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Le Parlement européen adopte le paquet « Fit for 55 » : explication des votes

Mathieu Delatte Ben Kemoume, 22 juin 2022

Le Parlement européen adopte le paquet « Fit for 55 » : explication des votes

Du 6 au 9 juin 2022 se tenait une séance plénière du Parlement européen (PE) qui devait entre autres voter sur des textes clefs du paquet législatif climatique Fit for 55. Le premier vote sur ces huit textes a eu lieu le mercredi 8 juin : les trois textes refusés par le PE ont été amendés et adopté le 22 juin.

Analyse des textes votés le 22 juin :

  • 1) Révision du système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE, European Trading System ou ETS en anglais)
    Le SEQE, établi par une directive de 2003 (directive 2003/87/CE) dans le cadre de la ratification du protocole de Kyoto (et mis en œuvre depuis 2005), est un marché d’échange de droits d’émissions pour les entreprises des pays membres de l’UE. Elles y achètent et revendent des droits d’émissions (ou quotas) distribués ou vendus chaque année (qui, si inutilisés, peuvent également être stockés dans la « réserve de stabilité »), dans un processus encadré par un plafond d’émission décroissant d’année en année (principe du cap and trade). Fonctionnant par phases temporelles, le système du SEQE (régissant les émissions de carbone) est entré en 2021 dans sa quatrième phase, qui durera jusqu’en 2031. Cette phase a été révisée en 2018 pour correspondre aux engagements européens consentis sous l’Accord de Paris. Toutefois, les ambitions climatiques de l’UE ont été revues à la hausse depuis cette révision avec l’adoption de la Loi européenne sur le climat  ; c’est pourquoi le paquet «  Fit for 55  » a prévu une nouvelle révision de la phase 4 d’ETS.

Les principales mesures proposée par la Commission européenne (CE) étaient :

  • Un rehaussement de l’objectif de réduction d’émissions des secteurs couverts par le SEQE pour atteindre une baisse de 61% des niveaux de 2005 d’ici 2030 (contre un objectif actuel de 43%) ;
  • Une élimination des dons de quotas de 2026 à 2035 ;
  • Une extension du champ d’application du SEQE au transport maritime (en plus de la production d’énergie, de l’industrie lourde et de l’aviation commerciale) ;
  • En parallèle, un nouveau SEQE (SEQE 2) serait créé d’ici 2025 (avec un plafond d’émissions d’ici 2026) pour les transports routiers et la construction de bâtiments, régulant les fournisseurs et non les consommateurs.

Après le rejet du texte amendé issu de la Commission ENVI lors de la première session plénière, les groupes S&D, Renew et le PPE ont trouvé un compromis, proposé au vote lors de la deuxième session plénière de juin. Il propose :

  • Un objectif de baisse de 63% des niveaux d’émission de 2005 d’ici 2030 ;
  • Une élimination des quotas gratuits entre 2027 et 2033 ;
  • D’accepter l’extension du SEQE au transport maritime
  • D’accepter la création d’un SEQE 2
  • D’instaurer des remises aux exportations en maintenant des quotas gratuits pour les secteurs dépendants de l’exportation [1]
    Le Parlement européen a décidé, en séance plénière, a largement adopté le compromis de vote issu des négociations tripartites.

Analyse des négociations au Parlement européen :

Considérant la proposition initiale de la Commission insuffisamment ambitieuse pour atteindre les cibles climatiques européennes, la Commission ENVI du Parlement a rehaussé l’objectif de réduction des émissions de 67% par rapport à 2005 et une proposé la disparition des quotas d’émission entre 2026 et 2030. Or, le PPE et Renew se sont ensuite mis d’accord pour soutenir un objectif de 63% et une réduction des droits d’émission plus étalée dans le temps (70 millions de droits retirés du SEQE en 2024, puis 50 millions en 2026), ainsi qu’un arrêt des distributions gratuites de droits en 2034 (repoussant dès lors l’entrée en fonction du MACF).
Concernant le SEQE 2, les parlementaires de la Commission ENVI se sont accordés sur une application limitée aux véhicules et bâtiments commerciaux jusqu’en 2029 (après évaluation de la CE et une nouvelle procédure législative), pour ne pas faire peser la charge de la transition sur les foyers, en particulier les plus vulnérables. Cela représente environ les trois quarts des émissions de ces deux secteurs. De plus, le prix des quotas d’émission serait plafonné à 50€ jusqu’en 2030 et ces derniers ne devraient être restitués qu’une fois les prix du carburant revenus à leur niveau d’avant mars 2022.

