Des parlementaires français et des agriculteurs relancent la bataille contre l'accord UE-Mercosur
Au moment où la possible ratification de l'accord UE-Mercosur pourrait revenir sur le devant de la scène européenne, des parlementaires français de tout bord et des représentants des agriculteurs ont rappelé leur opposition au projet, du moins dans sa forme actuelle.
L’image prête à sourire: Christiane Lambert, la patronne iconique de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire en France, et le député François Ruffin, chantre de l'insoumission, se sont retrouvés côte à côte dans une salle aussi étriquée que bondée de l’Assemblée nationale mardi 14 mars. L’enjeu? La relance des débats au niveau européen autour d'une ratification de l'accord UE-Mercosur, ce qui aurait, selon ses contempteurs, des conséquences dramatiques pour l'agriculture française et communautaire.
Un sujet qui permet donc de tisser quelques alliances de circonstance. Outre les représentants d'agriculteurs, une dizaine de députés de toutes les sensibilités étaient aussi présents pour manifester leur opposition, ralliant l’initiative de François Ruffin. L’accord UE-Mercosur (qui regroupe le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay) est un serpent de mer des négociations internationales. Après vingt ans de discussions vaines, les négociateurs européens ont arraché un projet d’accord en 2019, mais ce dernier n’a toujours pas fait la navette dans les Parlements nationaux, étape nécessaire à son adoption de ce côté de l’Atlantique. L’opposition farouche de certains pays, comme la France, empêche le processus d’aboutir.
Projet relancé avec le retour de Lula à la tête du Brésil
S'il est arrêté, le projet n’est pas enterré. Fraîchement réélu, le président brésilien Lula a manifesté son envie de voir le processus aboutir rapidement. Au niveau européen, les soutiens de ne manquent pas, et le sujet, impulsé par la Commission européenne, pourrait revenir sur la table au deuxième trimestre 2023 avec la présidence espagnole, comme le rappelle Euractiv. Les députés présents ont aussi souhaité raviver la fronde nationale contre le texte. «J’ai vu les dégâts d’une Chine usine du monde qui a amené les usines à déménager de nos territoires. Je ne veux pas d’un Brésil ferme du monde qui fasse déménager nos fermes», a tonné François Ruffin.
Des députés de la majorité étaient aussi présents, et notamment Frédéric Descrozaille: «L’agriculture ne peut pas faire l’objet d’un accord global, c’est une question de souveraineté», a déclaré celui qui s’est associé à la signature d’une proposition de loi qui sera portée en «niche parlementaire dans les prochaines semaines», selon les propos de François Ruffin. L’objectif de cette PPL? S’assurer de l’opposition du gouvernement au texte en l'état. La Commission européenne envisagerait aussi de scinder l’accord en deux, afin de soustraire le volet commercial du projet à la ratification par les Parlements nationaux. Les élus souhaitent que le gouvernement l'en empêche.
Lors du Salon de l’Agriculture, qui s’est tenu à Paris du 25 février au 5 mars, Emmanuel Macron avait assuré qu'«un accord avec les pays du continent latino-américain n'est pas possible s'ils ne respectent pas comme nous les accords de Paris [sur le climat] et s'ils ne respectent pas les mêmes contraintes environnementales et sanitaires qu'on impose à nos producteurs», des propos alors rapportés par Le Figaro. Plusieurs sensibilités ont pu apparaître dans la petite salle de l'Assemblée nationale, entre l’opposition franche aux accords de libre-échange de denrées agricoles et un accord possible, moyennant clauses miroir et de sauvegarde.
Alerte sur l'usage des pesticides et la déforestation
Dans un rapport présenté le 14 mars, la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH), l'Institut Veblen, un groupe de réflexion autour de la transition écologique, et l’Interbev, l’interprofession de la viande bovine, ont une nouvelle fois alerté sur «les dangers d’une ratification de l’accord en l’état». «L’engagement du Brésil de nourrir un tiers de la population mondiale d’ici à 2030 augmentera considérablement l’utilisation de produits phytosanitaires, tout en augmentant la déforestation, le changement climatique et les conflits avec les populations autochtones», écrivent les auteurs. «30% des pesticides autorisés et utilisés au Brésil ne sont pas approuvés en UE», poursuivent-ils, en questionnant par ailleurs la capacité du pays à limiter la déforestation et se mettre en phase avec les objectifs de l’accord de Paris. En somme «la politique commerciale de l’UE ne peut continuer à avancer en autonomie et en contradiction par rapport aux enjeux climatiques», tranchent-ils.
Les auteurs demandent aussi le développement de clauses miroir. «Aucune préférence tarifaire ne devrait être accordée dans le cadre de l’accord à des produits issus de systèmes ne respectant pas les normes de production européennes». Ce qui, dans les faits, pourrait valoir fin de non-recevoir. La Commission européenne, elle, ne désarme pas. Sur son site elle indique: «les échanges commerciaux bilatéraux actuels de l'UE avec le Mercosur se chiffrent déjà à 88 milliards d'euros par an pour les biens et à 34 milliards d'euros pour les services. (…) Les exportateurs de l'UE tireront profit de la réduction progressive des droits de douane qui permettra, à terme, aux entreprises européennes d'économiser plus de 4 milliards d'euros par an». L’accord ambitionne de supprimer plus de 90% des droits de douane dans les flux entre les deux continents.