Ils n’en veulent pas. En colère contre la situation précaire de leur profession, les agriculteurs français s’opposent au traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. En réaction, la présidence française a affirmé, lundi, que les négociations avaient été interrompues, à son initiative.
En discussion depuis 1999, cet accord commercial avec le bloc latino-américain Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay), prévoit notamment une réduction des droits de douane pour les importations venues d’Amérique du Sud. Environ 99 000 tonnes de viande bovine pourraient ainsi être importées, chaque année, dans l’UE.
« Ce sont les agriculteurs qui ont le plus à perdre »
Avec de tels volumes en jeu, il y aura évidemment des gagnants et des perdants. De quel côté se trouvent-ils ? « En France, à l’exception des filières viticoles, fromagères et des producteurs de spiritueux, ce sont les agriculteurs qui ont le plus à perdre, prévient Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage (Idele). Prenez l’exemple du marché de la viande bovine : le coût de production est deux fois moins élevé en Amérique du Sud, donc les importations sud-américaines tireraient les prix vers le bas, mettant à mal l’ensemble du marché européen. »
Avec ses immenses espaces, son agriculture industrialisée et son soja OGM, le Brésil ne boxe définitivement pas dans la même catégorie que les pays de l’UE. La sénatrice Sophie Primas (LR) dénonce ainsi « un rouleau compresseur agricole ». S’ajoute la crainte d’enfermer le marché européen dans un modèle non durable. Car, d’après une étude de l’Idele, la déforestation supplémentaire estimée à la suite de l’accord serait comprise entre 620 000 et 1,35 million d’hectares sur une période de cinq ans. D’où la nécessité, selon le Sénat, d’adosser des « mesures miroirs » à l’accord pour empêcher toute distorsion de concurrence et protéger l’environnement.
Risque de mesures de rétorsion
Mais, jusqu’ici, le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, n’y semble pas favorable, arguant d’« un risque de mesures de rétorsion » des partenaires. « Il n’y a aucune volonté d’utiliser ce type de clause, dénonce Mathilde Dupré, codirectrice à l’Institut Veblen, qui œuvre en faveur de la transition écologique. Pour la France, c’est là un véritable enjeu d’alignement de nos intérêts commerciaux avec notre politique environnementale. Et comme nous commerçons déjà avec l’Amérique du Sud sur la base des règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), s’opposer à cet accord ne revient pas à faire du protectionnisme. »