En séance plénière du 8 juin, les amendements portés par les groupes Renew et du PPE ont transformé la proposition issue de la Commission ENVI, pour la remodeler selon les modalités décrites auparavant. Face à la dénaturation du texte, une alliance de circonstance s’est nouée entre les partis écologistes et de gauche (GUE/NGL, S&D, Verts/ALE) et les partis nationalistes et d’extrême droite (ECR, ID) pour rejeter le texte et le renvoyer en Commission ENVI pour un nouvel examen.

À noter : les groupes ECR et ID avaient voté aux côtés du PPE et d’une partie de Renew pour faire passer les amendements issus du consensus entre Renew et le PPE, dans une tentative d’obtenir le texte le moins ambitieux possible. C’est ce même objectif qui les a guidés dans leur vote contre la proposition globale finale, aux côtés cette fois-ci des partis de gauche. Ces deux groupes avaient par ailleurs déposé une proposition de rejet du texte de la Commission (rejetée).

  • 2) Création du Fonds social pour le climat (FSC, Social Climate Fund ou SCF en anglais)
    Puisque le Pacte vert pour l’Europe entend mettre en place une transition qui se veut juste, la Commission européenne propose de créer un instrument pour aider les plus vulnérables (particuliers et micro-entreprises) à gérer les coûts de ce changement de modèle. Le fonds social pour le climat (FSC) est intrinsèquement lié au SEQE 2, dans la mesure où il est conçu pour répondre socialement à l’extension de ce dernier, à partir duquel il tirerait son financement. Il entrerait également en vigueur au même moment que le nouveau SEQE.

Ainsi, la CE propose :

  • De financer entièrement le FSC à partir de 25% des recettes venant de l’achat de quotas d’émission, soit 72,2 milliards sur la période 2025/2032. Auparavant, il sera financé par les fonds propres de l’UE ;
  • De conditionner les sommes versés par le FSC au strict respect des cibles déterminées par un « plan social d’action climatique » national, soumis par tous les États membres en juin 2024.

La proposition de la CE a été confiée aux Commissions ENVI et EMPL (emploi et affaires sociales) pour un rapport joint. Les deux commissions ont adopté leur position :

  • Confirmation du financement ;
  • Confirmation du conditionnement des aides au suivi du « plan social d’action climatique » et rappel de la nécessité du respect de l’État de droit pour pouvoir bénéficier des fonds européens.
    En séance plénière, le rapport a été renvoyé en Commissions parlementaires suite au rejet de l’ETS car les enjeux et implications, financières notamment, sont liés.

Lors de son deuxième examen en séance plénière, a largement adopté la proposition telle qu’amendée par la Commission ENVI.

  • 3) Création du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF, Carbon Border Adjustment Mechanism ou CBAM en anglais)
    Pour compenser la fin des quotas d’émission gratuits et niveler le terrain de la compétition économique entre acteurs européens et extra-européens, la Commission européenne propose de mettre en place un mécanisme faisant payer les importateurs de produits dans l’UE pour leurs émissions de GES. Sur le même principe que le SEQE, ces acteurs devront payer des quotas d’émission en fonction des émissions émises pour la production du bien importé, au même prix constaté que les producteurs européens au sein du SEQE. Si l’entreprise productrice du bien importé est déjà soumise à un marché carbone et a payé pour les émissions dues à sa production, l’importateur européen pourra déduire le prix payé en amont par le producteur à celui qu’il devra payer sous le MACF.

