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Libre-échange

Tout comprendre au Ceta, l'accord controversé entre l'UE et le Canada en vote au Sénat

Alors qu'il s'applique déjà de façon provisoire depuis sept ans, les sénateurs français doivent se prononcer jeudi 21 mars sur une ratification définitive du Ceta, l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada. France 24 décrypte les enjeux de ce vote aux allures de test en pleine campagne pour les élections européennes et sur fond de crise agricole. 

Des manifestants déploient une banderole lors d'une manifestation contre le Ceta, en juillet 2019.
Des manifestants déploient une banderole lors d'une manifestation contre le Ceta, en juillet 2019. © Philippe Lopez, AFP
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Le Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) revient sur la table des législateurs. Adopté par le Parlement européen en 2017, puis par l'Assemblée nationale en 2019, cet accord de libre-échange controversé entre l'Union européenne et le Canada s’applique "de façon provisoire" depuis sept ans. Mais il n'avait jamais, jusqu'ici, été discuté au Palais du Luxembourg.  

"Un problème démocratique", selon les sénateurs communistes qui ont décidé d'imposer l'examen de cette question au Sénat le 21 mars, en profitant de leur niche parlementaire - la journée durant laquelle ils maîtrisent l'ordre du jour. Avec un objectif clair : parvenir à un rejet de l'accord, en pleine campagne pour les élections européennes.  

  • Le Ceta, un accord commercial partiellement appliqué 

Le Ceta, ou AECG pour l'acronyme français, se divise en trois volets. "Il consiste d'abord et avant tout en une baisse des droits de douane de plus de 90 % pour les échanges de biens et de services entre l'Union européenne et le Canada", détaille Antoine Bouët, économiste et directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII). "En parallèle, le texte prévoit aussi une réduction des réglementations pour faciliter le commerce."  

Troisième volet : l'instauration d'un tribunal spécial international pour les entreprises européennes investissant au Canada, et vice versa. Cette mesure est censée garantir aux entreprises étrangères qu’en cas de différend avec les autorités d’un pays dans lequel elles ont installé leurs activités, elles ne seront pas jugées devant la justice de cet État, mais par une juridiction supranationale réputée plus impartiale." 

"Mais depuis 2017, seul le volet commercial - 90 % du texte - est appliqué", précise Mathilde Dupré, économiste, codirectrice de l’Institut Veblen. "En revanche, les chapitres ayant trait au troisième volet, c'est-à-dire à la protection des investissements des entreprises, sont toujours en suspens."  

Pour cause : contrairement aux premiers volets, qui relèvent de compétences européennes, ces mesures relèvent, elles, de la compétence des États membres. Pour être appliquées, les Parlements nationaux doivent donc d'abord être consultés et ratifier officiellement le Ceta. Or, jusqu'ici, seuls 17 Parlements sur 27 ont donné leur feu vert à l'accord commercial. Dix autres, dont la France, mais aussi la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, l'Irlande, la Pologne et la Slovénie, semblent vouloir faire traîner le processus.

  • Le vote au Sénat, un double enjeu 

Ce troisième volet est donc l'un des enjeux du vote au Sénat jeudi. Si le Ceta était officiellement ratifié par la France, ce serait une étape supplémentaire vers son application complète. 

"Sur le papier, la création d'un tribunal spécial doit permettre de traiter les plaintes d'entreprises canadiennes qui s'estiment désavantagées par les politiques de leur État d'accueil dans l'UE, et inversement", détaille Mathilde Dupré. "Mais en pratique, cela pourrait être utilisé par les entreprises pour protester contre certaines législations, notamment sanitaires et environnementales", s'inquiète l'économiste.  

Au cœur de son inquiétude, par exemple, un projet contesté de forages pétroliers du groupe canadien Vermilion Energy en France. L'entreprise prévoit de forer huit nouveaux puits à La Teste-de-Buch, près d’Arcachon, alors même que l’exploitation d’hydrocarbures doit être progressivement interdite en France d’ici 2040. Le dossier est actuellement entre les mains du préfet du département, qui doit prendre un arrêté d'autorisation ou de refus du projet. "Si le Ceta était pleinement actif, Vermilion pourrait se retourner contre l'État français en cas de refus, et ce malgré les conséquences de son projet pour l'environnement", illustre la spécialiste.  

Quoiqu'il en soit, "quand bien même la France ratifierait le texte jeudi, on serait donc encore bien loin de la mise en application de ce troisième volet", nuance Mathilde Dupré. "Car certains États, notamment Chypre, la Belgique et l'Italie ont déjà à plusieurs reprises montré une vive opposition au projet." 

Mais au-delà de cette question, alors que la colère des agriculteurs a ramené les traités de libre-échange dans le débat public, c'est l'existence même du Ceta dont semblent vouloir débattre les sénateurs communistes. "Si le Ceta est rejeté jeudi, ce sera un coup de tonnerre, bien au-delà de la France", espère le sénateur PCF Fabien Gay, à l’initiative de l’inscription du texte à l'ordre du jour. 

