Dominique Méda : "La richesse de la société ne se réduit pas à des points de croissance"

Dominique Méda, philosophe et sociologue ©Maxppp - Vincent Isore/IP3 PRESS
Dominique Méda, philosophe et sociologue ©Maxppp - Vincent Isore/IP3 PRESS
Dominique Méda, philosophe et sociologue ©Maxppp - Vincent Isore/IP3 PRESS
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Agrégée de philosophie, normalienne, énarque, haute-fonctionnaire, inspectrice générale des affaires sociales, à la fois philosophe et sociologue… Dominique Méda nous invite dans l'Embellie aux sources de son inspiration et de son travail, si éclairant pour notre temps.

Avec
  • Dominique Méda Professeure de sociologie à Paris-Dauphine, Productrice chez France Culture

Dominique Méda est incontournable quand on s'interroge sur la question du travail. Elle mène une réflexion philosophique et sociologique sur la place de ce dernier dans nos sociétés. Elle est notamment engagée pour l'écologie et la lutte contre les inégalités.

C'est la possibilité de contribuer à changer le monde qui l'anime quotidiennement. Elle passe son temps à avertir, mettre en garde, informer, débattre, montrer qu'une autre voie est possible et que ses possibilités sont peu ou lentement appliquées.

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Elle est têtue, et persévère, comme elle l'explique : "Je continue imperturbablement à espérer en effet que les petites bouteilles que je jette à la mer finiront par être ouvertes."

Changer, chacun à son niveau

Selon Dominique Méda, chacun d'entre nous peut changer la donne, s'investir dans des organisations, des associations ou autre. En cela, elle croit beaucoup en la jeune génération : "Moi, j'admire beaucoup tous ces jeunes qui font des actions alors qu'on leur reproche de faire un peu n'importe quoi, de jeter de la soupe, etc. Mais moi, je les comprends parce qu'ils sont complètement désespérés. Donc ils essayent de trouver de nouvelles modalités d'action et je trouve ça très intéressant parce que les spécialistes des mouvements sociaux nous montrent bien qu'aujourd'hui, par exemple, la manifestation c'est compliquée, elle ne donne pas toujours les résultats qu'on attend. Donc je trouve ça très bien qu'on essaye de trouver d'autres modes d'action."

Elle prône l'empathie, le fait que chacun essaie de se mettre à la place de l'autre : "Je pense qu'on gagnerait beaucoup de temps et on avancerait beaucoup plus sur les changements de politique si chacun, en effet, était capable de se mettre dans la peau de l'autre. C'est très rare. Avant, les gens le faisaient un peu par charité, ou parce que la religion nous dit qu'il faut qu'on s'occupe des autres. Mais moi, je pense que de façon tout à fait laïque, si on était capable de dire : qu'est-ce que ça veut dire de vivre avec le Smic ? Qu'est-ce que ça veut dire tout d'un coup d'être au chômage, travailler pendant 30 ans dans un endroit et puis d'un coup, être viré ?"

Concrètement, elle propose que chaque personne essaye de convaincre trois personnes de l'importance de prendre en compte le changement climatique, et d'agir, individuellement. Pour elle, chacun devrait parler avec ses voisins pour leur montrer comment nous pourrions aller vers un monde différent, plus juste, plus soutenable. Elle croit vraiment dans le pouvoir de la discussion.

Rompre avec l'obsession de la croissance

Pour Dominique Méda, le PIB (produit intérieur brut) est un indicateur un peu limité, voir mauvais, parce qu'il ne prend pas en compte beaucoup de variables. Elle détaille : "Il oublie toutes les activités, par exemple qu'on fait à l'intérieur des foyers comme les activités domestiques, familiales, amicales, amoureuses. (...) Et puis, c'est une comptabilité qui ne nous montre pas comment sont déformés en quelque sorte les patrimoines qu'on utilise pour fabriquer la production."

Elle réfléchit alors avec d'autres collègues – comme Florence Jany-Catrice ou Jean Gadrey, tout deux économistes – à d'autres indicateurs. Elle explique : "Nous, ce qu'on dit, c'est qu'on pourrait enserrer le produit intérieur brut dans deux ou trois autres gros indicateurs : l'empreinte carbone, l'indice de santé sociale pour montrer l'importance du patrimoine naturel et l'importance de la cohésion sociale, et peut-être un indicateur de biodiversité. Et nous voilà partis vers une société post-croissance, c'est-à-dire qu'on n'est plus obsédés par les points de croissance, comme si la richesse de la société se résumait à ses points de croissance. Mais on poursuit des objectifs comme la santé, l'emploi, la satisfaction des besoins de tous..."

Pour Dominique Méda, les inégalités dans la société sont énormes, dont certaines ont été mises au jour pendant la crise du Covid, avec la qualification de travailleurs essentiels, comme elle le dit : "Je pense qu'on est dans une situation effrayante d'injustice. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui n'ont rien, qui sont par exemple au chômage depuis longtemps, qui touchent des minimas sociaux, et qu'on embête quand même beaucoup. Et puis des gens qui touchent des sommes absolument astronomiques en apportant assez peu à la société. Et puis pendant la pandémie, ceux qu'on a appelé les travailleuses et travailleurs essentiels ont fait des choses hyper importantes. On se rend alors compte que ce sont les gens les moins bien payés et qui ont les conditions de travail les pires dans notre société. Donc, il y a bien quelque chose qui ne va pas."

🎧  Écoutez cet entretien passionnant dans son intégralité...

Références

Pour suivre le travail de Dominique Méda, rien de plus simple : son nouveau livre, recueil de ses chroniques mensuelles dans Le MondeEcrits sur le travail : c'étaient les années Macron**,** est sorti le 19 octobre chez Flammarion.
Faut-il attendre la croissance ? écrite avec Florence Jany-Catrice, paru originellement en 2016, est réédité depuis peu à la Documentation française dans une version actualisée.
Que sais-je ? Le travail a lui aussi été réédité aux Presses Universitaires de France.
Et pour l'écouter, on peut se tourner vers ses chroniques hebdomadaires (le vendredi) Le Pourquoi du comment : économie et social sur France Culture.

Références citées :

  • L’Ecole de Francfort dont Jürgen Habermas (né en 1929) et André Gorz (1923-2007)
  • Princesse Mononoke de Hayao Miyazaki (1997)
  • Les statues cycladiques

"Où porter son regard…" par Eva Bester

Blaise Pascal, aux limites de la Raison, par Laurent Thirouin (2018). A visionner ici.

La programmation musicale

Le matin / Bibi Club (2022)
Juice of mandarins / Ibeyi (2022)

Le générique de L'Embellie a été composé par Flavien Berger.

L'équipe

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