La Commission a donc proposé :

  • La mise en place de ce mécanisme dès 2023 ;
  • Une mise en place progressive et initialement dirigée vers les secteurs à haut risque de fuite de carbone [2] (fer et acier, ciment, engrais, aluminium, production d’électricité). Le paiement de quotas n’interviendrait qu’à partir de 2026 [3], date à laquelle l’arrêt de dons de droits d’émission sous le SEQE commencerait à se mettre en place ;
  • L’extension du mécanisme en 2035 à tous les secteurs couvert par le SEQE.
    La Commission ENVI du Parlement a décidé les mesures suivantes :
  • La mise en place en 2023 a été validée ;
  • La progressivité de celle-ci a été accélérée : extension du spectre initial du MACF pour y ajouter l’hydrogène, les polymères et les produits chimiques organiques, ainsi que les émissions indirectes (comme l’électricité utilisée lors de la production) ; paiement de quotas dès 2025 aura lieu [4] ;
  • Extension du mécanisme à tous les secteurs du SEQE dès 2030.
    En première session plénière, le rapport sur la position du Parlement a été renvoyé en Commission suite au rejet de l’ETS.

Lors de la seconde session plénière du Parlement a largement adopté le texte tel qu’amendé par la Commission ENVI.

Les textes adoptés dès le 8 juin :

  • 4) Révision du système d’échange de quotas d’émission de l’UE pour l’aviation
    Inclus dans le SEQE depuis 2012 et une révision de la directive de 2003 créant le SEQE, le secteur de l’aviation européen doit se soumettre aux règles du marché carbone. Actuellement, les vols à l’intérieur de l’Espace économique européen sont concernés par le SEQE.

Pour atteindre ses objectifs climatiques, la Commission a proposé une révision du SEQE pour le secteur de l’aviation (par une révision de la même directive de 2003). Si son champ d’application resterait cantonné aux vols intra-EEE, la Commission souhaite arrêter la distribution gratuite de droits d’émission d’ici 2027.

Analyse des négociations au PE

Cette proposition a été revue par la Commission ENVI du Parlement européen. Celle-ci a voté pour étendre le champ d’application du SEQE aviation à tous les vols au départ d’un aéroport situé dans l’EEE, faire cesser les dons de droits d’émission d’ici 2025 et imposer la réorientation de 75% des revenus tirés de la vente de droits au soutien à l’innovation et aux nouvelles technologies. L’idée principale ici est de faire en sorte que le marché de vente et d’achat remplace le don de droits gratuits, amené à disparaître.

Cette proposition amendée a été largement adoptée par le Parlement en séance plénière.

  • 5) Révision de la notification au titre du régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale (CORSIA)
    CORSIA est un cadre international créé pour réduire les émissions de l’aviation internationale. Cette structure est néanmoins beaucoup moins ambitieuse que le SEQE européen. En effet, si le SEQE ambitionne une baisse progressive des émissions issues de l’aviation, CORSIA se contente de chercher à les stabiliser à leurs niveaux de 2019, année record où les émissions ont atteint leur pic.

La Commission propose de modifier la directive de 2003 du SEQE afin de garantir que les États membres informent les compagnies aériennes basées dans l’UE de leurs obligations de compensation pour l’année 2021 dans le cadre du CORSIA.

La Commission ENVI du Parlement européen a confirmé la proposition initiale de la CE, en prenant soin de souligner le caractère temporaire de cette disposition, qui ne doit s’appliquer que jusqu’à l’entrée en vigueur de la révision du SEQE.

En séance plénière, la position de la Commission ENVI a été très largement adoptée.

  • 6) Révision des normes de performance en matière d’émissions de CO₂ pour les voitures et les camionnettes
    La législation actuelle sur les normes de performance en matière d’émissions de CO₂ pour les voitures et les camionnettes (règlement (UE) 2019/631) définit les objectifs d’émissions moyennes des véhicules neufs à l’échelle de l’UE, qui devront être réduites de 37,5% en 2030, par rapport à la limite fixée pour 2021 (95g CO2/km). Un outil d’incitation ZLEV aux producteurs pour la fabrication de véhicules zéro- et faible-émission est aussi en place.

