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Green Economie

La France sortie du traité sur la charte de l’énergie : la bataille continue

Ce vendredi 8 décembre, la France n’est officiellement plus membre du traité sur la charte de l’énergie qui protège les investissements étrangers dans l’énergie, y compris fossile. Les défenseurs de l’environnement saluent une première bataille gagnée sur le front des traités de libre-échange mais réclament une sortie coordonnée de l’Europe et alerte sur les autres accords comme le CETA.

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Plateforme pétrolière de l'entreprise canadienne Vermilion à Andrezel, dans le sud-est de Paris en France, le 6 septembre 2017.
Plateforme pétrolière de l'entreprise canadienne Vermilion à Andrezel, dans le sud-est de Paris en France, le 6 septembre 2017.
Thibault Camus/AP/SIPA
Plateforme pétrolière de l'entreprise canadienne Vermilion à Andrezel, dans le sud-est de Paris en France, le 6 septembre 2017.
La France sortie du traité sur la charte de l’énergie : la bataille continue
Agathe Beaujon
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C’est officiel. A partir de ce vendredi 8 décembre, la France n’est plus membre du traité sur la charte de l’énergie (TCE), qui réunissait 54 membres en 2022. Ce texte, signé en 1994, protège les investisseurs contre les changements législatifs dans le domaine de l’énergie. En somme, si un Etat signataire change sa politique, et que l’investisseur considère que cela affecte sa rentabilité, il peut l’attaquer devant un tribunal d’arbitrage international privé. Largement méconnu du grand public, il est pourtant l’un des accords commerciaux et d’investissements internationaux les plus importants et puissant.

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C’est en travaillant pour le secrétariat du traité que Yamina Saheb a réalisé son caractère « climaticide », et a été l’une des premières à tirer la sonnette d’alarme. Aujourd’hui chercheuse à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences Po et coautrice du rapport du Giec, elle dénonce un texte qui empêche toute transition énergétique : « Si vous changez une virgule dans une loi, et que cela peut affecter un investisseur dans l’énergie, l’entreprise privée peut réclamer des milliards de l’Etat. Or la décarbonation oblige à changer beaucoup de textes. »

Multiplication des attaques judiciaires

De quoi, par exemple, attaquer les fermetures anticipées de centrales fossiles. C’est ce qu’ont connu les Pays Bas quand ils ont annoncé leur sortie du charbon d’ici 2030. Les compagnies allemandes RWE et Uniper avaient attaqué le pays, s’estimant lésées. Une procédure qui a déjà coûté 5,4 millions d’euros de frais d’arbitrages au pays selon l’ONG Somo, alors que plus d’un milliard d’euros sont en plus réclamés à l’Etat néerlandais par RWE — Uniper ayant finalement abandonné les poursuites.

L’Espagne, elle, est l’un des pays les plus poursuivis, à coups de plusieurs dizaines de millions d’euros de dédommagements à chaque fois : 22 millions pour BayWa r.e, 32 millions pour Renergy, 290 millions pour NextEra Energy… L’UE a aussi récemment été attaquée pour sa taxation des superprofits de l’énergie.

La France, elle, a été poursuivie pour la première fois en 2022 par Encavis AG, pour avoir modifié ses tarifs de rachat de l’électricité renouvelable. Pire, la menace d’une action sur la base du TCE aurait influencé la loi. En 2017, au moment de l’élaboration de la loi Hulot sur la fin de l’exploitation des hydrocarbures en France, les avocats de l’entreprise Vermilion, filiale d’un groupe Canadien, avaient fait pression sur le conseil d’Etat — mis au jour par les Amis de la Terre — rappelant les « obligations » de la France sur la base du TCE.

Résultat, le calendrier et l’ambition de la loi ont été amoindris, dénoncent observateurs et militants écologistes. Au lieu de la fin de l’exploitation du pétrole français en 2040 (1 % de sa consommation), la loi interdit seulement le renouvellement des concessions existantes après 2040 et même après si l’entreprise démontre qu’elle n’est pas rentrée dans ses frais. Et depuis sa promulgation, plusieurs projets ont progressé. L’entreprise Vermilion, qui assure 75 % de la production française d’hydrocarbures, a notamment été autorisée en 2022 à chercher du pétrole en Gironde jusqu’en 2040 et souhaite y creuser jusqu’à huit nouveaux forages pétroliers.

