Dans son nouvel ouvrage, le spécialiste Cédric Philibert tente de réhabiliter la voiture électrique, critiquée de toutes parts pour ses impacts environnementaux. Si son discours est volontairement rassurant, il pourrait cependant venir limiter les appels à la sobriété pourtant indispensable.

Victime d’un sabotage. Début mars, une usine Tesla – la seule d’Europe – située près de Berlin, en Allemagne, a été mise à l’arrêt en raison d’un incendie volontaire provoqué par un groupe d’extrême gauche, qui a ensuite revendiqué l’action publiquement. “C’est une dérive inquiétante. On ne voit pas par exemple d’attaques contre les usines qui fabriquent des véhicules thermiques”, réagit Cédric Philibert. Après les éoliennes, l’expert en énergie prend cette fois la plume pour défendre les voitures électriques dans un ouvrage à paraître ce jeudi 21 mars au titre volontairement provocateur “Pourquoi la voiture électrique est bonne pour le climat” (1).

La plupart des critiques qui leurs sont adressées sont infondées. Elles proviennent de ceux qui ne veulent pas changer ou n’ont pas intérêt à ce que ça change, notamment les compagnies pétrolières, mais aussi d’une partie des écolos qui ne prônent que la seule décroissance”, explique le spécialiste lors d’une présentation de son livre à la presse. A Grünheide, près de Berlin, les militants accusent l’usine Tesla de “polluer la nappe phréatique et [de] consommer pour ses produits d’énormes quantités d’une ressource en eau potable déjà rare”. Ils ont installé un campement dans une forêt appartenant à l’État et que Tesla souhaite acheter et défricher pour son expansion.

Une solution parfaite ?

Cet exemple illustre à quel point les véhicules électriques sont loin de faire consensus. S’ils sont effectivement vertueux d’un point de vue climatique car ils n’émettent pas de CO2 à l’usage, ils posent par ailleurs tout un tas de problématiques dont l’artificialisation des sols pour construire les gigafactory. Mais c’est surtout leur fabrication qui est le plus souvent pointée du doigt car elle nécessite bien plus de matériaux que les véhicules thermiques. Pour Cédric Philibert, il s’agit là d’une “affaire transitoire“. Car, une fois extraits, “ces métaux seront utilisés et réutilisés de nombreuses fois” selon lui.

Couverture d’un numéro spécial de Charlie Hebdo, publié le 1er juin 2022, consacré à la voiture électrique.

“Dans un monde parvenu à une certaine stabilité de la population et à une certaine saturation de la consommation matérielle, le recyclage deviendra la principale source d’approvisionnement en métaux et l’exploitation minière retombera à un niveau plus faible”, explique-t-il, tout en reconnaissant que “ce nouvel âge des métaux présente, à court et moyen terme, un certain nombre de défis”. “Il faut accélérer leur production en préservant mieux l’environnement, en refusant les conditions sociales inhumaines et en regagnant en souveraineté, en particulier à l’égard de la Chine.”

Autres défis qu’il faudra aussi réussir à dépasser : décarboner le mix électrique dans tous les pays, rendre ces véhicules accessibles financièrement ou encore augmenter leur autonomie. “Nous avons une fâcheuse tendance à nous concentrer sur les défauts de la voiture électrique dans l’espoir et l’attente d’une solution parfaite. Il ne s’agit pas, ici, de dire qu’elle [la voiture électrique] est la solution à tous les problèmes environnementaux, mais simplement qu’elle représente une rupture technologique considérable“, résume le spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement François Gemenne en préface du livre.

Quelle place pour la sobriété ?

La volonté de Cédric Philibert est donc de restaurer l’image des véhicules électriques et de répondre aux idées reçues et aux fake news qui circulent à leur propos. Mais un discours très rassurant sur la voiture électrique peut néanmoins présenter certains risques, selon Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports. “Il ne faut pas minimiser le rôle de la sobriété, qui sera aussi indispensable pour atteindre les objectifs climatiques. Au-delà de l’électrification, de nombreuses autres évolutions sont nécessaires, comme le développement des modes de transport actifs et collectifs, le covoiturage, le passage à des véhicules plus légers, la régulation de la publicité autour des SUV…”, explique-t-il.

Aurélien Bigo appelle ainsi à mener de front électrification et sobriété, aucun de ces deux leviers ne se suffisant à lui seul. “L’électrification des voitures a des impacts positifs d’un point de vue climatique, sur la pollution de l’air ou encore la pollution sonore. Mais même électrique, la voiture garde d’importantes externalités négatives, argumente-t-il. Outre sa demande en matériaux et son coût, il y a la consommation d’espace et le partage avec les autres modes de transport, les problématiques d’accidentalité, de sédentarité… La sobriété peut venir contrebalancer certains de ces impacts et aider à mieux réussir l’électrification en réduisant les besoins”.

“Oui bien sûr que la sobriété est utile, rétorque Cédric Phillibert. Je suis pour évidemment. Mais qui peut croire une seconde qu’on va diminuer l’usage des voitures, les kilomètres parcourus, … dans des proportions qui permettraient d’approcher, même d’assez loin, les réductions d’émissions de de gaz à effet de serre dont nous avons besoin en trois décennies ? On ne peut pas forcer les gens à se passer de la voiture ! Il faut donc défendre l’électrique”, insiste-t-il.

Le premier baromètre sur la sobriété publié par l’Ademe mi-mars montre que les Français sont en effet très attachés à leur voiture et sont réticents à s’en passer complètement. Toutefois, 45% d’entre eux disent se déplacer en voiture car ils n’ont pas d’autre choix…

(1) “Pourquoi la voiture électrique est bonne pour le climat”, de Cédric Philibert, éditions Les petits matins, 203 pages, 21 mars 2024

Les propos de Cédric Philibert ont été recueillis lors d’une présentation de son livre à L’association des journalistes de l’environnement (AJE) organisée le 13 mars 2024. 

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