La CE propose, par sa révision, de porter cet objectif de réduction à 55% pour les voitures particulières et 50% pour les camionnettes d’ici 2030, et à 100% pour les deux catégories d’ici 2035 [5]. Pour mettre en place cette trajectoire de réduction, des cibles annuelles seront fixées pour chaque constructeur. De plus, la Commission propose d’arrêter le mécanisme incitatif ZLEV en 2030 (pour ne pas créer d’effet d’aubaine et ne pas nuire aux objectifs plus ambitieux à venir) et de se contraindre à rendre compte des progrès accomplis vers la mobilité zéro-émission en 2026 (puis produire un rapport biannuel) et, en se basant sur ces résultats, à revoir l’efficacité du règlement révisé en 2028. La dérogation aux cibles personnalisées (dont la méthode de calcul sera revue) pour les fabricants produisant de 1 000 à 10 000 voitures par an (ou de 1 000 à 22 000 véhicules légers) sera abrogée en 2030, tandis que l’exemption pour les fabricants produisant moins de 1 000 véhicules par an sera maintenue.

En Commission ENVI, le Parlement européen a adopté la proposition initiale en y ajoutant quelques mesures : réduire graduellement le plafond pour l’éco-innovation [6] ; supprimer le mécanisme d’incitation ZLEV ; rendre annuel le rapport biannuel post 2026 sur la trajectoire zéro-émission ; publier d’ici la fin de 2023 un rapport écrit par la CE précisant la nécessité de mettre en place un financement ciblé pour garantir une transition équitable dans le secteur automobile ; publier d’ici la fin de 2023 une méthodologie commune élaborée par la CE pour l’évaluation des émissions du cycle de vie complet des voitures et des camionnettes mises sur le marché de l’UE, ainsi que pour les carburants et l’énergie consommés par ces véhicules. Une avancée de la cible de 2035 à 2030, ou l’instauration d’une cible intermédiaire pour 2027 n’ont cependant pas été retenues.

En séance plénière, le Parlement a adopté cette position, rejetant les amendements visant à autoriser la mise en vente des véhicules hybrides ou utilisant des biocarburants après 2035, ou un abaissement de la cible de réduction pour la même date à 90%. Toutefois, l’objectif de mettre fin aux dérogations aux objectifs de réduction personnalisés a été repoussé à 2036.

  • 7) Révision du règlement sur le partage de l’effort (Effort Sharing Regulation, ESR)
    L’Effort Sharing Regulation est un règlement adopté en 2018 traduisant l’engagement des États membres de 2014 à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40% en 2030 (par rapport aux niveaux de 1990). Reconnaissant les différents niveaux d’avancée des États dans leur décarbonation, l’ESR a pour intérêt de répartir des cibles personnalisées contraignantes, pour tous les secteurs en dehors du SEQE (représentant environ 60% des émissions de GES de l’UE), dans le but d’atteindre l’objectif commun de -40%. Or, depuis 2014, de nouveaux engagements climatiques, plus ambitieux, ont été consentis par l’UE. Il convient donc d’actualiser l’ESR.

La CE propose de réduire les émissions des secteurs ESR de 40% par rapport à leurs niveaux de 2005 (augmentant de 11 points de pourcentage la cible actuelle), avec des objectifs nationaux allant de -10% à -50% (ils varient actuellement entre 0% et -40%). Coût total estimé sur cinq ans : 1 750 000€.

La Commission ENVI du Parlement européen a repris la plupart des dispositions de la proposition publiée par la CE, sans pouvoir élever significativement le niveau d’ambition du texte.

Ce compromis à l’ambition mesuré a largement été adopté en séance plénière du Parlement européen.

  • 8) Révision du règlement sur l’utilisation des terres et la foresterie pour la période 2021-2030 (LULUCF)
    Le règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (LULUCF) a été adopté en 2018 par l’UE. Il règlemente les émissions et absorptions de CO2, de CH4 et N2O résultant de la gestion des terres, forêts et de la biomasse sur la période 2021-2030. Claqué sur l’objectif obsolète de réduction de 40% des émissions de GES d’ici 2030, il doit être revu pour répondre aux nouvelles cibles climatiques européennes.

La Commission propose donc de réviser le règlement LULUCF en ce sens, avec pour principal objectif de renverser la tendance qui s’est installée cette dernière décennie, réduisant la capacité d’absorption de CO2 des écosystèmes régulés par le règlement LULUCF. Pour atteindre la neutralité carbone nette en 2050, la Commission entend en effet profite du pouvoir d’absorption de carbone que constituent les puits de carbone que sont les espaces végétaux. Pour y parvenir, voici les principales mesures proposées : intégrer les émissions GES hors CO2 du secteur agricole à LULUCF d’ici 2030 pour former un nouveau plier d’action climatique, fixer un calendrier pluriannuel d’objectifs [7], atteindre d’ici 2030 310 MtCO2 d’absorptions carbone. Tous ces points seront accompagnés de dispositifs de flexibilité (pour les cibles nationales) et de simplification des procédures comptables.

