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Green Economie

L'économie verte est-elle une arnaque?

Un procès inédit s’est tenu à Beaubourg, le 2 octobre dernier. Celui de l’économie verte. Après avoir écouté quatre experts, des jurés tirés au sort devaient répondre à une question: "l’économie verte est-elle une arnaque?" Au cœur des débats, une ligne directrice a émergé: pour être crédible, l’économie verte doit avant tout produire des résultats tangibles en termes de réduction d’émissions de CO2. Avec l’Etat en chef d’orchestre.

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Le centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, communément appelé centre Georges-Pompidou ou Beaubourg, le 5 février 2020.

Le Centre Georges Pompidou a accueilli le Tribunal pour les générations futures pour répondre à une question: l'économie verte est-elle une arnaque?

ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

La procureure s’avance sur la scène: "L’économie verte est une économie de la promesse. Comment savoir si cela marchera?"  Face à elle, Maxime Efoui-Hess, physicien et chef de projet à The Shift Project. "Madame la Procureure, répond le jeune expert avec assurance, si vous décidez de sauter du haut d’un immeuble, en tant que physicien, je peux prédire que vous allez tomber. Je peux aussi calculer à l’avance la vitesse de votre chute et je peux très précisément, toujours selon les lois de la physique, vous dire à partir de quelle hauteur le saut deviendra dangereux. C’est exactement ce que nous savons faire avec le Giec à l’échelle climatique." L’image frappe l’assemblée.

Un rideau rouge. Ce samedi 2 octobre battu par la pluie, au sous-sol du Centre Georges Pompidou à Paris s’est tenu un procès inédit imaginé par le magazine Usbek et Rica et la BPI et au terme duquel cinq jurés tirés au sort dans le public ont répondu à cette question: "l’économie verte est-elle une arnaque?"

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Une procureure, une avocate et un Président d’opérette pour un sujet sérieux. Pour défendre l’économie verte, Catherine André, rédactrice en chef adjointe du mensuel Alternatives économiques, tonique et pleine d’humour. Pour la dénoncer, Katia Pétrovic. La procureure travaille dans la vraie vie pour la radio et télévision publique allemande et Voxeurop. A la présidence, Christophe Alix, ancien chef du service économie de Libération qui travaille aujourd’hui à la Banque européenne d’investissement. Un à un, il appelle à la barre quatre témoins qui jurent de dire la vérité aux générations futures.

Franck-Dominique Vivien, professeur d’économie à l’Université de Reims,  ouvre le bal. "Personne ne sait ce qu’est l’économie verte", l’interroge Katia Pétrovic, très crédible en procureure. "L’économie verte commence quand vous sortez vos poubelles ou que vous utilisez de l’eau pour vous laver les dents. Ce sont aussi des filières, des territoires... C’est aussi la Responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Elle pose aussi la question du capitalisme et de la croissance…" D’entrée de jeu, nous voilà dans l’abîme. La procureure aussi. "Beaucoup de questions, peu de réponses", s’agace-t-elle.  

Comment définir l'économie verte?

Ce qu’on comprend très vite, c’est que définir l’économie verte est complexe, ce qui génère aussi une difficulté à tracer la route du progrès. Exemple frappant évoqué pour les jurés: "Un poulet élevé au grain en plein air a une empreinte carbone plus grande qu’un poulet élevé en batterie, tout simplement parce que le second a une durée de vie plus courte." Doit-on pour autant privilégier l’un par rapport à l’autre?

"Diriez-vous que l’économie verte est une économie qui met tout en œuvre pour fonctionner dans le respect des limites des ressources planétaires?", s’essaye à son tour l’avocate, Catherine André. On s’attend à un oui. Pas du tout. "Non. Une vraie économie verte ou écologique doit avoir une obligation de résultats par rapport à la biosphère, s’enflamme l’économiste. Là, vous évoquez une obligation de moyens." Pas faux. L’Accord de Paris lui-même est conçu comme l’addition d’engagements volontaires de 197 Etats alors que le Protocole de Kyoto exigeait des réductions d’émissions de CO2 tangibles et contrôlés. Résultat:  après la baisse des émissions due à la pandémie, les émissions de CO2 ont repris leur progression.

Pour produire du résultat, il faudrait aussi insiste-t-il que l’économie verte cesse d’être orientée vers et par le consommateur. "Les labels verts sont faits pour les consommateurs", assure l’économiste. Quant aux normes, elles auraient, selon lui, un effet trompe-l’œil, car "elles sont conçues pour évaluer une amélioration des process. Concrètement, vous pouvez être l’entreprise la plus lamentable et obtenir cette norme parce que vous avez fait mieux que l’an dernier."

Une responsabilité individuelle dans le réchauffement limitée

Mais au fait, c’est qui, l’économie verte, nous, les entreprises, l’Etat? Pour Solange Martin, sociologue au Haut conseil pour le climat, qui parle ce soir-là en son nom propre, c’est à l’échelle collective que se joue le succès de l’économie verte. Et d’évoquer l’expérience "Familles à énergie positive" menée depuis 2008 par plus de 40 000 familles prêtes à tout pour réduire leur consommation d’énergie et dont les cadors affichent un modeste -12% de consommation. "On entend souvent que c’est aux consommateurs de changer et qu’après les entreprises suivront, explique-t-elle. Or, si on devenait tous végétariens, si on cessait tous de prendre l’avion ou d’avoir une voiture, cela ne toucherait que 20% des émissions de CO2 mondiales. Tout le reste relève de l’organisation collective." Donc de l’économie. "C’est à ces filières d’évoluer et aux pouvoirs publics d’accompagner leur mouvement."

