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Décryptage

La théorie du donut, ou comment sortir de l'impasse économique

DECRYPTAGE // Quel rapport entre l'écologie et un beignet américain ? Rien a priori si ce n'est la forme. C'est ce qu'a conceptualisé une chercheuse anglaise sous le nom de « la théorie du donut » ou comment l'économie doit faire sa transition pour que les besoins humains deviennent compatibles avec les limites planétaires. Vous ne comprenez rien à ces quelques lignes ? C'est normal, lisez plutôt l'article.

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(Istock)

Par Florent Vairet

Publié le 16 mai 2023 à 17:58Mis à jour le 22 mai 2023 à 12:20

Le parcours de Kate Raworth peut surprendre. Elle a pris part au mouvement de désobéissance civile Extinction rebellion mais l'Anglaise, diplômée en économie est aussi chercheuse en environnement à l'université d'Oxford. Son ouvrage « La Théorie du Donut, l'économie de demain en sept principes » paru en 2017 (et en 2018 en français) s'est vendu à plus de 100.000 exemplaires au Royaume-Uni, et a été élu « book of the year » par le Financial Times. Et ce n'est pas tout : des villes comme Amsterdam, Bruxelles, Berlin ou Cambridge ont commencé à appliquer, à plus ou moins grande échelle, sa théorie du donut. Théorie qui a d'ailleurs inspiré le 16 mai une table ronde au sein de la grande conférence intitulée « Au-delà de la croissance » organisée au Parlement européen. Rien que ça.

Un seuil et un plafond à respecter

Alors qu'est-ce que cette théorie économique ? En un mot : satisfaire les besoins humains en respectant les limites planétaires. Vous nous direz, un beignet frit et sucré pour parler durabilité, on a vu mieux. Mais c'est en fine connaisseuse de la communication que Kate Raworth a choisi une image aussi parlante, plus grand public. Puisque pour être adoptée, une théorie doit être visuelle.

L'anneau interne du beignet (le plus petit) symbolise le seuil des besoins humains : alimentation, santé, éducation, accès à l'eau, etc. L'anneau externe, lui, est un plafond, celui des limites planétaires à ne pas franchir, entre autres le changement climatique, la chute de la biodiversité, l'acidification des océans, la pollution chimique. L'idée est de trouver une symbiose entre le social (c'est-à-dire nos besoins en tant qu'individus au sein d'une société) et l'environnement.

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La théorie du Donut vise à faire rester les besoins sociaux et environnementaux au sein de la zone verte.

La théorie du Donut vise à faire rester les besoins sociaux et environnementaux au sein de la zone verte.Oxfam

Or, pour l'heure, on n'y est pas. L'effondrement de la biodiversité ou les émissions de CO2 mettent en péril la satisfaction de nos besoins, alors même que tous ne sont déjà pas assouvis, pour tous, partout. Pensons à l'éducation ou la nourriture.

Sortir de la linéarité pour rentrer dans le rond du Donut

« Qu'est-ce qui permet aux êtres humains de s'épanouir ? Un monde dans lequel chacun peut trouver dignité, opportunité et communauté - et ce, dans la limite des moyens de notre planète, source de vie », écrit l'économiste dans son ouvrage. Et d'interroger : « Si le but de l'humanité au XXIe siècle est d'entrer dans le donut, quelle conception économique nous offre les meilleures chances d'y parvenir ? »

Pour Kate Raworth, cela implique de délaisser la boussole du « PIB » et son cap de croissance infinie. Elle préfère viser un état stationnaire de la croissance qui permettrait de répondre à tous les besoins, des êtres-humains comme de la nature (faune et flore). Le but : la prospérité sans croissance continue. Car pour elle, il est vain de miser sur la croissance continue puisque cet objectif se traduit par une inexorable déforestation et extraction d'énergies fossiles. Il faudrait donc changer le logiciel : dépasser la linéarité pour se tourner vers la circularité. La forme du donut prend alors tout son sens.

A noter : elle n'abandonne pas le concept de croissance !

Une théorie qui n'aurait rien de bouleversant

Et concrètement ? Plusieurs municipalités ont sauté le pas. Amsterdam fut la première qui -en pleine pandémie de Covid-19- a adopté un plan donut, en lien avec son objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Tout d'abord, la ville a cherché les besoins qui n'étaient pas satisfaits. Et elle en a trouvé. 20 % des habitants de la ville ne pouvaient pas assouvir leurs besoins vitaux après avoir payé leur loyer. Et seules 12 % des demandes de logement social étaient contentées. Solution : construire plus d'habitations… en mode business as usual ? Hors de question, l'empreinte carbone de la capitale néerlandaise n'ayant fait qu'augmenter.

Construire oui, mais avec des matériaux respectueux de l'environnement, de la biodiversité et qui protègent les citoyens de la montée des eaux. La ville s'est aussi lancée dans la collecte d'ordinateurs usagés à réparer et à redistribuer aux familles mal équipées. Ce qui crée des emplois tout en réduisant la fracture numérique. Et puis ? D'autres initiatives de cet ordre, ici ou dans d'autres villes, mais c'est un peu tout. Les concrétisations de la théorie du donut semblent modestes à ce jour. D'autant que les bienfaits de la circularité et des matériaux responsables sont connus depuis bien avant le livre de Kate Raworth…

« Sa théorie n'a rien de bouleversant », estime Katheline Schubert, professeure à l‘Ecole d'économie de Paris. Mais aussitôt d'ajouter : « Elle a toutefois le mérite de prendre au sérieux les limites planétaires, jusqu'alors largement ignorées par l'économie classique. » Surtout, elle reconnaît à Kate Raworth le génie du marketing, du donut, rond, visuel, percutant.

Une théorie qui a inspiré les ODD de l'Onu

Selon l'Institut Veblen pour les réformes économiques, qui milite pour la transition écologique, cette théorie est bien plus que ça. « C'est un véritable cadre de référence pour penser les enjeux de la transition. On part désormais du principe que pour réussir, elle doit être socialement juste et donc être placée entre le plancher social et le plafond écologique », explique Mathilde Dupré, co-directrice de l'institut qui rappelle que les travaux de Kate Raworth ont commencé dès 2012, « à un moment où il était assez novateur d'articuler l'humain et l'environnement, et où les discussions internationales étaient encore en silo. Ses travaux sur le donut ont d'ailleurs nourri l'élaboration des Objectifs de développement durable de l'Onu de 2015 », qui réunit les deux dimensions.

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En réalité, il faut voir cette théorie plus comme une philosophie, une boussole, qu'un guide pratique. C'est là, en tant que cadre de pensée à adapter, que son intérêt réside. « Tous les projets ne doivent pas être absolument fondés sur la théorie du donut. Mais ce modèle fait désormais partie intégrante de notre ADN », résume au Time un conseiller d'Amsterdam, en charge de la durabilité.

Florent Vairet

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