La Commission ENVI du Parlement européen a corrigé quelques mesures de la proposition initiale avant de soumettre le texte au vote de la plénière. L’intégration des émissions agricoles n’a pas été retenue, par peur d’un effet contre-productif dans la lutte pour leur réduction. La cible de 310 MtCO2 a été complétée par un seconde, de 50MtCO2 venant d’actions volontaires de « carbon farming » [8]. Un rapport est d’ailleurs demandé à la Commission européenne pour identifier les possibles financements à la formation à ces pratiques. Les députés européens ont également inclus une disposition permettant de rendre obligatoire le système de certification des absorptions du carbone (dont le contenu viendra dans une autre proposition législative). La Commission européenne sera également tenue de rendre un rapport d’ici la fin 2024 sur les progrès accomplis et si ces derniers tracent une trajectoire cohérente avec les engagements climatiques de l’UE, partageant par la même des recommandations nationales. La Commission ENVI a aussi prolongé le dispositif de cibles personnalisées après 2035, jusqu’à 2050.

En plénière, le texte de la Commission ENVI a été repris dans sa majeure partie, sauf en ce qui concerne le rehaussement de l’objectif de réduction des émissions de 2030. Après amendements, le texte a été adopté à une très large majorité.

Prochaines étapes :

Les propositions adoptées vont maintenant être négociées en trilogue, une fois que le Conseil aura adopté sa position.

Le Conseil des ministres de l’environnement se réunira le 28 juin et il est attendu qu’un accord global sur les huit textes soit conclu lors de cette réunion. Comme indiqué par Neil Makaroff lors de la dernière réunion du groupe, la présidence française n’a pas poussé pour aller au-delà des cibles et mesures proposées par la CE. Si une pression pour se montrer plus ambitieux avait pu être avec la parution d’un appel formé par dix ministres européens de l’environnement [9] le mercredi 15 août, appelant l’ensemble des États membres à parvenir à un accord ambitieux avant l’été, la position finale adoptée par les États membres reste très prudente. L’accord reprend la majorité des principales mesures et cibles de la proposition initiale de la CE [10] (sans les amendements du PE), tout en introduisant quelques exceptions pour satisfaire les intérêts nationaux. Par exemple, il est demandé à la CE de réfléchir à l’exclusion des e-carburants [11] au moment d’interdire les moteurs à combustion interne en 2035, selon une requête allemande. De même, des pays très boisés tels que la Suède et la Finlande ont obtenu le droit de se soustraire aux cibles intermédiaires et du mécanisme d’exécution de la nouvelle règlementation sur l’absorption carbone.

En plus de ces dérogations, le vrai changement et point de tension par rapport à la proposition initiale se situe sur le Fonds social pour le climat. Les États dits « frugaux », dont l’Allemagne, les Pays-Bas et les pays nordiques, ont réussi à obtenir une réduction de l’enveloppe qui lui serait consacré, à hauteur de 59 milliards d’euros. C’est donc moins que les 72 milliards proposés par la CE et acceptés par le PE, et ce alors que le Conseil souhaite conserver l’application de ETS 2 aux ménages dès l’entrée en vigueur de ce dernier.

Si la position du Parlement est d’ores et déjà fragile et que l’unité autour du compromis trouvé n’est pas forte, les négociations pourraient s’avérer plus faciles pour le Conseil qui pourrait s’accorder sur les mesures initiales de la Commission. Les négociations en trilogue sur ces textes du paquet Fit for 55 sont prévues pour le mois de septembre.

Des mesures à la hauteur des engagements climatiques européens ?

Ces textes majeurs de Fit for 55 et essentiels à la mise en œuvre du Green Deal sont censés faire de l’Europe un continent neutre en carbone d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions de 55% en 2030 (par rapport à leurs niveaux de 1990).

