Post-Covid

Climat : huit propositions pour changer d’air

8 min

Entre mars et mai, le confinement a été rythmé par un foisonnement d’idées de think tanks, d’intellectuels, de syndicats et d’ONG qui voient dans ce ralentissement général une occasion pour changer de direction. Morceaux choisis.

Manifestante à Rennes, le 11 mai 2020. Le monde d'après se prépare. Pendant le confinement, un foisonnement d'idées émanant de think tanks, d'intellectuels, de syndicats ou d'ONG ont fleuri pour éviter de répéter les errements climatiques du passé. PHOTO : Jean Claude MOSCHETTI/REA

Si les bouchons se sont faits rares sur les routes pendant les huit semaines de confinement, un autre type d’embouteillage s’est produit. Une multitude d’initiatives d’ONG, d’intellectuels, de syndicats ou de laboratoires d’idées ont vu le jour à la faveur de la crise sanitaire et économique. Appelant à repenser, reconstruire ou ralentir notre modèle de société, ils avancent des propositions plus ou moins précises ou iconoclastes pour vraiment accélérer la transition écologique.

Alors que les réunions de la Convention citoyenne pour le climat n’ont pas encore trouvé d’issueAlternatives économiques a sélectionné les principales propositions de ces différents acteurs pour que déconfinement ne rime pas avec « monde d’avant ».

1/ Un plan d’investissements pour conjuguer sortie de crise et préservation du climat

L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), a publié un plan de financement détaillé, destiné à « renforcer la résilience de notre société ». Il prévoit des investissements visant à diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans sept secteurs : rénovation des logements privés et des bâtiments tertiaires, développement du vélo, des infrastructures de transport en commun en ville, des infrastructures ferroviaires et des voitures électriques, production d’électricité renouvelable.

Développer puis basculer pleinement vers la rénovation énergétique complète des logements privés, financée par des éco-prêts à taux zéro

Par exemple : développer puis basculer pleinement vers la rénovation énergétique complète des logements privés, financée par des éco-prêts à taux zéro. Ce « green deal » à l’échelle française propose 7 milliards d’euros d’investissements publics annuels et une trentaine de mesures incitatives, censées déclencher 19 milliards d’euros d’investissements privés et publics supplémentaires par an.

2/ Une stratégie pour muscler le « Green deal » européen

L’Institut Veblen propose pour sa part un plan pour « réussir le Green deal » européen. Jugé insuffisant dans sa version actuelle, ce dernier devrait « offrir une vision approfondie de la soutenabilité tout en renforçant la démocratie et en luttant contre les inégalités », estime le think tank.

Sur plus de 40 pages, l’organisme propose des dizaines de mesures pour démocratiser les institutions européennes et doter le « Green deal » d’un volet social. Par exemple en créant un « programme européen accessible aux collectivités et financé par la BEI et la BCE (Banque européenne d’investissement et Banque centrale européenne, ndlr) via l’émission des titres de dette spécifiques », afin de soutenir la transition dans les territoires où « l’emploi et le développement dépendent fortement des secteurs industriels les plus carbonés ».

3/ Une révolution budgétaire et monétaire pour l’UE

L’économiste Alain Grandjean, président de la Fondation Nicolas Hulot et membre du Haut Conseil pour le climat, plaide quant à lui pour une refonte de la politique budgétaire et monétaire de l’Union européenne. Avec l’économiste Ollivier Bodin, il propose la « création d’un fonds de relance et de transition doté de moyens substantiels, jusqu’à 2 000 milliards d’euros sur sept ans avec comme priorité dans un premier temps d’aider la création d’emplois dans le respect des objectifs écologiques ».

Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne demandent d’annuler purement et simplement les dettes publiques détenues par les banques centrales nationales pour le compte de la BCE

Avec le haut fonctionnaire Nicolas Dufrêne, président de l’Institut Rousseau, il demande « d’annuler purement et simplement les dettes publiques détenues par les banques centrales nationales pour le compte de la BCE ». Dans leur ouvrage Une monnaie écologique paru en février aux éditions Odile Jacob, tous deux remettent en question l’indépendance de la BCE et imaginent une « monnaie libre », créée sans contrepartie d’endettement, au service de la transition écologique.

4/ Un plan de transformation de l’économie française, garanti sans croissance

Si les précédentes propositions se concentrent sur les aspects financiers de la transition écologique, le think tank The Shift Project propose une démarche plus « concrète ». Début mai, il a lancé son « plan de transformation de l’économie française » – dont les détails seront publiés entre juin et septembre 2020 – ainsi qu’une campagne de crowdfunding pour financer ce « grand chantier ».

Celui-ci n’a pas pour objectif d’identifier les bons « tuyaux de financement » ou de chiffrer précisément les besoins, mais d’ouvrir le débat sur la réorientation de l’économie matérielle : que produit-on, avec quels bras, quels cerveaux et quelles machines ?

Pour cela, le think tank commence par exclure le retour de la croissance, un « pari incertain et périlleux », qui repose sur les énergies fossiles. Puis il dessine les grandes lignes d’une planification visant, secteur par secteur, à former les acteurs à la transition écologique, décarboner les usages et garantir les services essentiels (habiter, se nourrir, se protéger, se mouvoir, se divertir, s’informer).