Traité « obsolète »

Ce traité était devenu « obsolète », résume le cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher : « Le TCE faisait peser un vrai risque financier sur la France, et n’était pas aligné avec nos objectifs climatiques et de sortie du fossile ». C’est la raison pour laquelle, sous pression de la société civile, Emmanuel Macron a annoncé le retrait français fin 2022, devenu effectif ce vendredi après le délai d’un an réglementaire.

Cette décision s’inscrit dans une vague d’annonces de retrait de la part d’une dizaine de pays européens comme l’Espagne, les Pays Bas, le Danemark ou le Portugal. Hormis la France, trois ont officiellement notifié leur sortie : la Pologne, l’Allemagne et le Luxembourg.

De quoi porter un coup fatal au TCE ? Pas sûr, mais de quoi, au moins, entacher son avenir. Alors qu’un processus de modernisation avait été lancé en 2018, celui-ci est complètement bloqué, jugé insuffisant par les uns, inenvisageable pour les autres, comme le Japon. En outre, la sortie des Européens entaille sérieusement le budget du secrétariat du TCE. La France, parmi les plus gros contributeurs, payait environ 500 000 euros par an. « Avec cette vague de sorties, ce sont presque 40 % des ressources du fonctionnement du traité qui vont fondre », estime Mathilde Dupré, codirectrice du think tank Institut Veblen. Les effectifs du secrétariat devraient ainsi passer de 30 à 10 personnes.

Vers une sortie coordonnée des Européens ?

Reste le sujet de la clause de survie. Même sortis, les Etats peuvent encore être attaqués pendant 20 ans si l’investissement a eu lieu avant la date de retrait. La France pourrait donc encore être poursuivie pour sa politique énergétique et sa transition jusqu’en 2043 par les sociétés des pays restés dans le traité. C’est pour y échapper que Paris plaide pour une sortie coordonnée des Etats membres de l’Union européenne. Environ 60 % des investissements étrangers couverts par le TCE sont intra européens. Et sur 150 différents connus fin 2022, 98 concernaient des affaires purement européennes.

Poussée par le Parlement européen, la commission a fait une proposition en ce sens cet été, bloquée pour l’instant par des pays comme la Suède, Malte ou Chypre. « Pour l’instant ce texte n’a pas de majorité pour lui », regrette Mathilde Dupré.

Mais la défiance vis-à-vis du TCE grandit. La Bulgarie et la Roumanie pourraient réfléchir à une sortie. La Suisse ou le Royaume-Uni pourraient aussi changer la donne. Comme en France, l’équivalent du Haut conseil pour le climat britannique a recommandé la sortie du TCE. Le gouvernement avait alors annoncé qu’il envisagerait un retrait si la modernisation n’avançait pas lors de la dernière réunion du TCE le 20 novembre. Elle n’a finalement même pas été discutée, faute de position commune du côté de l’Union européenne.

Même logique pour les autres accords de libre-échange

« C’est la première fois qu’on sort d’un traité de libre-échange, se félicite la chercheuse Yamina Saheb. C’est une première bataille gagnée. » Mais pas la guerre. Car tous les traités commerciaux internationaux comportent un volet de protection des investissements, y compris donc dans les énergies fossiles.

« Nous sommes dans une dynamique pro climatique dans les accords internationaux », nuance-t-on au cabinet d’Agnès Pannier-Runacher qui en veut pour preuve l’opposition de la France au Mercosur. « Mais il y a encore un vrai travail de mise à jour du logiciel européen à faire », pointe Mathilde Dupré donnant l’exemple du CETA. Dans son accord de coalition, si l’Allemagne se retire du TCE… Elle compte signer le CETA qui protège lui aussi les investissements.

La question se pose encore pour la mise à jour des accords avec le Chili ou le Mexique. Mais la vague de contestations du TCE aura eu le mérite d’enclencher des réflexions internationales, avec des discussions jusqu’au sein de l’OCDE. « Il y a une vraie bataille culturelle à mener », résume Mathilde Dupré.

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