Néanmoins, selon la majorité des ONG environnementales travaillant à l’échelle européenne, les engagements pris sous le paquet législatif Fit for 55 ne permettent pas à l’UE d’honorer ses engagements climatiques contractés lors de la COP 21. En effet, si l’on écoute les acteurs experts de la politique environnementale européenne, ces textes, dans les termes proposés par la Commission européenne, ne permettront pas de respecter la trajectoire de limitation du réchauffement climatique à + 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels.

Selon WWF, CAN Europe, Greenpeace ou encore la Heinrich Böll Stiftung, une réduction des émissions de 65% en 2030 permettrait à l’Europe de respecter ses engagements. Dès lors, des critiques se déclinent également sur les initiatives de Fit for 55. La réforme de l’ETS est ainsi critiquée pour sa cible de réduction des émissions de 61%, à laquelle il conviendrait selon les scientifiques de préférer un objectif de 70%, avec une fin des quotas gratuits plus rapide et complète (sans remises aux exportations). L’interdiction des véhicules à moteur à combustion interne est aussi vue comme trop tardive pour respecter la trajectoire climatique consentie par l’UE en 2015. Concernant le règlement LULUCF, les ONG estiment nécessaire un doublement de la cible d’absorption carbone annoncée par la CE, pour atteindre 600 millions de tonnes. Enfin, concernant l’ESR, CAN Europe estime que la cible de 40% de réduction des émissions doit être revue à la hausse de 10 points, tandis que WWF demande à ce que tous les États membres se dotent d’un objectif daté pour atteindre la neutralité carbone.

Ces demandes ne semblent pas avoir été entendues par la CE, ni les deux colégislateurs qui n’ont pas adopté de position à la hauteur des exigences précitées. Il faut donc composer avec une ambition moins grande, que l’organe scientifique indépendant Climate Action Tracker, entre autres soutenu par la Fondation européenne pour le climat (ECF), analyse. Se basant sur le paquet Fit for 55, il juge l’action politique européenne comme « presque suffisante » et conduisant à une hausse des températures de 2°C selon les propositions initiales de la CE. La réduction imposée par l’Accord de Paris pourrait néanmoins être atteinte en 2030, avec des « améliorations modérées ».


[1Puisque les entreprises européennes paient leurs émissions pour produire et exporter, elles se retrouvent en désavantage comparatif avec les entreprises internationales qui ne sont pas régulées par un marché carbone. Ce désavantage est pallié par le don de droits d’émission gratuits. Or, ceux-ci sont amenés à disparaître avec l’introduction du MACF. Ainsi, pour ne pas créer de situation où la compétitivité des entreprises européennes serait faussée, des dons se feront toujours pour les entreprises des secteurs dépendants des exportations, sur la base de la part de la production exportée.

[2La fuite de carbone est le nom donné au phénomène de délocalisation d’une activité pour l’implanter dans un pays où polluer coûte moins cher que dans le pays d’origine.

[3De 2023 à 2025, les entreprises ne devront que rapporter les émissions pertinentes pour le MACF, sans payer les droits correspondants.

[4Correspondant au calendrier du SEQE amendé par la Commission ENVI.

[5Ce qui correspondrait à une interdiction de vente des véhicules à moteur à combustion interne, autrement dits thermiques.

[6Dispositif permettant aux constructeurs équipant leurs véhicules d’éco-technologies d’obtenir des droits d’émission jusqu’à l’approbation de leurs technologies

[7Sortir de la « no debit-rule » en vigueur (les émissions de CO2 ne doivent pas être supérieures aux capacités d’absorption) en 2026 pour imposer un objectif contraignant minimum d’absorption net pour 2030, personnalisé par État, puis atteindre la neutralité climatique en 2035 pour l’agriculture (hors CO2), les terres et la foresterie.

[8Nom donné aux pratiques agricoles favorisant le stockage / l’absorption de carbone, que ce soit par la préservation des sols aux stocks déjà élevés ou par la mise en place de nouvelles pratiques.

[9Les dix pays à avoir signé cet appel sont : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Slovénie et la Suède.

[10Cible de réduction des émissions ETS de 71%, fin de vente des véhicules à moteur à combustion interne en 2035, introduction d’un ETS 2 sur les transports et le chauffage, etc.

[11Les e-carburants, ou e-fuels, sont des carburants de synthèse neutres en CO2.

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