5/ Un modèle de société soutenable en sept questions

L’institut de prospective France Stratégie, rattaché au Premier ministre, pose lui aussi les premiers jalons d’une réflexion sur un « après » soutenable. Démarrée début 2020, cette initiative s’est adaptée à la crise du Covid-19, en lançant un appel à contributions en ligne autour de sept grandes questions : « Quelles attentes à l’égard de la puissance publique face aux risques ? Quel modèle social pour « faire avec » nos vulnérabilités ? Quelles interactions humains-nature, mondialisation et pandémies ? Quelles relations entre savoirs, pouvoirs et opinions ? Numérique : nouveaux usages, nouvelles interrogations. Quelles interdépendances et quelles formes d’autonomie à différentes échelles ? Quelle voie pour une économie soutenable ? »

Pour chacune de ces interrogations, France Stratégie dresse dans une note de 60 pages un état des lieux des enjeux et soumet quelques pistes de réflexion, parfois venues d’organismes cités dans cet article.

6/ Un changement de cap radical pour « retourner sur Terre »

Les tenants d’une écologie plus radicale sont au rendez-vous sur le site de la revue La Pensée écologique. Son fondateur, le philosophe Dominique Bourg ainsi que l’historien Johann Chapoutot, l’agriculteur Philippe Desbrosses, les ingénieurs agronomes Gauthier Chapelle et Pablo Servigne, les philosophes Xavier Ricard-Lanata et Sophie Swaton, y publient leurs « Propositions pour un retour sur Terre ».

En 35 mesures, ils déroulent un programme de « ralentissement général », en proposant par exemple de « plafonner démocratiquement, de façon progressive, les consommations d’énergie / matière (et notamment les consommations d’énergie fossile, émettrices de CO2) », à l’aide de « quotas d’énergie / matière par individu, variables en fonction de la situation géographique et de la part "contrainte" des dépenses ».

Toutes les institutions de la vie publique ou presque sont évoquées, du Sénat – transformé en « Assemblée des bio-régions » – à la BCE, en passant par l’Assurance maladie et l’ONU.

7/ Une convergence écolo-sociale pour le « Jour d’après »

Il semble loin, le temps où Greenpeace et la CGT s’écharpaient sur les questions écologiques. Désormais, les deux organisations militent ensemble pour la défense de l’environnement et des travailleurs. Avec seize syndicats et ONG, dont Attac, Oxfam et Solidaires, ils ont signé fin mars la tribune « Plus jamais ça, préparons le jour d’après », dans laquelle ils donnent les grandes lignes d’une « remise à plat du système ».

La pétition réclame un « plan de réorientation et de relocalisation solidaire de l’agriculture, de l’industrie et des services »

Début avril, ils ont lancé une pétition « Pour le jour d’après », signée par plus de 180 000 personnes (à ne pas confondre avec la consultation citoyenne « Le Jour d’après », initiée par une soixantaine de parlementaires LREM, ex-LREM, UDI, PS, MoDem et EELV).

La pétition réclame des mesures immédiates, comme des réquisitions d’entreprises et de cliniques, mais aussi de long terme : « Un plan de développement de tous les services publics », « une fiscalité bien plus juste et redistributive, un impôt sur les grandes fortunes, une taxe sur les transactions financières et une véritable lutte contre l’évasion fiscale », ainsi qu’un « plan de réorientation et de relocalisation solidaire de l’agriculture, de l’industrie et des services ».

8/ Un « appel commun à la reconstruction » qui rassemble 75 organisations

Début mai, un vaste aréopage de syndicats, d’ONG, de think tanks et d’associations diverses et variées s’est rassemblé derrière un « appel commun à la reconstruction ». Soutenu par plus de 20 000 signatures de citoyens, cet appel destiné à « interpeller nos élus » se résume en quelques mots : investir dans l’essentiel.

Faisant le constat que la crise sanitaire révèle les « vulnérabilités » de notre société, les 75 organisations signataires demandent « d’investir massivement dans notre système de santé, dans l’éducation et dans la recherche », ainsi que dans la formation et la création d’emplois « dans les activités écologiquement et socialement responsables ». Quitte à financer la reconversion des salariés « qui ne doivent pas subir les conséquences des choix industriels effectués par le passé », comme dans les secteurs de l’aviation et du tourisme de masse, amenés à « réduire progressivement leur activité ».

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Commentaires (4)
Jef 25/05/2020
Je m'amuse déjà du résultat de toutes ces élucubrations.
Vincent 25/05/2020
Pas un mot sur une taxe carbone... Trop "capitaliste" pour Altereco ?
Thierry 24/05/2020
C'est bien que ça commence à penser, parce que sans pensée, sans projet, on ne va pas loin en général à part dans le mur. Néanmoins une réserve, si on ne médiatise pas ce débat au niveau du grand public, si on le garde confidentiel on va aussi droit dans le mur. Il y a une fenêtre de tir parce que nombre de gens comprennent que ce système ne peut durer, mais ils n'ont rien de crédible auquel se raccrocher si ce ne sont les boniments de quelques bateleurs de la politique... Il faut un projet.
christian 24/05/2020
Autant de certitudes m'emeut !!!! Fatigué des faiseurs de miracles !
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