Des éoliennes à Campbon, dans l'Ouest de la France, le 17 janvier 2023

Des éoliennes à Campbon, dans l'Ouest de la France, le 17 janvier 2023

afp.com/LOIC VENANCE

Il se définit lui-même comme un "anti-Jancovici". Cédric Philibert, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), défend la place des énergies renouvelables dans notre mix énergétique. Son dernier livre Eoliennes. Pourquoi tant de haine ? (Les petits Matins) passe au crible les nombreuses accusations dont l’énergie du vent fait l’objet. "Non, la variabilité des éoliennes ne constitue pas une réelle difficulté. Oui, il est possible de monter en puissance sur les renouvelables sans entraîner de désastre écologique", clame l’expert. Entretien.

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L’Express : André Bercoff, Stéphane Bern, Jean-Marc Jancovici… Votre livre épingle plusieurs personnalités opposées à l’éolien et dénonce l’utilisation massive d’arguments fallacieux. La désinformation que vous décrivez est-elle devenue le principal frein au développement de l’éolien en France ?

Cédric Philibert : Sans aucun doute. Son impact est même considérable. Il nous faut affronter une vaste entreprise de désinformation de la part d’une coalition d’intérêts disparates - certains économiques, d’autres purement politiques - d’une puissance redoutable et disposant de relais médiatiques colossaux. Le souci est que l’opposition aux éoliennes a peu à peu conquis des fractions significatives de l’opinion publique ou au moins réussi à jeter le doute sur le soutien des Français aux énergies renouvelables. Pire encore, cette opposition semble avoir contaminé jusqu’au sommet de l’Etat. Or nous avons besoin de l’éolien. Dans le scénario établi par le gestionnaire de réseau RTE comportant le plus de nucléaire, il nous en faudrait 2,5 fois de plus. Cela ne veut pas forcément dire 2,5 fois de mâts supplémentaires par rapport à aujourd’hui car certains modèles peuvent être plus puissants que d’autres, cependant l’effort reste conséquent : il nous faudrait sans doute 20 000 éoliennes pour être en phase avec nos objectifs. Pour rappel, l’Allemagne en compte déjà 30 000.

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Compte tenu de la surface disponible en France et de la qualité de nos vents, nous pourrions atteindre ce chiffre-là. Mais la question du rythme est très importante. Je pense qu’il faut développer l’éolien et le solaire comme si les nouveaux réacteurs nucléaires ne devaient jamais arriver. Parce que l’expérience de toute la génération EPR nous montre que lorsqu’on donne une date, la livraison arrive dans le meilleur des cas au bout de cinq ans en Chine, et environ dix ans après dans les autres pays. Donc, mieux vaut se caler sur ce délai. Si les réacteurs sont disponibles plus tôt, peut-être que l’on voudra - ou pas - ralentir le rythme de déploiement des éoliennes. Je n’ai pas de souci avec ça.

Beaucoup de fausses informations circulent au sujet de l’intermittence des éoliennes. Que répondez-vous à ceux qui nous disent qu’il s’agit d’un problème insoluble ?

L’idée mensongère que l’on entend souvent, c’est qu’avec un facteur de charge de 25 % pour les éoliennes, nous devons faire fonctionner des énergies fossiles pendant 75 % du temps. Prétendre cela, c’est nier la réalité : en France, nous avons un bon mix de renouvelable dans lequel le solaire et l’éolien sont très complémentaires. Notre pays peut également compter sur l’hydraulique. Par ailleurs, d’autres éléments entrent en compte : la demande d’électricité varie, nous pouvons importer de l’électricité via les interconnexions… On nous dit également qu’il devient difficile de répondre à la demande d’électricité, et que ce sera pire demain en raison du développement des voitures électriques. C’est faux. Les voitures électriques sont équipées de batteries pouvant être chargées aux heures creuses.

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Certes, on peut percevoir dans certains discours anti-éolien une graine de vérité. Par exemple, si on se rapproche du seuil de 100 % d’énergie renouvelable, il nous faudra effectivement des centrales thermiques de back-up. Cependant, celles-ci ne fonctionneront que quelques dizaines ou centaines d’heures par an. Selon l’étude Futurs énergétiques 2050 de RTE, elles ne produiront que 2,5 % de la consommation d’électricité et même si elles utilisent du gaz, elles émettront moins d’émissions de CO2 que notre système actuel reposant à la fois sur du nucléaire et des énergies fossiles.

La désinformation, hélas, ne s’arrête pas là. Elle concerne aussi bien l’utilisation des métaux rares - on en utilise souvent dans les éoliennes maritimes pour des raisons de légèreté et de fiabilité - que l’impact sur la biodiversité. Dans son livre Eoliennes, la face noire de la transition écologique, Fabien Bouglé intitule l’un de ses chapitres : "Les animaux en grand danger !" Or jusqu’ici, concernant les grandes causes de mortalité des oiseaux, les ONG évoquent les pesticides, la chasse, les pare-brise, les vitres des immeubles ou les chats sauvages, mais certainement pas les éoliennes.

Vous consacrez également un chapitre au photovoltaïque. Ce domaine souffre-t-il lui aussi d’attaques injustifiées ?

Oui. Quand j’ai commencé le livre, je ne m’attendais pas à ce que ce type de solution soit autant attaquée. Et pourtant. La gauche nous dit par exemple que le photovoltaïque, c’est bien mais sur les toits, pas dans un champ ou sur une exploitation forestière. Ils n’ont sans doute pas bien regardé les chiffres, car pour aboutir au tout-renouvelable en 2050, nous aurons besoin de 200 000 à 250 000 hectares de photovoltaïque, dans l’hypothèse où l'on installe tout au sol et rien sur les toits. Cela représente le quart de la surface dédiée au biocarburant, ce qui est loin d’être gigantesque.

Autre chiffre intéressant : d’après mes calculs, avec 1 hectare de photovoltaïque et des véhicules électriques, je fais 100 fois plus de kilomètres qu’en utilisant les biocarburants de première génération et des voitures thermiques. Cela signifie que les biocarburants manquent d’efficacité, en plus de coûter cher et de jouer en défaveur de la biodiversité en raison des intrants et des pesticides. Malgré tout, le photovoltaïque continue de représenter une grande menace aux yeux d'une partie de la classe politique. Une porte-parole de La France insoumise s’interrogeait récemment : "Qu’allons-nous manger quand nous aurons transformé la moitié de nos champs en centrale solaire" ? Non, il s’agit de 250 000 hectares sur 28 millions de surfaces agricoles utiles. C’est moins de 1 %. Une telle incompréhension est absolument tragique.

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