Comment repenser la fiscalité en France ?

Document d'impôt foncier français avec des billets de 50 euros, 11/11/2022 ©AFP - DENIS CHARLET / AFP
Document d'impôt foncier français avec des billets de 50 euros, 11/11/2022 ©AFP - DENIS CHARLET / AFP
Document d'impôt foncier français avec des billets de 50 euros, 11/11/2022 ©AFP - DENIS CHARLET / AFP
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En quoi la question des superprofits, qui cristallise les tensions actuelles, renouvelle-t-elle les débats sur la justice sociale : qui doit payer l’impôt et pourquoi ?

Avec
  • Mathilde Dupré Économiste, co-directrice de l’Institut Veblen
  • Xavier Timbeau Économiste, directeur de l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE)
  • Brice Fabre Économiste, chercheur à l’Institut des Politiques Publiques

La question de l’impôt (quel type d’impôt ? qui taxer ? à quel seuil ?) cristallise les conflits politiques, il ne s’agit pas seulement de s’intéresser à la question de l’efficacité objective de l’impôt, mais à celle de la justice sociale. Car la question du consentement à l’impôt est au cœur du débat démocratique - et ce, depuis des siècles. 
Mais aujourd’hui, les débats s’attardent les superprofits réalisés par les grandes entreprises multinationales dans le cadre de choc conjoncturel lié à la guerre en Ukraine, qui renouvelle la question de la justice sociale, y compris au niveau des entreprises. Que doit-on faire des profits exceptionnels que les entreprises “n’ont pas mérité” ?

La taxation des superprofits en question : comment les entreprises doivent-elles contribuer à l’effort fiscal ?

Selon Xavier Timbeau "quand on parle de superprofits on est dans une situation très particulière, généralement un temps de guerre et qu'à l'occasion de ce temps de guerre, il se produit des événements qui sont généralement négatifs économiquement mais qui pour certaines catégories vont être extrêmement profitables. Dans le superprofit, il y a un profit extrêmement important, liée à une situation inhabituelle, et des circonstances qui sont malheureuses pour la plupart. Et donc quand CMA-CGM réalise des profits extrêmement importants, de l'ordre de 30 milliards d'euros cumulés sur 2 années de Covid, cela pose la question de savoir pourquoi cela s'est produit et ce qu'il faut faire de cette manne". Brice Fabre ajoute "un superprofit, ce sont des profits exceptionnels dus à des facteurs pour lesquels l'entreprise a eu de la chance. Ce n'est pas le fruit de ses investissements ou de sa stratégie. La question qui se pose c'est donc de savoir si face à un choc inattendu, est-ce qu'on accepte de mettre en place des règles exceptionnelles, car on peut penser qu'il n'est pas juste que certaines entreprises perçoivent des profits pour des facteurs qui ne relèvent pas d'elles". Mathilde Dupré complète "l'Union européenne a proposé une définition des superprofits et a dit qu'il s'agirait de profits réalisés en 2022 supérieurs à 20% au profits réalisés depuis 2018, et c'est un peu cet accord européen qui a ensuite obligé la France à avancer. Reste un sujet plus large, à savoir quels secteurs d'activité seraient concernés, en dehors du seul secteur de l'énergie, puisqu'on a vu par exemple qu'en Espagne le gouvernement a mis en place  une taxe qui couvre le transport maritime et aussi les banques".

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L’évolution de la fiscalité des ménages face et l’idée de justice sociale

Ces débats s’inscrivent, en France, dans la suite du mouvements des gilets jaunes, un mouvement qui soulevait justement la question de la justice fiscale, alors qu’elle voyait son pouvoir d’achat diminuer. Les mesures fiscales ont donc été infléchies pour favoriser le pouvoir d’achat. Mathilde Dupré précise "il y a eu plusieurs vagues de contestation vis-à-vis de l'impôt depuis les années 2010, avec les bonnets rouges et les gilets jaunes, et quand on interroge les Français, ils reconnaissent que c'est un acte civique, et en même temps, ils sont rapidement enclins à dire qu'ils payent trop d'impôts, de façon générale et à titre personnel. Mais finalement, le sentiment d'insatisfaction par rapport à la fiscalité a souvent été plus virulent et plus fréquent dans l'histoire sur le temps long". Brice Fabre ajoute "ces 5 dernières années, la question des impôts a souvent été associée à celle du pouvoir d'achat. Quand on paye des impôts, en contrepartie il y a des services publics qui sont fourni. Aujourd'hui la difficulté c'est d'arriver à confronter ces 2 aspects". Derrière cette question du consentement à l'impôt se pose celle du niveau de prélèvements obligatoires, Xavier Timbeau explique "on a un gros problème lorsque l'on fait des comparaisons internationales, c'est que le périmètre des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires est défini en fonction de coutumes juridiques locales et ne décrit pas exactement la réalité des choses. Chaque année, on publie le taux de prélèvement obligatoire qui ne contient pas ces finesses et qui fait apparaître la France comme n° 1 ou n° 2 des prélèvements obligatoires et quand France Stratégie publie un rapport dans lequel il est dit que si on tient compte de ces finesses, la France est plutôt dans la médiane des pays européens.

Références sonores

  • Le 07 novembre dernier, Bruno Lemaire exprimait ses doutes quant à la taxation des superprofits (BFM, 07 novembre 2022)
  • Extrait du film « Le dîner de cons » de Francis Veber sorti en 1998

Pour aller plus loin

  • Quels impôts demain ? in "L'économie politique" n°96, 24/11/2022 (éditeur Alternatives économiques)
  • Nicolas Delalande : Les batailles de l'impôt (Seuil, 2014)

Références musicales

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