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Pour une macroéconomie écologique

Par Peter Victor & Tim Jackson

1er octobre 2012

Le monde doit faire face à trois crises majeures.
La première concerne la charge, inégale mais croissante, imposée par les êtres humains sur la biosphère, et l’observation selon laquelle nous avons déjà dépassé « l’espace de fonctionnement sécurisé pour l’humanité » en franchissant trois frontières planétaires : celle du changement climatique, celle du bouleversement du cycle de l’azote et celle de l’érosion de la biodiversité. La deuxième crise a trait quant à elle à la répartition résolument inégale de la production économique, non seulement entre les différents pays, mais de plus en plus en leur sein même. La troisième crise enfin est liée à l’instabilité du système financier mondial, révélée en 2007/2008 et qui semble échapper à toute solution évidente.
Ces crises sont complexes et étroitement liées. Il est tentant de vouloir en identifier les causes profondes, en partant du principe qu’en éradiquant les causes, on résoudrait les crises. Mais ce serait une erreur. Ces crises, en effet intimement liées, sont le résultat de systèmes dans lesquels les causes sont des conséquences et les conséquences des causes. Il n’y a donc pas lieu de rechercher des causes profondes, des causes qui ne seraient pas elles-mêmes conséquences d’autres causes. Une telle démarche pourrait même s’avérer contre-productive.
Il s’ensuit que toute tentative sérieuse de trouver des solutions doit passer non seulement par l’analyse de la dynamique des différents systèmes impliqués, à savoir écologique, économique et financier, mais aussi par un examen minutieux des interrelations entre ces systèmes. L’exercice est loin d’être simple. Il constitue même un véritable défi, en particulier pour une discipline comme l’économie. Il est en outre probable qu’un des facteurs impliqués dans la crise financière soit l’incapacité de l’économie à combiner convenablement l’économie financière et l’économie réelle. La
croissance économique réelle semblait saine alors même que les bilans financiers ne cessaient de se dégrader. D’aucuns tentent désormais de corriger ces dysfonctionnement et de mieux comprendre les connexions existant entre ces
systèmes. (Voir par exemple Keen, 2011.)
On assiste aussi depuis quelques années à des tentatives, émanant en particulier de l’économie écologique, visant à intégrer l’approche des limites écologiques à la compréhension de l’économie réelle. Le rapport Stern (2006) sur l’économie du changement climatique fait à cet effet office de synthèse cruciale, bien qu’il soit dépassé par les dernières avancées de la science du changement climatique et qu’il
n’intégrât que très approximativement les principes de l’économie écologique. La principale conclusion de ce rapport, à savoir qu’il est possible de résoudre le problème
du changement climatique sans remettre en cause, ou alors seulement très peu, le modèle économique standard, ne semble plus valable. La raison tient naturellement surtout au fait que le modèle standard ait été sévèrement mis à mal par la suite. Le raisonnement aux fondements de cet article part du constat qu’aucune de ces tentatives de synthèse des systèmes réel, financier et écologique n’a encore abordé le défi structurel que pose la combinaison des crises écologique, sociale et financière. Ce qui fait défaut plus précisément, c’est une approche macroéconomique écologique crédible, c’est-à dire un cadre conceptuel au sein duquel la stabilité macroéconomique soit en adéquation avec les limites écologiques d’une planète finie. Nous aborderons dans la suite de l’article certains des défis associés à cette nécessité et esquisserons l’approche que nous proposons pour relever ces défis.
Pour développer une macroéconomie écologique crédible, le principal défi à relever vient du besoin structurel de croissance économique, implicite dans les économies modernes. Ce besoin pèse de plus en plus sur le niveau des ressources disponibles ainsi que sur la qualité de l’environnement. La stabilité économique repose sur une croissance économique perpétuelle alors que la viabilité écologique est déjà mise à mal par les niveaux d’activité économique. C’est précisément ce dilemme que nous aborderons dans la section suivante.

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