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Financement de la transition écologique: et si les banques centrales faisaient "don" de monnaie?

Invitée sur BFM Business, l'économiste Jézabel Couppey-Soubeyran plaide pour un nouveau mode d'émission de monnaie centrale sous forme de don pour financer les investissements non rentables mais indispensables pour la transition écologique. Un mécanisme qui ne serait pas souhaitable, selon la sous-gouverneure de la Banque de France, Agnès Bénassy-Quéré.

Comment financer la transition écologique? C'est la question qui agite le monde face aux défis climatiques qui ne pourront être relevés qu'à l'aide de moyens financiers considérables. En France, Bruno Le Maire a d'ores et déjà assuré que le verdissement de l'économie ne passera pas par l'augmentation des impôts ou de la dette. Le locataire de Bercy a plutôt appelé à mobiliser l'épargne privée afin de dégager "les moyens de financer la transition écologique sans aggraver l'état de nos finances publiques".

Certains économistes, encore minoritaires à ce stade, suggèrent une autre piste: la monnaie volontaire. Dans Le pouvoir de la monnaie, à paraître le 10 janvier prochain, les économistes Jézabel Couppey-Soubeyran et Augustin Sersiron ainsi que le sociologue de la monnaie Pierre Delandre, défendent l'instauration d'un nouveau mode de création monétaire reposant sur l'émission de monnaie sous forme de don de la banque centrale afin de financer la transition écologique. En clair, pour ce qui nous concerne, permettre à la Banque centrale européenne de créer de la monnaie sans dette ni achats d'actifs en contrepartie.

Financer des investissements non rentables

Aujourd'hui, la création monétaire provient essentiellement des prêts accordés par les banques commerciales et des rachats de titres des banques centrales. L'idée défendue par Jézabel Couppey-Soubeyran, maitre de conférence à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, ne remet pas en cause ces deux mécanismes, mais les complète:

"On a besoin d'investissements dans la transition écologique qui ne seront pas tous rentables. Le verdissement de la politique monétaire et de la régulation financière permet de réorienter les fonds privés vers des investissements verts rentables. Mais comment on fait pour le reste? Comment on fait pour les investissements qui ne seront rentables qu'à très long terme et pour les investissements dont on a besoin mais qui ne seront pas rentables du tout?", questionne l'économiste, invitée des Experts sur BFM Business.

C'est pour répondre à ce besoin que Jézabel Couppey-Soubeyran plaide pour que la banque centrale européenne puisse faire "don" de la monnaie qu'elle crée aux Etats: "On utilise le levier monétaire pour rendre possible des réalisations qui, sinon, ne le seraient pas. (...) Notamment pour les réparations de la nature mais également pour tout l'accompagnement social" de la transition écologique.

D'après elle, il est inenvisageable de financer "une bifurcation écologique et sociale complète avec la monnaie bancaire actuelle". Mais il est possible de le faire grâce à "un mode de création monétaire sans dette, sans achat d'actifs, pour la réalisation d'investissements absolument indispensables mais qui ne présentent pas une rentabilité suffisante pour qu'on les finance par de la monnaie bancaire", martèle-t-elle.

Les Experts: Transformer la monnaie pour transformer la société ? - 05/01
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20:53

Une nouvelle gouvernance de la BCE

Mais est-ce si simple de modifier les mécanismes de création monétaire? C'est en tout cas possible, assure la chercheuse.

"L'institution monétaire est une construction historique, extrêmement malléable dans le temps. Elle a déjà beaucoup changé", rappelle Jézabel Couppey-Soubeyran.

"La monnaie que nous utilisons vous et moi, qui est une monnaie bancaire, a 200 ans d'existence dans les 5.000 ans d'histoire de l'humanité et dans les 2.000 ans d'histoire des monnaies de paiement", précise-t-elle.

L'économiste souligne en outre qu'"il y a une vraie régularité historique lorsqu'on observe l'histoire longue de la monnaie. Ce qu'on constate, c'est qu'à chaque grande bifurcation sociétale correspond une bifurcation monétaire". Pas plus tard qu'il y a quelques années, pendant les crises financière et sanitaire, la Banque centrale européenne a innové en créant de la monnaie "non pas seulement en faisant des prêts aux banques, mais en achetant des titres" de dettes (quantitative easing) et cela a transformé "fondamentalement les caractéristiques de la création monétaire. Ca veut dire que ça peut changer". Elle estime ainsi que la "monnaie volontaire" n'est pas "une révolution monétaire" mais simplement "une transformation aussi profonde que celle à laquelle on a assisté lors des dernières décennies".

Pour Jézabel Couppey-Soubeyran, ce nouveau mode de création monétaire nécessiterait toutefois la mise en place d'une nouvelle gouvernance des banques centrales, lesquelles perdraient leur indépendance au profit d'un institut d'émission dans lequel figureraient toutes les parties prenantes (banque centrale, trésor, parlementaires, ONG, scientifiques, etc.). "Dans l’idéal il faudrait que la banque centrale puisse se plier à des décisions démocratiques et aux décisions d’un institut d’émission qui serait gouverné en partie par la société civile", explique-t-elle sur notre antenne.

"Nous avons les moyens de faire la transition écologique"

Le concept de "monnaie volontaire" est encore loin de faire l'unanimité parmi les économistes. Pour la sous-gouverneure de la Banque de France, Agnès Bénassy-Quéré, un nouveau mode d'émission de monnaie centrale fondé sur le don n'est pas souhaitable. En premier lieu parce qu'il n'est pas nécessaire, selon elle.

"Nous avons les moyens de faire la transition écologique. Pas les moyens publics, mais les moyens privés", assure-t-elle, rappelant que le taux d'épargne en France est de "17% du revenu disponible brut" et, plus largement, que "l'épargne est abondante" dans l'Union européenne.

Pour elle, la question est donc de savoir "comment on transforme cette épargne pour l'investissement dans la transition écologique?". Et d'avancer des solutions comme la finalisation de l'"union bancaire" et la mise en place d'une "union des marchés de capitaux" au sein de l'UE.

Agnès Bénassy-Quéré note par ailleurs que la création d'un nouveau mode d'émission monétaire sous forme de don relèverait d'une politique budgétaire et non plus seulement monétaire pour la Banque centrale européenne. Avec des conséquences néfastes pour les Etats. Et pour cause, "il ne faut jamais oublier que l'actionnaire de la banque centrale, c'est l'Etat. Donc si on demande à la banque centrale d'investir dans des actifs qui ne rapporteront jamais rien (...), on fait faire des pertes à la banque centrale qui se répercutent automatiquement sur l'état actionnaire", lequel percevrait moins de dividendes. "C'est comme si un impôt disparaissait", met en garde la sous-gouverneure de la Banque de France.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco