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Ratification du CETA : nos réponses au rapporteur du projet de loi

Mathilde Dupré, 12 juillet 2019

Le 2 juillet 2019, 72 organisations de la société civile ont adressé un courrier à l’ensemble des parlementaires français pour faire part de leurs préoccupations relatives à la ratification nationale du CETA.

Le député de la République En Marche, Jacques Maire, rapporteur du projet de loi de ratification pour la Commission Affaires étrangères, a répondu aux 72 organisations, le 10 juillet 2019.

Faute de temps pour lui faire parvenir une réponse collective formelle, voici quelques éléments de réponse de l’Institut Veblen :

Mise en oeuvre du plan d’action CETA

→ Le gouvernement rend périodiquement compte de la mise en œuvre du plan d’action CETA. Mais le rythme trimestriel annoncé initialement n’est pas tenu. Les dernières réunions n’ont été organisées qu’à notre demande, à plus de 6 mois d’intervalles (sept 2018 et avril 2019). Or ce rythme ne permet pas de suivre correctement l’agenda de la politique commerciale. Entre ces deux dates, par exemple, les accords avec le Japon et Singapour ont été examinés au Parlement européen et le Conseil a validé le mandat de négociation avec les Etats-Unis.

Impact environnemental et climatique

→ Nous avons réalisé une analyse des lacunes de l’étude d’impact annexée au projet de loi de ratification.

Le gouvernement s’était engagé à fournir aux parlementaires une étude basée sur des modèles pluralistes et prenant en compte les questions environnementales dans leur ensemble. Ce n’est pas le cas. L’étude du CEPII se fonde sur un modèle unique et seule la dimension climatique est analysée. La biodiversité n’est par exemple pas intégrée.

Sur le volet climatique, l’étude considère par construction que tous les pays (à l’exception des États-Unis) respectent l’Accord de Paris sur le climat, avec ou sans CETA. En l’état, cette hypothèse sur les enjeux climatiques apparaît presque aussi réaliste que de prétendre qu’il n’y aurait pas de dérèglement climatique.
La somme des engagements individuels des Etats pris dans le cadre de l’Accord de Paris nous conduit tout droit à une hausse des températures moyennes de plus de 3°C par rapport à l’ère préindustrielle d’ici à la fin du siècle. Et même dans un cadre aussi laxiste, seuls 17 pays avaient traduits leurs engagements de façon cohérente dans des lois ou des politiques nationales à la fin de l’année 2018.

C’est donc justement toute la discussion ici de savoir si la politique commerciale peut être utilisée comme un levier pour inciter l’UE et ses partenaires économiques à tenir leurs engagements et à suivre une trajectoire courageuse de lutte contre le changement climatique. Les auteurs de l’étude du CEPII ont d’ailleurs écrit à ce sujet dans un autre papier.
Dans ce contexte, pourquoi ne pas examiner aussi explicitement un scenario alternatif dans lequel les engagements de l’accord de Paris ne sont pas tenus ou seulement partiellement ? Etant donné que le Canada était sorti dans le passé du protocole de Kyoto, une telle hypothèse ne semble en effet pas complètement incongrue.

En dépit de ces limites, l’étude du CEPII confirme néanmoins que le CETA engendrera une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, incompatible avec les engagements de l’UE et du Canada en matière de lutte contre le dérèglement climatique qui supposent que nous divisions par deux nos émissions d’ici 2030 selon le GIEC.

→ Les émissions du transport international ne sont pas comptabilisées dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. Et les efforts conjoints en matière de réduction des émissions dans le secteur du transport international restent à ce jour encore largement insuffisants au regard des objectifs climatiques de la communauté internationale.

→ Comme nous l’indiquions dans la lettre, la France a bien demandé une réouverture de la discussion sur la Directive qualité des carburants qui avait justement été affaiblie à la demande du Canada et des États-Unis pendant les négociations CETA et TAFTA. Mais elle n’a reçu aucune réponse favorable de la part de la Commission européenne sur ce dossier.

→ Le rapport annoncé sur les importations d’énergies fossiles était attendu pour fin 2018. Il est maintenant annoncé pour fin 2019. Un décret est également nécessaire pour mettre en œuvre la loi Hulot sur ce sujet dont il n’est pas question dans cette réponse.

Filières sensibles

→ Le rapport sur les filières sensibles, comme l’étude d’impact du CEPII semblent prévoir que les contingents d’exportation de viandes canadiennes ne seront pas remplis. Comme nous le soulignions dans notre courrier, il serait surprenant que le Canada ait demandé ces quotas sans intention de les utiliser, au détriment d’autres secteurs stratégiques. Et il apparaît naturel que la structuration d’une filière sans hormones demande un certain temps.

→ Le rapport sur les filières sensibles indique très clairement qu’il s’agit uniquement d’un rapport d’évaluation économique et que les « éventuels effets environnementaux et de santé publique des accords commerciaux devraient faire l’objet d’un traitement dédié, parallèle et complémentaire ».

Règles sanitaires et farines animales

→ Le rapport Schubert a bien montré que l’entrée sur le marché européen de produits canadiens qui ont été élaborés selon des normes inférieures aux standards européens est possible, tels que la viande bovine nourrie aux farines animales et aux antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance ou des denrées alimentaires produites avec des pesticides interdits dans l’UE.

→ Interrogé il y a près de 15 mois sur les règles d’importation de viande nourrie aux farines animales, le Gouvernement nous a d’abord transmis des documents qui n’étaient plus valides. Depuis, il ne nous a jamais apporté la preuve formelle d’une éventuelle interdiction.

→ Les importations en provenance du Canada respectent les règles européennes relatives à l’importation, fondées sur les standards internationaux (limites maximales de résidus, etc.) ainsi que l’interdiction européenne de viande aux hormones (pour laquelle nous avons été d’ailleurs condamnés à l’OMC). Mais il n’est pas correct de laisser penser que ces produits importés respectent les règles européennes de production. [NB Le Monde a publié une mise au point après la conférence de presse du Ministère de l’Agriculture, le 15/07 soulignant les inexactitudes des informations relayées par le Secrétaire d’Etat au commerce sur ce sujet]

→ Le règlement médicaments vétérinaires adopté récemment dans l’UE inclut une clause miroir concernant les antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance. Mais il manque encore des actes secondaires pour préciser les modalités de mise en œuvre et rendre ainsi cette interdiction effective à la date prévue (01/01/2022).

Impacts de la coopération réglementaires

→ Dans ce domaine, le Ceta a déjà été utilisé par le Canada pour essayer de peser sur les décisions européennes. Les premières réunions du comité sur les règles sanitaires et phytosanitaires ont ainsi été l’occasion d’aborder la question de l’interdiction éventuelle de certaines substances ou les limites en matière de résidus de pesticides pour les produits importés.
En apparence techniques, ces discussions portent directement sur des sujets sensibles pour les agriculteurs et les consommateurs européens. Elles visent en l’espèce à dissuader l’UE et ses États membres de prononcer une interdiction complète du glyphosate ainsi qu’à affaiblir les règles applicables pour les produits importés pour faciliter par exemple les exportations de pommes de terre canadiennes traités avec un néonicotinoïde, interdit dans l’UE.

Arbitrage entre investisseurs et Etats et véto climatique

→ Sur l’arbitrage d’investissement, la Commission Schubert avait aussi écrit :
« ce système introduit une dissymétrie de traitement entre entreprises nationales et entreprises étrangères » [p6]
« (…) si le CETA substitue à l’arbitrage d’investissement un mécanisme totalement nouveau, qui présente des garanties renforcées d’indépendance et d’impartialité, il continue de permettre aux investisseurs étrangers d’échapper à la compétence des juges nationaux. » [p27]
« le mécanisme de règlement des différends du chapitre huit ne rompt pas totalement avec l’arbitrage d’investissement. » [p31]
« seul l’investisseur peut déposer une plainte devant le Tribunal de première instance (article 8.18). Le chapitre huit reproduit ici le caractère unilatéral de l’arbitrage d’investissement et les demandes reconventionnelles ne sont pas prévues. » [p31]
« C’est ici l’investisseur requérant qui choisira le règlement d’arbitrage sous l’empire duquel il souhaite que le litige soit réglé. » [p31]
« (...) une rupture plus claire avec cet aspect de l’arbitrage est indispensable. (...). Ici, la double rémunération qu’impliquent le versement d’une rétribution mensuelle et la charge des honoraires pourrait même donner lieu à des frais plus élevés que l’arbitrage d’investissement. » [p31]
« L’hypothèse d’un recours engagé par un investisseur étranger contre une mesure de portée générale nouvelle – une directive européenne ou une loi nationale par exemple – qui interdirait l’utilisation de certains agents chimiques classés comme perturbateurs endocriniens peut ici être envisagée. » [p33]
« Rien ne permet de garantir dans le traité que les futures dispositions environnementales nécessaires à la poursuite des objectifs de la France en matière de transition énergétique et de développement durable ne seront pas attaquées devant cette juridiction. [mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États] » [p52]

→ Nous avons développé une analyse juridique des implications concrètes de l’activation du chapitre investissement du CETA et du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Cette note confirme que les conditions d’engagement de la responsabilité de l’UE et de la France seraient beaucoup plus souples qu’en droit interne et que le calcul des indemnisations serait lui aussi bien plus favorable aux investisseurs (pouvant inclure les profits futurs non réalisés et la capitalisation des intérêts).

→ La Commission Schubert avait formulé une proposition de veto climatique visant à écarter des plaintes qui contesteraient des politiques publiques en matière de lutte contre le changement climatique.
La proposition portée par le Gouvernement et la Commission européenne n’est pas conforme à la proposition de la Commission Schubert dans la mesure où il ne s’agit pas véritablement d’un véto qui permettrait d’écarter des plaintes. L’intervention du comité mixte pour donner une interprétation ne sera ainsi pas suspensive et il reviendra toujours au Tribunal de vérifier et décider si les conditions définies par le comité mixte sont satisfaites.
La juriste de la Commission Schubert à l’origine de la proposition de véto revient d’ailleurs sur les limites du dispositif envisagé dans une tribune publiée le 9 juillet 2019 dans le Monde.

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