ne savent pas bien calculer les risques des actifs, et dans les accords de Bâle II on a autorisé les banques à utiliser leur propre modèle pour calculer leur risque. De ce fait, on constate des manipulations énormes que les accords de Bâle III essayent de contenir, sauf que ces règles ne sont pas encore transposées en Europe".

Pourquoi faut-il surveiller les banques ?

Mise au premier plan par la globalisation financière des années 1970, la supervision bancaire existe parfois depuis la fin du XIXe siècle, signe que les pouvoirs publics portaient déjà un œil attentif à ces acteurs particuliers que sont les établissements bancaires. Particulièrement renforcées après la crise de 1929, les règles de supervision ont été standardisées sous l’égide du Comité de Bâle, créé en 1974, sous l’égide de l’ancêtre du G20, le Groupe des Dix. Alexis Drach précise "aux Etats-Unis, les premières lois de régulation bancaire remontent au début du 19e siècle, non pas au niveau fédéral, mais chaque Etat établissait progressivement ses règles, il y avait une sorte d'amoncellement de réglementations, avec des contrôleurs et des inspecteurs qui vont regarder l'activité des banques. Par exemple, certaines banques n'avaient pas le droit de se développer en dehors de leur Etat et à cette époque il n'y avait pas du tout de banque géante mais de très nombreuses petites banques ; elles feront d'ailleurs massivement faillite dans les années 30 avec la Grande Dépression. Et puis au niveau fédéral en 1863 se met en place une première agence de régulation, le Comptroller of the Currency,  qui émet des licences fédérales permettant aux banques de se développer dans plusieurs Etats des Etats-Unis". Jézabel Couppey-Soubeyran ajoute "les années 30 aux Etats-Unis c'est fondamental pour comprendre comment le système financier américain s'est façonné par la suite. En 1933, c'est le Glass-Steagall Act qui instaure la séparation entre les banques de dépôts et les banques d'affaires et cela va façonner un secteur bancaire étroit, et autour des banques un large tissu d'intermédiation financière non bancaire va se développer. Ce système financier qui perdure de 1933 jusque dans les années 70 est étroitement contrôlé. En Europe, les bases de la réglementation sont posées après la seconde guerre mondiale, avec un dispositif réglementaire qui est là pour diriger l'activité bancaire vers la reconstruction".

Pour aller plus loin

  • Alexis Drach : Liberté surveillée. Supervision bancaire et globalisation financière au Comité de Bâle, 1974-1988 (Presses Universitaires de Rennes, 2022)
  • Jézabel Couppey-Soubeyran et Thomas Renault : Monnaie, banques, Finance - 4ème édition (PUF, 2021)
  • Chroniques critiques de l’économie, co-édition Bréal et Radio France, janvier 2023

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