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  • Économie, agriculture et climat : quel bilan pour le Ceta ?  

Sept ans après son adoption provisoire, le bilan du Ceta peine à faire consensus. Les partisans de l'accord ne cessent de vanter de bons résultats commerciaux. "Les échanges bilatéraux de biens entre l'UE et le Canada ont en effet augmenté de 51 %", note Antoine Bouët, s'appuyant sur les chiffres du ministère de l'Économie. "Et l'excédent commercial atteint plus de 25 % sur les biens en 2023." Le commerce entre les deux blocs s'est ainsi établi à plus de 76 milliards d'euros en 2023, contre 46 milliards en 2016. 

"D'un point de vue commercial, le bilan est donc plutôt positif pour l'UE, même si cela reste limité - les échanges avec le Canada ne concernent toujours que 1 % des exportations françaises, par exemple", résume-t-il.  

"Depuis l'adoption du Ceta, la donne du commerce mondial a par ailleurs été profondément bouleversée avec la guerre en Ukraine, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, ou encore la pandémie de Covid-19", poursuit-il. "Il faudra donc encore quelques années pour dresser un vrai bilan de cet accord commercial", estime-t-il.  

Autre victoire pour les défenseurs du Ceta : la viande de bœuf canadienne n'a pas "déferlé" sur les étals des supermarchés. C'était là l'une des craintes des éleveurs européens, qui craignaient que la baisse des droits de douane sur l'importation de la viande ne provoque une concurrence déloyale. "En réalité, le marché canadien de la viande s'est peu tourné vers le marché européen. En 2023, il n'a exporté que 2 % du volume de bœuf permis par le Ceta", explique Antoine Bouët. "Rien ne dit cependant que cette tendance ne pourrait pas changer dans les prochaines années en fonction de l'évolution des marchés." 

"En revanche, il semble que le Canada ne respecte pas toutes les mises aux normes sanitaires imposées par l'Union européenne", dénonce Mathilde Dupré. Si certains traitements sont normalement interdits dans les élevages, notamment les hormones de croissance, un audit mené par la Commission européenne en 2022, a pointé des "lacunes" dans la supervision de la filière.  

"Mais surtout, le bilan environnemental du Ceta est très négatif", dénonce l'économiste. "Non seulement la hausse des échanges commerciaux entraîne forcément une hausse des émissions de gaz à effet de serre, mais en parallèle, on a vu une intensification des échanges de produits polluants comme les engrais, l'acier, l'aluminium ou encore  le fer des deux côtés de l'Atlantique. On est donc bien loin de l'accord vert qui était promis." 

  • Quel scénario plausible pour le vote ?

En 2019, l'Assemblée nationale avait approuvé de justesse le Ceta par 266 voix contre 213, avec une abstention record dans les rangs macronistes. Cette fois-ci, le texte semble avoir de vraies chances d'être rejeté par le Sénat. Car aux côtés des communistes, les Républicains, le groupe majoritaire, devraient eux aussi voter majoritairement contre. "Il faut voter contre pour porter deux messages : l’un au gouvernement, qui n’a jamais daigné soumettre ce texte au Sénat, et l’autre à la Commission, qui est en train de négocier dans notre dos avec le Mercosur", pointe auprès du Parisien le président du groupe LR, Bruno Retailleau.  

Les centristes, quant à eux, paraissent plus divisés. "Ce n’est pas sérieux de traiter un texte comme celui-là à la va-vite. Il nous faut faire des auditions, des études d’impact", fait valoir auprès du Parisien leur chef, Hervé Marseille (UDI).  

"C'est un accord qui, aujourd'hui, a de nombreuses vertus [...] et qui a des résultats concrets, positifs pour notre économie, pour nos entreprises, dans tous les secteurs", a de son côté défendu sur France info Franck Riester, le ministre délégué, chargé du Commerce extérieur. Si le Ceta n'était pas ratifié jeudi, ce "serait un terrible message envoyé à tous nos exportateurs français, nos viticulteurs, nos producteurs de lait qui sont contents de trouver des débouchés au Canada. Un très mauvais signal aussi pour d'autres industries qui utilisent, par exemple, les minéraux critiques achetés au Canada, qui étaient achetés avant à la Russie, comme l'uranium ou au lithium, dont on a besoin pour nos batteries et notre transition écologique", a-t-il insisté.  

Si le texte est rejeté par une majorité de sénateurs, il devra être renvoyé aux députés pour un nouveau vote. Or, depuis 2019, le camp présidentiel a perdu la majorité absolue à l'Assemblée, ce qui rendrait très incertaine l'issue d'un nouveau vote des députés.  

Au point de mettre en péril l'accord ? "Quoi qu'il en soit, le gouvernement ne sera pas obligé de transmettre à l’Assemblée, ni même de le notifier à la Commission européenne", tance Mathilde Dupré. "Vraisemblablement, on restera donc dans ce statu quo."

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