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L’obsession du résultat, voilà ce qui rendrait crédible l’économie verte. C’est aussi ce que dit Maxime Efoui-Hess qui appelle à la rigueur. "Si les chiffres sont collectifs, transparents et appuyés sur des données sérieuses, ça change tout."  L’Avocate, ravie: "Je vois que vous ne jetez pas l’économie verte. Quelles conditions lui posez-vous pour qu’elle soit efficace?". Le physicien évoque aussitôt le résultat à produire: "5% de réduction par an, soit l’effet du Covid." Un effort gigantesque, à l’échelle du risque. "A + 5°C, peu d’espèces et d’humains survivent – on est sur une trajectoire de 2,7°C -. L’objectif c’est une humanité qui perdure." Ok, mais comment faire? Première condition: les critères climat doivent être premiers dans la prise de décision des directions générales. Et pas pour faire du greenwashing. "Si vous lisez ‘zéro impact’ ou ‘zéro carbone’, c’est faux, assure le jeune expert. La seule manière de faire du zéro carbone, c’est de ne pas exister." Deuxième exigence: "il faut raisonner en écosystème. Si on utilise la biomasse pour faire voler tous les avions, elle n’ira pas vers le bâtiment. Dans l’économie verte, il y a une concurrence permanente entre les solutions."

Découplage de la croissance et de l'épuisement des ressources impossible

Mais au fait, quid de la croissance? Faudra-t-il y renoncer? Mathilde Dupré, qui co-dirige l’Institut Veblen, un think tank spécialisé dans l’étude de la grande transition énergétique, annonce la couleur: "la Commission européenne espère décoreller croissance et épuisement des ressources naturelles. Or, l’agence européenne de l’Environnement l’a montré dans un rapport publié le 11 janvier 2021: ce découplage n’est pas possible."

Mais "comment générer une transition sociale juste?", interroge Catherine André. "Cette question est au centre du développement durable qui repose sur quatre piliers: l’économie, l’environnement, le social et la gouvernance", lui répond Solange Martin qui regrette la désaffection actuelle pour ce concept au profit de "l’économie verte". L’avocate insiste: "Que serait une économie verte qui bénéficierait à tous?" Un système qui veille aux inégalités qui naissent même de la question climatique, insiste Mathilde Dupré, "en France, les gilets jaunes ont montré qu’il vaudrait peut-être mieux taxer l’hypermobilité des plus riches que des gens qui ont, chaque jour, besoin de leur voiture pour travailler." Un système aussi qui répartirait mieux l’effort sur toutes les filières. A cet égard, le numérique, tous les témoins l’ont répété, est un faux ami du climat. "La Commission européenne mise sur la digitalisation de l’économie. Or le numérique absorbe 4,2% de l’énergie primaire dans le monde et cette proportion va être multipliée par 2,5 d’ici 2025, note Mathilde Dupré. Il représente déjà 3,8% des émissions mondiales de CO2, soit 1,5 fois ce que représente le transport aérien." Qui parle d’arrêter d’utiliser son smartphone?

Agir vite avec les acteurs en place pour bâtir une "économie verte"

C’est l’heure du réquisitoire. La procureure s’avance: "le confinement nous a permis de nous interroger sur la réalité de nos besoins. L’été 2021 nous a rappelé avec ses catastrophes naturelles que rien n’était rentré dans l’ordre après la pandémie. Nous, Européens, avons délocalisé nos émissions à l’autre bout du monde. Parler d’économie verte donne encore et toujours la primeur à l’économie, une économie qui transforme la nature en ressources qu’elle calcule comme un simple portefeuille d’investissements." Catherine André prend le relais. "Qui sauvera la planète? C’est la seule question de fond. Certes l’économie verte a des contours flous. Mais elle affiche la volonté de faire évoluer un modèle obsolète. Qui fait aussi bien que l’Europe avec son Green Deal dans le monde? On ne peut s’en remettre à la main invisible du marché mais on peut s’en remettre à la main visible de l’Etat. Mesdames et Monsieur les jurés, ne remettez pas en question le travail fait par tant de pionniers dans les entreprises et parmi les législateurs. Non l’économie verte n’est pas une arnaque."

Sur ces mots, les cinq jeunes jurés se retirent derrière une porte dérobée. Les revoilà bientôt sur scène. L’argument de Solange Martin sur l’engagement crucial de l’ensemble du système a fait mouche. Pour le jeune jury, étonnamment unanime, le raisonnement est simple: c’est par l’action collective qu’il faut s’adapter au réchauffement climatique. Et comme il n’est pas question de perdre du temps, c’est avec les acteurs en place qu’il faut agir pour mettre en bâtir une "économie verte" qui produise du résultat. Une leçon de pragmatisme.

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