La récente investiture du libertarien Javier Milei à la présidence de l’Argentine fait partie des monstruosités politiques dont le monde en polycrise va vraisemblablement continuer d’accoucher. Le nouveau président réfrène déjà cependant l’anarcho-capitalisme, sans Etat ni banque centrale, dont il se revendiquait. A raison, si l’on peut dire, car il se serait privé des deux leviers institutionnels fondamentaux par lesquels le capitalisme se relève de ses crises.
Le secours de l’Etat et la mobilisation du pouvoir monétaire de la banque centrale ne sont effectivement pas de simples béquilles du capitalisme contemporain, mais de puissants leviers de transformation par lesquels s’est jusqu’ici opérée sa mutation à chacune de ses crises. Le capitalisme engendre des crises dans lesquelles il se renouvelle, s’adapte, pour à chaque fois s’approfondir et faire germer les ingrédients de sa prochaine mutation lorsque surviendra la crise suivante, qui fera craindre ou espérer – c’est selon – son effondrement, mais lui fournira à nouveau de quoi muter ou s’approfondir.
Ainsi, après la grande dépression des années 1930 et la seconde guerre mondiale, le capitalisme avait su se réinventer par un mode de régulation fordiste, caractérisé par un relatif compromis dans le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail, un Etat protecteur et une monnaie de crédit au service du financement de la production. Avec la crise inflationniste des années 1970, il ne s’est pas effondré, mais a muté vers sa version financiarisée : le titre financier a largement remplacé la marchandise dans le processus d’accumulation, la création de valeur actionnariale et l’attente de rentabilité financière sont venues dégrader la condition salariale, l’instabilité financière et l’instabilité économique se sont entremêlées, et le processus d’accumulation s’est poursuivi sans conscience des limites planétaires.
« Facteurs antagonistes »
Ce capitalisme financiarisé ne s’est pas effondré avec la crise de 2007-2008. Au contraire, il en est ressorti gonflé à bloc – la valeur totale des actifs accumulés au bilan des institutions financières du système financier a doublé depuis 2008 –, augmenté d’un capitalisme numérique qui n’a fait qu’accentuer la concentration du capital, la faiblesse des gains de productivité et la dévalorisation de la force de travail.
Pourquoi l’effondrement du capitalisme que prédisait Marx n’est-il pas venu ? Parce que des « facteurs antagonistes » (comme les appelle l’auteur du Capital dans le livre III) y font contrepoids en ralentissant la baisse du taux de profit. Réformes du marché du travail et du système de retraites, ubérisation, cryptomonnaies en sont la version contemporaine.
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