Déjà paralysée depuis plusieurs mois, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) doit se trouver un nouveau directeur général. Elle entame ce lundi 7 septembre les consultations pour désigner un successeur à Roberto Azevêdo qui a annoncé en mai son départ surprise, un an avant la fin de son second mandat.

Le Brésilien avait alors invoqué des « raisons familiales ». Depuis, on a appris qu’il allait rejoindre le géant américain des boissons PepsiCo comme vice-président, ce qui heurte ses anciens collègues, mais n’est pas interdit par le règlement de l’institution…

Pour le remplacer, huit candidats se sont déclarés : trois Africains, deux Européens, deux Asiatiques et un Latino-Américain. Aucun ne s’impose et il est difficile de prévoir l’issue du processus, tant l’OMC apparaît aujourd’hui dans une zone de tempête. La nomination du directeur doit se faire à l’issue d’une série de « confessionnaux », des consultations durant lesquelles chaque État indique les noms qu’il souhaite voir écartés dans la liste des candidats. Plusieurs tours de consultation peuvent avoir lieu, jusqu’à arriver à un consensus.

Les États-Unis ont mis l’OMC dans l’impasse

Cette fois, le processus pourrait s’éterniser jusqu’au lendemain de la présidentielle américaine du 3 novembre, les États-Unis étant eux aussi responsables de la crise. Donald Trump, en effet, a sonné depuis des mois la charge contre l’OMC. Il a menacé de quitter l’organisation et fait en sorte qu’elle soit paralysée.

Washington a notamment mis un veto systématique au remplacement des juges de l’instance d’appel de l’organe de règlement des différends, en charge de trancher les litiges commerciaux. Depuis décembre 2019, il n’est donc plus possible d’arriver à un jugement définitif sur les conflits entre États, ce qui est pourtant l’une des fonctions essentielles de l’OMC.

« Aujourd’hui, l’OMC apparaît dans une situation particulièrement délabrée, résume Mathilde Dupré qui publie le 10 septembre un livre sur le commerce international (1). Elle fonctionne sur deux jambes : d’un côté, la négociation d’accords commerciaux et de l’autre le règlement des conflits. Or elle n’a obtenu aucun accord substantiel depuis sa création et l’organe de règlement est paralysé. »

La mondialisation au banc des accusés

Vingt-cinq ans après sa création en 1995, l’OMC pouvait se féliciter d’avoir accompagné le développement des échanges internationaux, mais le modèle qu’elle incarne est en crise. Pendant un quart de siècle, la valeur en dollars du commerce mondial a quadruplé. Le volume des échanges a augmenté en moyenne de 4,1 % par an depuis 1995.

Mais en 2018, la tendance s’est inversée : pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, hors période de crise, le commerce mondial est entré dans une phase de stagnation, et même de décrue. Les échanges ont été en recul de 0,8 % au quatrième trimestre 2019, avant même la crise du Covid.

Dans les pays développés, la mondialisation des échanges fait depuis longtemps l’objet de critiques récurrentes : une partie de l’opinion accuse le commerce international d’être responsable de la perte d’emplois industriels, de contribuer à la destruction de la planète ou de favoriser l’agro-industrie. Arrivé au pouvoir en 2016, Donald Trump est un dirigeant ouvertement protectionniste. En s’attaquant aux importations chinoises, qu’il a lourdement taxées, il a mis un frein à l’essor des flux d’échanges entre les deux principales puissances du monde…

En même temps, il a montré que ce sont désormais les États, et non l’OMC, qui définissent les règles du commerce international. Et ils le font en privilégiant leur intérêt national. Face à la montée du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, l’OMC n’a pu être que spectatrice.

Vers une grande réforme de l’OMC

Pour qu’elle retrouve un rôle central, une réforme de grande ampleur serait nécessaire. Certains, comme l’ancien directeur général du commerce au sein de la Commission européenne, Peter Carl Mogens, voudraient même remplacer l’OMC par une nouvelle organisation, dont la Chine ne serait pas membre.

« C’est une très mauvaise idée : la Chine est un acteur essentiel des échanges mondiaux, et nous n’y gagnerions qu’un plus grand désordre », estime de son côté Jesus Seade, ancien directeur général adjoint de l’OMC et l’un des huit candidats au poste de directeur. Rencontré par La Croix fin juillet, il reconnaissait : « Il existe bien un danger de voir l’OMC devenir obsolète ». Mais il disait croire à la possibilité de surmonter les difficultés et de relancer l’organisation.

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Huit candidats pour un fauteuil

Liam Fox, 58 ans, ancien ministre du commerce du Royaume-Uni.

Abdel-Hamid Mamdouh, 68 ans, ancien haut fonctionnaire de l’OMC, Égypte.

Amina Mohamed, 58 ans, ancienne ambassadrice du Kenya auprès de l’OMC.

Ngozi Okonjo-Iweala, 66 ans, ancienne directrice des opérations de la Banque mondiale, Nigeria.

Jesus Seade Kuri, 73 ans, ancien directeur général adjoint de l’OMC, Mexique.

Mohammed Al-Tuwaijri, 53 ans, banquier, Arabie saoudite.

Tudor Ulianovschi, 37 ans, ancien ministre des affaires étrangères de Moldavie.

Yoo Myung-hee, 53 ans, ancienne ministre du commerce de Corée du Sud.

(1) Après le Libre-échange, Quel commerce international face aux défis écologiques, Mathilde Dupré et Samuel Leré, Éditions Les Petits Matins, 112 pages, 12 €.